Serge Prud'homme alias Deloupy

Portrait BD / Co-fondateur des Editions Jarjille, Serge Prud’homme (aka Deloupy) est un illustrateur heureux. L’album Love story à l’iranienne sorti aux éditions Delcourt en 2016 (d’après une enquête de Jane Deuxard) a reçu plusieurs prix très encourageants, ouvrant au dessinateur de nouveaux horizons à la lumière d’une reconnaissance amplement méritée. Rencontre, dans son atelier du centre-ville de Saint-Étienne, avec un homme curieux de tout et humainement attachant.

Gamin, Serge lit et relit mille fois les BD familiales, les classiques Tintin, Astérix et Gaston… « Je ne dessinais ni plus ni mieux qu’un enfant ordinaire. » En revanche, sa rencontre avec Michel Jacquet (qui deviendra plus tard son complice Alep) a sans doute été décisive. Les deux garçons se sont connus vers l’âge de huit ans, dans le voisinage de la maison de campagne familiale, entourés de toute une bande de gosses. Pendant des années, les deux copains vont partager leurs lectures mais ils commencent aussi à échanger sur la BD. Il faudra attendre quelques années avant que l’adolescent, optant pour un Bac A3, prenne conscience que le dessin pourrait bien prendre une place grandissante dans son champ des possibles. Après une année infructueuse aux Beaux-arts de Saint-Étienne puis une année sabbatique aux Pays-Bas, Serge s’inscrit presque sur un coup de tête aux Beaux-arts d’Angoulême, capitale nationale autoproclamée de la bande-dessinée. « J’ai passé là-bas trois années très riches dans l’atelier BD où j’ai pu beaucoup mieux cerner les finalités du métier, grâce à de nombreuses rencontres avec des pros, des auteurs ou des éditeurs. » Serge Prud’homme débute sa carrière d’illustrateur dans le monde de la publicité, tout en faisant ses armes dans l’édition jeunesse dès 2002, illustrant de nombreux ouvrages pour les enfants chez Magnard, Bayard, J’ai lu jeunesse, Koutchoulou ou encore Lito. Il prend le pseudonyme de Zac Deloupy en 2004 à l’occasion de la sortie de Comixland. « C’est mon grand-père qui m’appelait comme ça. C’est en fait une transcription très phonétique de "Jacques des pins" qui en patois yssingelais signifie "être dans la lune !" »

Circuits courts

En 2004 Serge crée Jarjille avec Michel Jacquet et Alain Brechbuhl, une maison d’édition associative alternative qui privilégie les circuits courts. « L’idée de départ était de voir si l’on pouvait maîtriser nous-mêmes toutes les étapes de la chaîne du livre, sans se douter que quinze ans plus tard on en serait là. » Le catalogue de Jarjille s’étoffe année après année, abordant de multiples domaines de la création avec un catalogue de plus de quarante auteurs. Avec les aventures de la librairie l’Introuvable, Deloupy et Alep réinventent ensemble une forme de polar où les livres, la BD, est elle-même le sujet central. Après L’introuvable (2006), Faussaires T1 (2008) et Faussaires T2 (2010), puis le spin-off Lucia au Havre (2013), un nouvel épisode de la saga est en préparation : Le collectionneur devrait sortir en 2018. L'équipe de Jarjille (Deloupy, Armelle Drouin, William Augel et Alep) propose régulièrement des rencontres avec les auteurs, des ateliers d’écriture, de découpage, de dessin ou de photo. Dès le départ, une belle complicité s’est naturellement construite avec la librairie de Gérard Girard, L’étrange rendez-vous, à quelques pas de la Bourse du Travail. Serge est resté au fond un grand ado. Son atelier est une grande caverne d’Ali Baba dans laquelle le quasi-quinqua se balade avec des tee-shirts floqués d’un Mickey Mouse ou du cartoon italien La Linea.

Certains salons du livre ont des airs de foire à la saucisse. »

Deloupy se rend encore régulièrement sur les salons ou festivals qui l’invitent. « Avant que l’on ait un diffuseur à nos côtés, c’était une nécessité pour faire connaître Jarjille et vendre des albums. » Avec un peu moins de pression désormais, l’artiste peut enfin prendre le temps d’aller davantage vers d’autres auteurs et de faire une promotion moins mercantile de la maison d’édition stéphanoise. « En tant qu’auteur je fais le choix de ne pas aller à plus de deux salons par mois, je ne peux pas être loin de chez moi chaque week-end, je dois quand même préserver ma famille. » Pour autant, Deloupy ne boude pas son plaisir de rencontrer ses lecteurs même s’il trouve parfois à certains salons « des airs de foire à la saucisse », avec des séances de dédicaces qui s’apparentent plus à une sorte de performance, plutôt qu’à de la création. « Une dédicace reste finalement un dessin assez pauvre. »

Iran - Algérie

En amont de chaque nouveau projet, Deloupy se documente abondamment, compilant livres, films et photos. « Je m’investis beaucoup car je reste persuadé qu’on ne raconte bien que ce que l’on comprend », explique-t-il. Rien de tel aussi, lorsque c’est possible, qu’un séjour in situ. « Je me rends compte que la BD historique est très exigeante. La moindre lampe, la moindre assiette posée sur une table doivent être vraies et non pas sorties de ma mémoire et encore moins de mon imagination ! » Pour son album en cours, Algériennes, Serge est allé traîner ses baskets et ses carnets dans les rue d’Alger, à la recherche de visages, de maisons, de détails… « C’était une vraie frustration de ne pas être allé en Iran. Je n’ai pas voulu prendre le risque d’être refoulé à la frontière à cause de quelques extraits de l’album déjà diffusés sur mon blog... » Sur la table à dessin, Deloupy dessine à l’encre, le plus souvent directement sur du papier Canson 24 x 31 cm. L’utilisation d’un scanner et d’un ordinateur facilite l’agencement des vignettes.

Pour la peau

Le succès de Love story à l’iranienne ne retombe pas. Les tirages ont été augmentés et les premières traductions pointent leur nez. Pour ce reportage émouvant sur la vie amoureuse en Iran et, en filigrane, sur la condition de la femme dans cette région troublée, Deloupy a mis en scène et en dessins les nombreux témoignages que deux journalistes sont allés glanés sur place pendant quatre ans, sous la couverture du pseudo Jane Deuxard. L’album a notamment reçu en 2017 le Prix France Info de la BD d’actualité et le Prix BD Zoom au Salon du livre de Genève, sans oublier le Prix BD STAS lors de l’édition 2016 de la Fête du livre de Saint-Étienne. Une reconnaissance que l’artiste semble apprécier à sa juste valeur car elle lui ouvre quelques portes plus difficiles à pousser jusque-là. En cette rentrée, l’actualité de l’artiste est multiple et son rythme de travail est assez dense. Serge est en train de terminer Algériennes (à sortir chez Hachette en janvier ou février 2018), dont le scénario a été écrit par Swann Meralli. Il s’agit d’un récit fictionnel construit autour de quatre femmes différentes, un voyage entre la période de la guerre d’Algérie et aujourd’hui. « Comme pour Love Story…, je m’investis pleinement dans ce projet à quatre mains car je tiens à apporter mon point de vue. » C’est là encore une création à plusieurs voix qui peut prendre au dessinateur jusqu’à un an de travail. « J’aimerais pouvoir commencer dès novembre un album érotique (Pour la peau) que j’ai signé chez Delcourt et que je vais essayer de dessiner en même temps que Le collectionneur. » D’autres projets encore sont dans les tuyaux, dont celui de travailler à nouveau avec Jane Deuxard… En marge de cette production déjà très dense, Serge continue à dessiner son journal approximatif, une autobiographie initiée en 2007 qui a fait l’objet de trois albums (Sans commentaire, Avec des frites ? puis Pour de vrai, pour de faux) mais qui se poursuit désormais de façon privée… Véritable "Tintin du troisième millénaire", Deloupy poursuit avec passion son destin dessiné.


Repères

1968 naissance à Saint-Étienne

1987 Bac A3 au lycée Saint-Michel

1992 diplômé des Beaux-arts d’Angoulême (section BD)

2004 création des éditions Jarjille, sortie de Comixland (avec Alep)

2006 début des aventures de la librairie l’Introuvable (avec Alep)

2007 début du journal approximatif autobiographique

2016 Love story à l’iranienne, chez Delcourt (avec Jane Deuxard)

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