L'incompris

"Faute d’amour" / « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ». Deux parents obnubilés par leurs égoïstes bisbilles vont méditer sur Lamartine après que leur fils a disparu. Un (trop modeste) Prix du Jury à Cannes a salué ce film immense et implacable du puissant Zvyagintsev.

Moscou, de nos jours. Un couple se déchire dans la séparation, se querellant sur la vente de son appartement et se désintéressant du fruit de son union, Alyocha. Lorsque celui-ci disparaît subitement, ils prennent conscience de leur faute d’amour. Mais n’est-ce pas trop tard ?

« Une bête, il faudrait être une bête pour ne pas être ému par la dernière scène de "Paris, Texas". » C’est par ces mots que Serge Daney débutait sa critique du film de Wim Wenders (1984) dans Libération, trahissant l’urgence de se délivrer (et de partager) l’absolue incandescence d’une séquence rejaillissant sur un film tout entier. Gageons que Daney aurait éprouvé un bouleversement jumeau devant Faute d’amour, et ce plan aussi admirable qu’atroce sur le visage défiguré par la douleur d’un garçon hurlant un cri muet, et dont le silence va résonner longtemps dans le crâne des spectateurs. Ce masque de désespoir flottant dans la pénombre, c’est l’effondrement en temps réel d’un enfant qui, témoin invisible d’une dispute entre ses parents, a compris qu’il était de trop.

Un ange passe

Un film ne saurait se réduire à une seule image ; les émotions peuvent cependant se cristalliser autour d’un plan si singulier qu’il rendra, par réverbération, une œuvre inoubliable. L’apparition d’Alyocha en quasi ouverture de Faute d’amour imprime violemment son portrait en nous ; lequel, tel une image rémanente, va se révéler peu après lorsque l’enfant disparaîtra. Zvyagintsev a fait en sorte que l’on soit hanté par cette absence, habité par le drame initial culpabilisant au moment où les plus épouvantables incertitudes vont peser sur ses tragiques conséquences.

À la haine réchauffée des parents s’ajoute quelques sorties de placards de cadavres familiaux, mais aussi l’impuissance d’une police inerte — une escouade de bénévoles méthodiques effectue à sa place les recherches. L’État russe en prend ainsi pour son Stalingrad, qui ne s’avère pas davantage capable de protéger (ni d’aimer) ses enfants ; il semble au contraire encourager l’hypocrisie courtisane au sein de sa société — en attendant la délation ? Le critique Zvyagintsev ne peut être suspecté de succomber à cette mode de la docilité émolliente.

Faute d’amour de Andrey Zvyagintsev (Rus.-Fr.-Bel.-All., 2h08) avec Maryana Spivak, Alexey Rozin, Matvey Novikov… (20 septembre)

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