Anne Fontaine : « Avoir un autre regard sur soi peut permettre d'exister autrement »

Queer Lion à la Mostra de Venise, le quinzième long métrage d’Anne Fontaine est une adaptation aussi lointaine que promet de l’être son futur Blanche-Neige, qu’elle tournera en avril et mai entre Lyon et Vercors avec Isabelle Huppert…

Adapté d’un livre racontant une “renaissance” passant par un changement de nom, votre film Marvin change également le nom du protagoniste. À travers le prisme du cinéma, il s’agit donc d’un changement au carré…

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A.F. : Le point de départ a été la rencontre avec En finir avec Eddy Bellegueule dont j’ai voulu sortir en inventant le parcours que j’imaginais pour le personnage à travers les années : comment il pouvait trouver sa vocation, comment il pouvait s’en sortir… Ce qui n’est pas le cas du livre, qui est sur l’enfance, et ne traite pas l’épanouissement ni la singularité de son destin. Très vite avec Edouard Louis [l’auteur du livre, NDR], on est tombé d’accord sur le fait que c’était pas une adaptation, mais un acte d’inspiration. Près de 70% du film est inventé à partir d’une enfance traumatisante et difficile. Mais j’ai aussi mis beaucoup d’éléments personnels : j’ai moi aussi changé de nom quand j’avais 17 ans, j’ai été actrice… J’ai construit l’histoire avec des points communs, et elle un peu mienne.

Y avait-il chez vous le même besoin compulsif et vorace que Marvin pour arriver à renaitre sous une autre identité ?

Je ne voulais pas être actrice en particulier, et j’ai rencontré une icône du théâtre, Robert Hossein qui m’a baptisée Esmeralda pour Notre-Dame-de-Paris. J’ai ressenti ce que va ressentir Marvin : être dans une peau de quelqu’un d’autre que soi, travailler à transmettre une énergie, des phrases à d’autres qui les entendent. Avoir un autre regard sur soi peut permettre tout d’un coup de se déployer autrement, d’exister autrement. Pour moi ça a joué ; pour Marvin sans le regard de cette principale qui le met dans cette classe de théâtre où il se met à improviser les dialogues qu’il connait mais qu’il restitue de manière différente, c’est le premier acte d’une voie d’espérance. La culture et l’art sont salvateurs pour lui qui vit dans un monde enfermé sur lui-même et qui n’y a pas accès. Marvin est dans une précarité existentielle très violente, comme exilé chez ses propres parents. Ce film parle de la différence au sens propre du terme, on s’est tous senti différent. Personne ne peut dire ne pas s’être senti différent, de manière plus ou moins visible.

Et le théâtre est le réel déclencheur de sa métamorphose, le révélateur ?

Au théâtre, l’expression de soi permet d’ouvrir un chemin inédit, inattendu dans l’existence. Je l’ai vu sur d’autres, je l’ai expérimenté moi et je pense que l’ai transmise dans Marvin cette manière de jouer sur la matière première qu’est son enfance, sa jeunesse. Comment on la transcende, ce qu’on en fait, ce qu’on arrive à transmettre, le rapport avec ses racines…

Avez-vous eu un dialogue après le film avec Edouard Louis ?

Non, je l’ai eu après le scénario. Je l’ai eu avant, parce que je lui ai dit que je n’allais pas adapter le livre tel quel et que si c’était son souhait et il fallait qu’on se sépare tout de suite. Il a approuvé mon choix. Ensuite, quand il a vu le scénario, qui était si loin — j’avais changé le nom, les lieux, placé des personnages qui ne sont pas dans son livre — il a préféré ne pas avoir son nom au générique et je l’ai approuvé. Mais il a quand même voulu que ça devienne un film.

C’est la première fois que vous travaillez le scénariste Pierre Trividic. Comment cette collaboration est-elle née ?

Il faut toujours des premières fois (sourire). J’avais admiré son travail avec le premier film de Pascale Ferran (Petits arrangements avec le morts), avec Chéreau (Ceux qui m’aiment prendront le train) et le fait qu’il soit très fort dans des constructions “différentes”. C’est quelqu’un qui a une grande culture et une façon de concevoir le cinéma pas uniquement naturaliste. Il était sensible à l’idée qu’il fallait que “ça danse” entre les périodes — peut-être parce que j’ai été danseuse —, ça lui a beaucoup plu. Les thématiques l’intéressaient de manière personnelle et profonde, puisque lui-même, sans se cacher, est homosexuel. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui : il a une grande rigueur et une grande intelligence sur un milieu où justement il ne fallait pas être unidimensionnel ni caricatural. Même si on a toujours l’air de l’être au début quand on le dépeint.

Même question pour le metteur en scène de théâtre Richard Brunel…

Quand j’ai décidé de faire le spectacle avec le personnage de Vincent Macaigne directeur de théâtre, je me suis dit que ce serait un équivalent de la Comédie de Valence que je connaissais. J’ai décidé de tourner là-bas et j’ai demandé à Richard de me faire la chorégraphe du spectacle. Je lui ai demandé de faire 3/4 tableaux différents que je choisirais. Il a été très intéressé par cette collaboration pour le cinéma.

Le sous-titre, du film, La Belle Éducation, est-il une réponse à Almodóvar ?

Ce serait plutôt un clin d’œil. C’est une phrase que dit le personnage que joue Berling. Je trouvais que c’était joli de mettre le mot “éducation”, ça donnait une direction. Bien sûr, j’adore Almodóvar, je suis tout à fait contente d’échanger indirectement quelque chose avec lui.

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