Entretien / Hugh Jackman a posé les griffes de Logan et enfilé la tenue de Monsieur Loyal de l'inventeur du spectacle moderne, Phineas Taylor Barnum. Showtime !
Pour quelles raisons vous teniez à ce film et à ce que vous vouliez réussir et éviter à tout prix, en tant qu'artiste et être humain ?
Hugh Jackman : J'ai grandi dans l'amour des comédies musicales avec Fred Astaire et Gene Kelly — comme Chantons sous la pluie. En 2009, alors que je présentais la cérémonie des Oscars, son producteur Larry Mark m'a proposé de faire un musical. Mais à l'époque, c'était difficile de convaincre Hollywood sur un projet totalement original et neuf — l'ironie étant que Lala Land était parallèlement en production, sans que nous le sachions.
L'essentiel dans un musical étant le livret, c'était risqué de soumettre onze chansons originales à l'approbation du public. Lorsque Justin Paul en a écrit cinq, on a su que l'on tenait quelque chose — et le sudio aussi. D'abord, le sujet “Barnum” s'adaptait parfaitement à un musical : avec ses rêves et son imagination, le personnage était plus grand que nature. Et le voir chanter, danser, sauter en l'air, cela aide. Je sais qu'en France le musical n'est pas un genre très populaire — je reconnais bien volontiers que quand un musical n'est pas bon, cela devient horrible ! (sourires)
Wolverine n'a a priori pas grand-chose à voir avec Barnum. Pourtant, ces deux personnages ont en commun d'être sensibles à la différence physique...
Pendant le tournage, je n'en avais pas pleinement conscience, mais je m'en suis rendu compte après. Ce sont des personnages différents, discriminés. Les deux genres sont diamétralement opposés et qui est terrible ici, c'est que c'est une historie réelle.
Même si je n'imagine pas Barnum et Wolverine en train de boire un coup dans un bar, tous ont en commun d'être des combattants.
The Greatest Showman n'est pas à proprement parler un biopic. Parce qu'on a enlevé des éléments et qu'on voulait un film pour les familles ; on n'a pas tout dit sur la vie Barnum. Il était issu d'un milieu plus que pauvre. Le succès était pour lui la seule façon de survivre. Il a été un disrupteur, un personnage qui bouscule.
Barnum incarne-t-il le rêve américain, celui des pères fondateurs, du partage ?
Oui, tout à fait. En tant qu'Australien, j'ai toujours vu l'Amérique comme la terre de la liberté. À l'époque de Barnum, on était défini par son nom de famille, par la classe à laquelle on appartenait. Et il y avait quelque chose de très snob dans les formes artistiques. L'art était supposé vous élever ; il était ennuyeux, moralisateur et pas du tout lié à la notion de plaisir — le plaisir était vulgaire. Rien d'artistique n'était populaire. Dans beaucoup de sens, Barnum a été le fondateur de cette Amérique moderne où le talent et la méritocratie gagnent. Barnum disait : « l'art le plus noble est celui de rendre heureux. » Il a défendu cette idée toute sa vie. Et bien que religieux, il n'avait pas cette idée du péché — il était universaliste. Aujourd'hui, l'Amérique est tout le contraire : c'est la société du plaisir ; on a envie que ça redevienne le plus sérieux.
Votre rôle exige un large éventail de performances physiques. Concrètement, qu'est-ce que cela implique ?
Des sels de bain d'Epsom : il n'y a rien de tel pour les jambes (rires) ! La période de répétions, a été du non-stop : on chantait et dansait 10 heures par jour. Gene Kelly exigeait toujours 8 semaines de répétitions pour chaque numéro. N'étant pas Gene Kelly, j'ai demandé 10 semaines — et encore, on a commencé avant.
Vous savez, j'ai rêvé de faire ce musical ; en même temps, j'étais effrayé à l'idée de me louper, car dans ce cas, je risquerais de ne plus jamais en faire. Vous imaginez ? Mon nom en grand avec The Greatest Showman. Si je me plante, c'est fini.
C'est comme la Coupe du monde, on n'a pas le temps d'être fatigué. La préparation de Wolverine était difficile, mais là, on dansait, alors c'était drôle. Ça rappelle l'époque où on allait en boîte danser toute la nuit — OK, avec quelques verres... (rires)
Barnum n'est-il pas l'initiateur de la société du spectacle ?
Son but était de faire payer de plus en plus les gens. D'ailleurs, il disait : « si vous n'avez pas été récemment visiter Barnum, c'est que vous n'y êtes pas allé » ! Il voulait à chaque fois surprendre les gens, pour que ceux-ci reviennent. Comme boss, il devait être dur : je suis sûr qu'il devait dire aux trapézistes d'aller plus haut chaque jour.
Mais il était toujours à la recherche du changement, d'améliorations.
Si Barnum vivait de nos jours, ça fait longtemps qu'il aurait abandonné le cirque : il serait à la Silicon Valley ou dans la réalité virtuelle.
Il est le premier à avoir fait circuler des ouvreuses avec des snacks pour vendre pendant le spectacle et des souvenirs à ceux qui l'avaient aimé. Il a inventé le merchandising.
Dans la mesure où vous êtes un homme-spectacle à part entière, Barnum est-il votre “saint patron” ?
Barnum était vraiment too much : extrême, flamboyant, exubérant. Très différent, donc de la manière dont j'ai été éduqué par des parents anglais, pour qui il ne fallait jamais en faire trop. Il a quand même écrit trois fois sa biographie, parce qu'il pensait qu'il avait à chaque fois une meilleure histoire à raconter ! Et à la troisième version, il a racheté tous anciens volumes pour les brûler.
En tant que showman, j'admire évidemment Barnum, l'instinct qu'il avait à savoir ce que les gens voulaient et sa façon de le donner au public. Bien sûr, il a été critiqué pour avoir exploité les freaks, ces personnes au physique différent. Il commencé par les exploiter, mais comme dans le film (c'est son côté romantique), c'est devenu sa famille. Tous ces gens qui étaient sur scène avec lui étaient aimés, très connus, célèbres et riches.
Je l'admire beaucoup, même si mon style est très différent du mien. Son authenticité me fascine. Il a eu les critiques les plus épouvantables qu'on puisse imaginer et les réimprimées ! On lui attribue la phrase : « il n'y a pas de mauvaise publicité », c'est dire à quel point il était fier, complètement dingue et combattant. Il allait jusqu'au bout. Moi, je serais tombé avant lui.
Les exploitants de cinéma sont-ils ses héritiers de Barnum ?
Autrefois, les histoires se transmettaient à la veillée. Pour moi, le film en est la phase ultime : on y puise des leçons de sagesse et l'on y trouve du spectacle. Mais il y a un grand défi aujourd'hui : Netflix et le streaming proposent des spectacles encore plus grands. Par le passé, avec l'invention de la télé ou de la vidéo on a plusieurs fois annoncé la mort du cinéma. Je ne pense pas que ce soit le cas aujourd'hui. Sans doute que le genre de films à destination des salles sera plus réduit. Mais il faut donner au public une raison d'aller au cinéma. Par exemple, l'un de mes films préférés cette année c'est Call Me By Your Name. Et il faut évidemment voir dans une salle.
Pensez-vous comme Barnum qu'il faut amener au public ce qu'il demande, ou bien que l'art doit mener les gens ailleurs ?
Quand je vais dans une galerie d'art ou au cinéma, c'est pour ouvrir mon cœur, pleurer, rire et ressentir ce que c'est que d'être humain. Instinctivement, l'artiste doit trouver ce qui fera que le public le ressente. Moi, j'aime à la fois être touché, surpris et diverti.