Conte noir plongeant ses racines dans la boue des tranchées et s'épanouissant dans la pourriture insouciante des Années folles, le 6e long métrage de Dupontel fait rimer épique et esthétique en alignant une galerie de personnage (donc une distribution) estomaquante.
Après avoir frôlé la mort dans les tranchées, une gueule cassée dotée d'un talent artistique inouï et un comptable tentent de “s'indemniser” en imaginant une escroquerie... monumentale. Honteux ? Il y a pire : Aulnay-Pradelle, profiteur de guerre lâche et assassin, veut leur peau...
La barre était haut placée : du monumental roman de Pierre Lemaitre, statufié par un de ces Goncourt que nul ne saurait discuter — ils sont si rares... — Albert Dupontel a tiré le grand film au souffle épique mûrissant en lui depuis des lustres. La conjonction était parfaite pour le comédien et réalisateur qui, s'il n'a jamais caché ses ambitions cinématographiques, n'avait jusqu'à aujourd'hui jamais pu conjuguer sujet en or massif et moyens matériels à la mesure de ses aspirations.
Chapeau, Lafitte
Le roman se prêtait à l'adaptation mais n'a pas dû se donner facilement — l'amplitude des décors et des situations augmentant les risques de fausse route et d'éparpillement. Galvanisé, Dupontel s'est réapproprié ce récit picaresque et lui à donné un équivalent cinématographique. S'il a sabré quelques détails (l'homosexualité), il a joué sur l'aspect feuilletonnant, l'imaginaire colonial d'alors livrant une œuvre à la facture d'un classicisme trop ostensible pour être homogène. Le travail sur la couleur opéré par Vincent Mathias n'a en effet rien d'anodin : à chaque ambiance correspond un traitement symbolique. Les tons pâles et veloutés accompagnant les soldats au front rappellent ainsi les autochromes Lumière ou les tirages noir et blanc colorés d'époque ; quant au Paris diapré de l'entre deux-guerre, il semble bénéficier de la bienveillance tutélaire d'un Jean-Pierre Jeunet. À chaque plan, l'œil est conquis mais pas dupé : à la différence de celle vendue par les héros, l'authenticité de cette marchandise ne peut être contestée !
Au revoir là-haut vérifier enfin ce postulat affirmant que le succès d'un film est intimement liée à la réussite de l'incarnation de l'opposant. En clair, plus le méchant est bon, meilleur est le résultat. Laurent Lafitte se révèle adéquat dans le frac d'Henri d'Aulnay-Pradelle : on n'a pas vu aussi suavement immonde depuis Christoph Waltz dans Unglourious Basterds, c'est dire le niveau. Seul vrai regret : l'absence de Nicolas Marié du générique, comédien génial et jusqu'à présent fétiche de Dupontel.
Au revoir là-haut de et avec Albert Dupontel (Fr., 1h55) avec également Nahuel Perez Biscayart, Laurent Lafitte... (25 octobre)