L'Amant double : Maux comptent double

L'Amant double
De François Ozon (Fr, 1h47) avec Marine Vacth, Jérémie Renier...

Une jeune femme perturbée découvre que son ancien psy et actuel compagnon mène une double vie. Entre fantômes et fantasmes, le nouveau François Ozon transforme ses spectateurs en voyeurs d’une œuvre de synthèse.

Conseillée par sa gynécologue, Chloé, une jeune femme perturbée, entame une psychanalyse auprès de Paul Meyer. Mais après plusieurs séances, la patiente et le thérapeute s’avouent leur attirance mutuelle. Le temps passe et ils s’installent ensemble. C’est alors que Chloé découvre que Paul cache d’étranges secrets intimes, dont une identité inconnue…

L’an dernier sur la Croisette, c’est Elle de Verhoeven qui avait suscité une indignation demi-molle en sondant les méandres obscurs du désir féminin et en démontant sa machinerie fantasmatique — sans pleinement convaincre, pour X ou Y raison. Au tour de François Ozon de s’y employer, dans le même registre élégamment sulfureux et chico-provocateur. Car l’on sait, à force, que le réalisateur adore frayer avec les tabous, s’amusant à les titiller sans jamais outrepasser les frontières de la bienséance : courtiser le scandale est à bien des égards plus excitant (et moins compromettant) que d’accepter de baiser sa rouge bouche offerte.

Voyons voir

C’est dans un roman de Joyce Carol Oates que l’auteur de Huit femmes a donc trouvé le matériau de base de cet Amant double, aux résonances terriblement siennes. Film de fantôme —de dopplegänger même — L’Amant double s’interroge une nouvelle fois sur une place manquante, la nature ayant horreur du vide, et sur les stratégies opérées par une personne dans l’incapacité d’effectuer un deuil pour le résoudre, après Frantz, Une nouvelle amie, Sous le sable… Ce thème est tellement récurrent dans son œuvre que le fait même de diriger ici Jacqueline Bisset remémore la place jadis occupée par Charlotte Rampling, qu’elle évoque par contiguïté artistique. Simulacres, reflets, échos, duplicité… Voilà quelques-uns des artifices offerts par l’inconscient dont Ozon se sert. Mais n’est pas duplice qui l’on croit dans le film.

Car au fond, Ozon nous invite au partage de son cinéma : il fait de nous ses observateurs et insiste plus que jamais sur les scènes de voyeurisme en incarnant des spectateurs aux ébats de ses protagonistes — qu’il s’agisse d’un chat ou d’une tierce personne fantasmée. Déjà dans Jeune et Jolie, en compagnie de Marine Vacth, le réalisateur avait caressé cette idée flirtant avec le fantastique d’une dissociation corporelle. Ce film la prolonge, comme il continue à travailler les autres motifs chéris du cinéastes (ambiguïtés, rêve, sexualité etc.)

Un plan simple

L’Amant double est donc très cohérent dans le parcours du cinéaste Il “fait sens” sans faire étalage de roublardises ni d’effets outranciers de virtuosité. Survendu malgré lui, son fameux plan d’ouverture, “jamais vu” aux dires du sélectionneur cannois, n’est d’ailleurs pas le tout premier du film et renoue en réalité avec les associations métaphoriques dont les surréalistes étaient friands : très beau, il aurait pu figurer dans Un chien andalou (1929) ou L’Âge d’or (1930) de Buñuel et Dalí, si la censure avait été moins rude. Ne le qualifions quand même pas de transgression — sans cela, il ne restera plus de vocabulaire pour un poète tel que Gaspar Noé —, il fait office d’accroche, de la même manière que l’escalier en colimaçon menant chez Paul offre une perspective géométrique induisant une hypnose.

Reste que pris isolément, L’Amant double pêche par sa relative atonie (il manque de la tension et de l’angoisse) et par son indécision dans la focalisation (son incapacité à épouser jusqu’au bout le point de vue de Chloé rappelle la pirouette faiblarde de Swimming Pool). Ozon est encore trop raisonnable, ou pas assez azimuté, pour succomber à des fins apothéotiques dignes de celles de Polanski ou Zulawski. Dommage.

L’Amant double, de François Ozon (Fr., int. -12 ans avec avert., 1h47), avec Marine Vacth, Jérémie Renier, Dominique Reymond, Jacqueline Bisset…

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