"Petit Paysan" : De mal en pis

Petit paysan
De Hubert Charuel (Fr, 1h30) avec Swann Arlaud, Sara Giraudeau...

Un petit éleveur bovin tente de dissimuler l’épidémie qui a gagné son cheptel. Ce faisant, il s’enferre dans des combines et glisse peu à peu dans une autarcie paranoïaque et délirante. Une vacherie de bon premier film à voir d’une traite.

Difficile d’être plus en phase avec l’actualité qu’Hubert Charuel. Au moment où l’on s’interroge sur la pérennité des aides à l’agriculture biologique, et où l’on peine à mesurer les premières conséquences du n-ième scandale agro-industriel, son film nous met le nez dans la bouse d’une réalité alternative : celle des petits paysans. Ceux qui n’ont pas encore succombé, rongés par l’ingratitude de leur métier et les marges arrières de la grande distribution, ni été aspirés par leurs voisins, gros propriétaires fonciers ou de fermes automatisées — on en voit ici.

à lire aussi : Hubert Charuel : « Une manière de dire au revoir à la ferme familiale »

Sans foin ni loi

Pierre est un petit paysan à la tête d’un domaine raisonnable — c’est-à-dire qu’il la gère tout seul, mais en lui consacrant tout son temps. Lorsqu'il détecte dans son troupeau des animaux malades d’une mystérieuse fièvre hémorragique, il redoute le pire : l’abattage de la totalité de ses bêtes. La dissimulation lui offre une illusion de répit, mais les conséquences ne font qu’aggraver le problème.

Hubert Charuel signe un portrait “empathique” de ce prolétaire rural, au plus près de ses ressentis. De fait, il restitue la perception distendue de sa réalité anxiogène, ainsi que les répercussions psychologiques ou psychosomatiques. Cette vision hyper-subjective convient bien à un métier où le lien affectif entre l’animal et l’humain est primordial : Pierre n’“exploite” pas son bétail, il élève un troupeau. La nuance paraît sémantique, elle est plutôt comptable : en-deça d’un certain nombre d’animaux, l’éleveur s’occupe de chacun d’entre eux, les connaît individuellement et les prénomme. Nulle prime, fût-elle imposante et rapidement versée, n’est donc en mesure d’oblitérer le traumatisme vécu lors d’un abattage.

Il convient de saluer l’interprète Swann Arlaud, rarement vu dans un aussi grand rôle. Autant physique qu’intérieur, il rend avec beaucoup de nuances les troubles d’un personnage peu disert, s’exprimant davantage par la mécanique du geste et le regard. Il faut être bien grand pour jouer “petit” sans déborder inutilement.

Petit Paysan de Hubert Charuel (Fr., 1h30) avec Swann Arlaud, Sara Giraudeau, Bouli Lanners…

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