Interview / Avant d'aller à Cannes à la Quinzaine de Réalisateurs, Carine Tardieu était passée aux Rencontres du Sud pour présenter son film tourné en Bretagne. Rencontre avec une voyageuse...
Vous abordez ici thème du secret de famille, très fécond au cinéma...
CT : Au fur et à mesure de l'écriture de cette histoire, je me suis rendu compte qu'il y avait énormément de famille dans lesquelles il y avait des secrets — beaucoup autour de la paternité, car on sait qui est la mère d'un enfant. On en entend davantage parler depuis que les tests ADN existent. Des gens m'ont raconté leur histoire : certains ont eu envie de chercher leur père biologique, d'autres n'ont jamais voulu savoir...
Paradoxalement, découvrir que son père n'est pas son père biologique permet à votre héros de mieux le connaître le premier...
CT : Absolument. J'ai eu moi-même la sensation de rencontrer mon père assez tard, alors que mon père je le connais depuis toujours. Parfois, la rencontre se fait à un moment précis de la vie : quand on devient soi-même père ou mère, on se demande quel homme et quelle femme nos parents ont été. On projette des choses sur eux, qui sont juste une petite partie de leur réalité : ils sont bien davantage que nos parents.
Avez-vous hésité au moment d'attribuer à chacun des comédiens les rôles des pères ? Pourquoi l'un et pas l'autre ?
CT : Cela a été compliqué, comme pour tous les rôles. Je n'écris pas en pensant à tel ou tel comédien. On se pose la question au moment du démarrage de la mise en production ; ensuite, ce sont surtout des histoires de rencontres. Il fallait que les pères ne se ressemblent pas trop, sans être à mille lieues l'un de l'autre — pas d'opposition du style le pauvre/le riche ; le gros/le maigre. Ensuite, il fallait que je puisse me projeter : je voudrais que Guy et André soient tous les deux mes pères ! Je ne pourrais pas diriger un acteur pour qui je n'éprouve pas un profond désir à un endroit ou un autre.
La tonalité oscille entre la légèreté et le sombre...
CT : Ce balancier se fait presque malgré moi. Au théâtre, au cinéma et dans la vie, j'aime être sur la brèche ; c'est mon univers depuis toujours. Pleurer ou rire, c'est une manière d'être vivante. J'ai piqué mes plus grosses crises de fous-rires dans les moments les plus tragiques de ma vie : c'est une forme de pudeur dans les moments trop sombres.
Dans ce film empli de naissances apparaît aussi le deuil des idéologies : l'engament politique figure comme une affaire du passé...
CT : Le personnage de Cécile de France évoque sa mère, qui a plutôt choisi le militantisme à la maternité ; celui d'André Wilms est un ancien militant qui parle de ses engagements au passé... Il y a cette idée que c'était le combat de sa vie, et qu'en vieillissant, il n'a plus l'énergie pour manifester. Quelque chose existe toujours en lui, mais il n'a plus la même rage. Il ne peut plus mener son combat et ça appuie sa solitude : autour de lui, tous sont vieux ou morts. Mais je n'avais pas de volonté de faire passer un quelconque message. Sauf pour le nom : je l'ai appelé Levkine dès le départ parce que j'aimais bien qu'Erwan ait un père d'origine étrangère. Lui qui pensait être “juste” un Breton — ce qui n'est pas rien en soi – depuis des générations, on lui ouvre une porte romanesque : il est fils de militant, petit-fils de quelqu'un qui vient d'ailleurs, qui a fait la révolution russe...
Pourquoi les mères sont-elles aussi absentes ?
CT : C'est d'abord pour une histoire de place. Truffaut disait : « le cinéma ne supporte pas les embouteillages ». Il faut savoir choisir ses personnages et se concentrer sur eux. Mais au fond, j'ai la sensation qu'elles sont très présentes, qu'elles brillent par leur absence. Pour le personnage du François Damiens, celle qui n'est pas là pourrait dire qui est son père. Quant à la mère du personnage de Cécile de France, elle est là dans le peu qu'elle dit d'elle. Elles sont la clef du mystère.