Brigitte Giraud : « Je suis devenue écrivain pour écrire ce livre »

Je vous écris d'Algérie

Grande librairie

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Rencontre / Avec Un Loup pour l'homme, nominé pour les prix Goncourt et Fémina, Brigitte Giraud livre le roman qui l'habitait depuis toujours et l'histoire dont elle est issue. Celle d'Antoine, un appelé d'Algérie qui découvre en soignant les autres les horreurs de cette guerre dont tout le monde tait le nom. Et de sa femme venue donner la vie sur ce théâtre de mort.

Un Loup pour l'homme romance l'expérience de votre père durant la guerre d'Algérie et de votre mère qui l'a rejoint pour vous mettre au monde. Comment ce qui était au départ un sujet familial est devenu un sujet littéraire ?
Brigitte Giraud :
De plus en plus, je pense être devenue écrivain pour écrire ce livre. Sur ma carte d'identité, il est écrit « née à Sidi-Bel-Abbès, Algérie » et ce mot, Sidi-Bel-Abbès, est devenu quelque chose de très intime. J'avais ça dans un coin pas tellement reculé de ma tête mais cela m'effrayait d'ouvrir la boîte noire contenant ce qui s'était passé pour mon père pendant la guerre d'Algérie. Il fallait que je prenne le temps de parler avec lui. Ce n'était pas impossible ou tabou mais parfois il faut des années pour s'embarquer sur une voie aussi forte. Il fallait aussi que je me sente un peu plus armée en tant qu'écrivain pour construire un objet littéraire à partir de cela. Et d'un autre côté, ce qui m'a fait ouvrir cette boîte, c'est que je voulais le faire pendant qu'il était temps.

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Vous n'en aviez jamais parlé avec votre père ?
Mon père disait simplement qu'il n'avait jamais voulu tenir une arme et qu'il avait demandé à suivre une formation d'infirmier. Cette phrase faisait écran au reste. À partir de là, c'est comme s'il n'y avait rien à résoudre, parce que la peur de ce qui aurait pu se passer, de ce qu'il aurait pu commettre, n'existait pas a priori. Il y avait aussi cette autre phrase, qui est dans le livre : « Il faisait beau tous les jours et c'était comme des vacances. » Et ce tout petit récit suffisait à cacher le grand récit.

Le livre est fait d'oppositions, de contraires : l'Algérie est présentée à la fois comme un paradis et un enfer, il y a cette phrase qui dit « c'était quoi la grande aventure : donner la vie ou faire la guerre ? » Tout un ensemble de choses s'articulent dans un paradoxe permanent...
Ce qui m'a toujours fait écrire, ce sont les paradoxes. J'essaie de rendre visible ce qui en principe est invisible et j'ai retrouvé cela dans le rapport à la guerre d'Algérie. Un jeune homme qui part alors en Algérie, va être confronté à des horreurs mais ça ne l'empêche pas d'écouter du rock'n'roll, d'être fou d'amour pour une femme, et de faire le con le soir dans la chambrée, tout en étant traversé par la trouille de tomber dans une embuscade. Mais le vrai paradoxe c'était : comment un jeune homme de 22 ans pouvait à la fois devenir père, donner la vie, et en même temps avoir été affecté à la morgue de l'hôpital militaire ? Ma naissance était pile entre ces deux pôles. D'un côté, « c'était comme des vacances, il faisait beau tous les jours » et sans doute la meilleure époque de leur vie comme ils le disent, et en même temps, cet homme était au quotidien auprès de jeunes gens totalement fracassés. C'est étrange comme « plus belle période de la vie ». Ce sont tous ces paradoxes qui ont exigés que j'aille voir la mécanique de tout ça.

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Vous écrivez, s'agissant des lettres des appelés à leurs familles : « pourquoi écrire ce que personne ne veut lire ? » Plus loin, lorsque Antoine consigne les noms des appelés à la morgue, dans un mouvement inverse : « il sait qu'écrire le nom du garçon est une manière de le maintenir en vie. » Ces deux phrases ont-elles d'abord résonné en vous au moment d'écrire un livre sur un tel sujet, vous retenant de l'écrire ou au contraire vous y poussant ?
Quand j'ai commencé le livre, je ne me suis pas posé ces questions là. Je l'aurais fait quoi qu'il arrive. Mais à force de travailler le sujet, j'ai compris que cette grande manipulation d'État a été un tel gâchis humain qu'il fallait que le propos soit aussi politique et social. Que les lecteurs qui ne connaissent pas grand chose sur la guerre d'Algérie – et le fait est que la plupart des Français n'en savent rien ou presque – puissent comprendre un contexte. Là, j'étais consciente de vouloir écrire quelque chose que le lecteur n'a pas forcément envie d'entendre. En même temps, ce qu'il se passe avec ce livre montre le contraire, je ne m'attendais pas à ce qu'il ait un tel accueil. Je reçois des courriers, je rencontre des gens en librairie qui me disent : « ça ressemble à l'histoire de mon père, mais il est mort », « ça pourrait être l'histoire de mon oncle mais il n'en a jamais parlé. » J'aimerais qu'un débat plus large ait lieu autour de ces questions, parce qu'on vit dans un pays où français et français d'origine algérienne vivent séparés, il faut quand même le dire. J'ai l'impression qu'on est prêt pour ça. La preuve, c'est qu'en cette rentrée plusieurs livres traitent de ce sujet et aucun ne le fait de la même manière. Je crois qu'il y a quelque chose sinon à réparer, au moins à dire. Et ça commence par s'emparer du sujet.

Brigitte Giraud participera à la table ronde Je vous écris d'Algérie modérée par Houda El Boudrari, journaliste à Le Petit Bulletin, dimanche 8 octobre à 14h30 dans l'espace débats de la Grande Libraire de l'Hôtel-de-Ville

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