Xavier Beauvois transpose un roman de 1924 racontant comment les femmes ont assuré l'ordinaire et l'extraordinaire d'une ferme pendant la Grande Guerre. Une néo qualité française pétrie de conscience sociale et humaine ; du cinéma de réconciliation, en somme.
1915. Privée de ses hommes partis au front, la ferme du Paridier doit continuer à tourner. À l'approche des moissons, Hortense embauche Francine, une orpheline dure à la tâche pour la seconder auprès de sa fille Solange. Les saisons se suivent et Francine semble adoptée...
C'est une figure bien paradoxale que Xavier Beauvois s'emploie à dessiner de film en film (et poursuit donc ici tout naturellement) : celle de l'absence, de la disparition, de l'effacement. Succédant à La Rançon de la gloire (2013) et son histoire de sépulture sans mort, Les Gardiennes évoque les morts sans sépulture de la grande boucherie de 14-18. Un conflit d'ailleurs quasiment traité in absentia puisque le Paridier, barycentre des héroïnes, se trouve loin de la ligne de front : quelques rares images de contextualisation au début, puis des cauchemars des militaires en permission, montrent le visage effrayant des combats.
Le front et la ferme
Pourtant, dans cette saga paysanne “de l'arrière”, la réalité de la guerre transpire à chaque plan, jusque dans l'inconscient des décors ou des costumes envahis par le bleu horizon, couleur des uniformes des poilus — une évidence dont Xavier Beauvois réfute l'intentionnalité avec une attendrissante roguerie, comme s'il craignait d'être victime d'une forme incurable de sémiologie picturale.
Non seulement ce penchant n'a rien d'obscène, mais il s'accompagne d'un goût pour une esthétique pastorale — lequel n'est en rien le pré carré de Jean Sagols ni de l'État français : filmer la réalité de la terre et des saisons est enfin (re)devenu moderne. Cet exercice de contemplation de la nature et d'accompagnement du labeur doit énormément au talent de la chef-opératrice Caroline Champetier, aussi étrangère à toute tentation de folklore qu'elle est une révélatrice de beauté brute. D'une beauté native et non frelatée, assumant l'éclat de sa simplicité.
S'il s'avère inutile de farder l'image pour en faire ressortir l'exceptionnel éclat, pourquoi souligner le lyrisme du récit par des torrents de musique ? Par ses ponctuations minimalistes, le vétéran Michel Legrand dépose une juste mesure mélodique ; une respiration harmonique et elliptique comptant parmi les plus pures de sa prolifique carrière.
Les Gardiennes de Xavier Beauvois (Fr., 2h 14) avec Nathalie Baye, Laura Smet, Iris Bry...