Portrait / Prestidigitateur, illusionniste et conteur, Jan Madd a fait plusieurs fois le tour du monde avant de poser ses valises à Saint-Étienne. Et si sa vie est digne d'un roman d'aventures, à un peu plus de soixante-dix ans son meilleur tour de magie est d'avoir fait de sa passion son métier.
C'est au 48 de la rue Michelet que Jan Madd, ce grand Monsieur taillé comme une armoire normande, cheveux et barbe d'un gris scintillant, nous ouvre les portes de son théâtre, salon d'enchantement et de merveilles, écrin rouge profond aux lumières savamment calculées. Immédiatement saute aux yeux le bonheur qu'éprouve cet homme à partager son univers. La visite commence d'ailleurs par une déambulation dans la partie muséale du lieu. Mais le magicien avertit : « ce n'est pas un musée de la magie, plutôt un hommage au monde du spectacle en général. » Les collections privées de l'artiste occupent ainsi plusieurs espaces, sur deux niveaux, tel un cabinet de curiosités, une caverne d'Ali Baba bien agencée. Affiches, costumes, accessoires, marionnettes, instruments de musique excentriques, lanternes magiques des débuts du cinéma et livres anciens retracent le parcours de Jan et ses rencontres sur près d'un demi-siècle. La galerie de personnages est impressionnante : Georges Méliès, Robert-Houdin, Houdini, Kellar, Myr et Myroska, Maurice Chevalier, Orson Welles, les Walton's, Zavatta, Pinder, Roncalli, Krone et Nock...
La révélation
Nous nous attablons côté salle. Jan Madd évoque son enfance, si éloignée mais finalement, au fond du cœur, si proche... C'est à l'âge de neuf ans que le petit Jean-Claude Coquelin découvre la magie, lorsque le professeur Germain vient donner un spectacle sous le préau de l'école, à Valognes, petite commune de la Manche. « J'ai été physiquement agressé, dans le bon sens bien sûr. J'ai vu un monsieur qui donnait un bonheur insensé aux gens en faisant simplement apparaître ou disparaître des objets. J'ai été émerveillé, c'était même épidermique, comme une fièvre qui depuis ne m'a jamais quitté. » C'est la révélation, l'évidence contre laquelle on ne peut lutter. « Je suis rentré chez moi et j'ai dit à mes parents : voilà, c'est décidé, je serai magicien ! » Une chance pour le jeune Normand, ses parents ne lui demanderont jamais de choisir un autre métier. « Mon père m'a toujours encouragé. Je pense qu'à travers moi il a vécu par procuration la vie d'artiste qu'il n'a pas pu avoir. Il m'emmenait souvent au spectacle, au cirque, à l'opéra... » Jan Madd sait bien ce qu'il doit à son paternel. « C'est lui qui m'a acheté mes premiers bouquins de magie et m'a encouragé à faire mes premières armes sur les marchés ou lors des fêtes votives de la région. » Au début de l'adolescence, ce qui n'était alors qu'un passe-temps devient rapidement une passion lucrative et c'est dans sa quatorzième année que le gamin fait une rencontre décisive sous le chapiteau du magicien Al Rex, qui l'embarque aussitôt en tournée. Les dés sont jetés pour de bon...
Globe-trotter
Après des débuts prometteurs au Cirque Pinder, le jeune homme est engagé sur Le France, devenant à l'âge de dix-neuf ans le magicien des transatlantiques à bord du célèbre paquebot. Ce sera le début d'une folle vie d'artiste aux coins du globe. Mais après presque trois décennies à parcourir le monde, Jan rencontre Chantal Saint-Jean et pose ses valises à Paris. Commence une nouvelle aventure, un peu plus sédentaire cette fois-ci. Jan et Chantal feront vivre pendant près de vingt-deux ans leur théâtre flottant, amarré sur la Seine près de Notre-Dame. « Sur notre bateau nous avons continué sans cesse de nous renouveler en créant quatorze spectacles. Mais l'envie grandissait de pouvoir montrer tous les trésors que j'ai pu collecter depuis le début de ma carrière.» Une première tentative d'installer un théâtre-salon dans sa région natale ne portera pas ses fruits. « Je voulais rendre à mon pays d'enfance ce qu'il m'avait donné. Mais l'accueil n'a pas vraiment été celui attendu car ma démarche n'a pas été comprise. C'est vraiment dommage. » Jan et Chantal se disent en revanche ravis de l'accueil qu'a reçu leur nouveau concept, lorsqu'ils débarquent à Saint-Étienne en 2015 sur les conseils d'un ami.
La plus belle des récompenses est de voir des étoiles dans les yeux des enfants.
Jan a ouvert ou accompagné les spectacles d'un nombre incalculable d'artistes dans les plus grands lieux de spectacle du monde. En France bien sûr, à L'Alcazar, L'Olympia, Le Lido, Les Folies Bergère, Bobino... Mais aussi à Monte-Carlo, en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou au Japon. Il a ainsi côtoyé Georges Brassens et Marlene Dietrich, croisé Tino Rossi, Franck Sinatra, Elton John, Gilbert Bécaud, Sim, Garcimore et tant d'autres. Il participera à de nombreuses émissions de télévision, de la Piste aux Étoiles au Grand Échiquier en passant par Champs-Élysées ou Faut pas Rêver. À l'étranger, Jan fera notamment vingt-six émissions pour la Rai Uno et sera convié à New York pour le Johnny Carson Show. « Le cinéma a fait appel à moi à plusieurs reprises, toujours pour jouer mon propre rôle. Mais j'ai aussi entraîné Vincent Perez à la magie pour son rôle dans Fanfan aux côtés de Sophie Marceau. » On retrouve ainsi notre magicien dans plusieurs longs métrages et quelques séries. Jan pourrait d'ailleurs passer des heures à raconter, avec cette petite lumière dans les yeux, ses croustillantes anecdotes. Comme lorsque la chanteuse Barbara remplacera son assistante au pied levé ou comme, invité au Palais de l'Élysée, il échangera des tours de cartes avec François Mitterrand...
Une flamme toujours vive
Jan se souvient des pays dans lesquels il s'est produit. « J'ai adoré l'Angleterre et ce n'est pas par hasard puisque c'est là-bas que le music-hall a été inventé. Le public y est complètement différent. Le moindre gag est compris, salué, applaudi. On est ici en France à des années-lumière de cette culture-là. J'ai d'ailleurs vu des spectacles sensationnels à Londres ou aux États-Unis qui n'ont pas du tout fonctionné à Paris. » À un peu plus de soixante-dix ans, le plaisir est intact, la flamme toujours vive. « La plus belle des récompenses est de voir des étoiles dans les yeux des enfants. » Comme le public est chaque jour différent, le spectacle l'est aussi. Jan ne se lasse pas, bien au contraire. « J'ai l'impression de débuter chaque jour ! » L'homme avoue être toujours un sale gamin un peu attardé. L'humour est d'ailleurs un élément important de ses spectacles. « Quand vous proposez aux gens des choses qu'ils ne vont pas comprendre, le minimum est de le leur présenter avec beaucoup de gentillesse mais avec aussi un peu de dérision ! » Jan et Chantal ouvrent régulièrement leur théâtre à d'autres formes de spectacles. C'est l'apéro muziko du vendredi soir. « Nous avons récemment accueilli de la chanson française, du jazz manouche, de la poésie latino-américaine ou des contes musicaux. Nous aurons bientôt un one woman show de pole dance... Rien ne nous arrête ! »
Repères
1946 : naissance de Jean-Claude Coquelin, alias Jan Madd
1963 : première tournée avec Al Rex à l'âge de 17 ans
1966 : il débarque au cirque Pinder
1975 : première participation cinématographique dans Cousin-Cousine de Jean-Charles Tacchella
1977 : Baguette d'Or au Festival National de la Magie
1987 : Grand Prix Cabaret
1990 : ouverture d'un théâtre flottant sur la Seine : 14 spectacles créés en 22 ans, vus par 450 000 spectateurs
1993 : Mandrake d'Or et Médaille d'Or Robert-Houdin
1996 : Médaille d'argent de la Ville de Paris
2014 : Chevalier des Arts et des Lettres
2015 : ouverture du théâtre-salon Métamorphosis à Saint-Étienne (220 mètres carrés entièrement réaménagés)