Portrait / C'est l'histoire d'une heureuse reconversion. Celle d'un Français, Cyril Hubert, installé en Suisse depuis plus de dix ans et qui, après quinze années passées chez des grands noms du luxe et de la restauration, a décidé de tout plaquer pour devenir biérologue. Une histoire passionnelle de brasseries artisanales, de malt et de houblon, de palais et de partage.
Après une enfance et une adolescence sans histoire passées du côté de Romorantin dans le Loir-et-Cher, Cyril se laisse inspirer par ses deux sœurs en choisissant lui aussi de s'orienter vers le monde de l'hôtellerie et de la restauration. Au CFA de Blois, il enchaînera en quatre ans un CAP, puis un BEP et enfin un Brevet Professionnel. « À part le rugby, pas grand-chose ne me passionnait à l'époque, je me suis donc mis au travail assez tôt par la voie de l'apprentissage. » Pendant quinze ans, le jeune homme travaillera comme chef de rang chez des grands noms du luxe et de la restauration : sur la Côte d'Azur pour le Métropole Palace de Beaulieu-Sur-Mer, pour Gérard Rabaey au Pont de Brent en Suisse, dans l'équipe du Tucker's Point Golf Club aux Bermudes, pour le Domaine des Hauts de Loire à Onzain et enfin au sein de l'Hôtel Casino Barrière à Montreux. « Travailler dans de tels établissements a été une chance mais, la trentaine venue, je crois que j'avais déjà fait le tour du métier. Le prestige des macarons et des étoiles induit une pression particulière, le monde de la haute gastronomie reste un univers difficile, souvent épuisant. Il était temps pour moi de passer à autre chose. »
Le déclic
C'est pourtant presque par hasard que Cyril fera la découverte qui bouleversera sa vie... On est 2014. Soirée entre copains. Un ami l'embarque dans une cave à bières où sont proposées pas loin de quatre cent appellations artisanales. Un nouveau monde s'ouvre alors sous les yeux de l'ex chef de rang, plus habitué aux bières industrielles, celles que l'on picole à moindre coût pour faire la fête ou pour ambiancer un match de foot devant la télé. « On a goûté quelques bières et j'ai eu comme une révélation. Je me suis surtout demandé comment j'avais pu passer à côté de ça ! » Cyril repartira avec quelques dizaines de bouteilles qu'il dégustera petit à petit à la maison. Une passion naît. De nouvelles sensations gustatives. Une autre culture. Une nouvelle géographie. Un nouveau monde avec. Impossible de revenir en arrière... Passant plus vite que son ombre de simple amateur à connaisseur expert, notre biérophile deviendra biérologue en suivant une formation dispensée par GastroSuisse, la Fédération de l'hôtellerie et de la restauration aux pays des Helvètes. Début 2015 Cyril se voit délivrer le diplôme de sommelier suisse de la bière.
Tendances
Le secteur de la bière artisanale est aujourd'hui en plein essor. Sur l'ensemble du territoire français, le nombre de brasseurs artisanaux a été multiplié par cinq en dix ans. Une nouvelle brasserie se crée tous les 3 jours et 70 % des bières consommées en France y sont brassées. Cyril analyse l'évolution des goûts : « Après les bières ambrées, la redécouverte de l'amertume et donc le large succès des IPA, les bières acidulées ou acides sont probablement la prochaine tendance, comme les sours, les gueuzes ou les Berliner Weisse. Mais les brasseurs qui utilisent des fûts ayant contenu du vin ou des alcools forts (rhum, whisky, tequila, Cognac) apportent aussi une plus-value certaine au produit. » Signe des temps, on trouve désormais des bières artisanales à la carte de restaurants étoilés. La Brasserie Stéphanoise a par exemple réussi à placer deux de ses bébés chez Troisgros, s'il vous plait. L'an passé, Cyril Hubert tournait une très classieuse vidéo (visible ci-dessous) pour la prestigieuse institution du Gault & Millau, aux côtés chef Mathieu Bruno dont le restaurant Là-Haut (Chardonne-Suisse) a reçu la note prometteuse de 16/20. « Une nouvelle tendance émerge dans le milieu de la gastronomie : accorder des plats très élaborés avec des bières de qualité. On est encore au début de tout cela, il y a tant à faire ! »
Dentelle
La biérologie (ou zythologie) n'en est sans doute qu'à ses prémices, une nouvelle science à cartographier. Tout bon biérologue doit se consacrer à l'étude de la bière de façon globale, du brassage aux brasseries, tant au point de vue historique, que technique ou gustatif. A l'instar d'un œnologue, il maîtrise les étapes chimique et biochimique des processus de fabrication, en bonne connaissance des matières premières il va de soi. Et c'est tout cet univers-là qui fait pétiller les yeux et les neurones de Cyril Hubert. Il faut l'entendre parler de turbidité, d'effervescence, de dentelle, d'effet perlant, de sucrosité ou de carbonatation. « J'aime bien le mot flaveur, terme qui regroupe les arômes perçus par le nez et les saveurs perçues par la bouche. » Notre Maître ès bibine jongle ainsi malicieusement avec les arômes de fleurs, de fruits, de céréales, d'épices ou de café, décrivant les yeux fermés le corps lourd ou aqueux des chopines qu'il détaille comme un grand cru. « Contrairement à ce qui se pratique pour avec le vin, on ne recrache pas la bière que l'on déguste, on va jusqu'au bout des choses ! Ce serait d'ailleurs se priver de la rétro-olfaction et donc des arômes que seule la voie rétronasale peut déceler. »
« Pour moi les brasseurs sont des cuisiniers qui travaillent avec des matières premières, des alchimistes qui les transforment, des poètes qui mettent leur âme dans leurs bières... avec souvent un brin de folie ! »
Chantre du boire moins mais déguster mieux, Cyril était le premier français à prendre part au championnat du monde des sommeliers de la bière, en 2017 à Munich, parmi soixante-dix sommeliers issus de quinze pays. « Je m'étais initialement préparé pour le championnat suisse des sommeliers de la bière, mais, bien qu'étant résidant suisse, ma nationalité française a bloqué mon inscription quelques jours avant la compétition ! Ce fut une très grosse frustration, c'est certain, mais qui s'est assez vite transformée en grand soulagement quand j'ai appris que j'étais invité à représenter la France au championnat du monde. » Cyril, n'atteindra pas les phases finales mais retient de cette première participation le souvenir d'une vraie aventure humaine avec de belles rencontres. « Je retenterai ma chance l'année prochaine à Milan, mais cette fois-ci en équipe et non plus en solo. Je suis plutôt persévérant, pas du genre à abandonner. Je me prépare avec mon ami Franck Métivier et une vision différente des choses. » Cyril s'entraîne notamment à déguster des bières présentant des défauts. « Le but est de savoir identifier ces défauts à l'aveugle, en déceler la cause et remédier au problème. Au-delà des compétitions, les biérologues peuvent ainsi aider les brasseurs à identifier un problème pour améliorer la qualité de leur production. »
Heureux
Pour notre homme, il serait temps qu'en France les choses bougent vraiment quant à la formation et la reconnaissance des biérologues. « Il n'existe pour l'instant aucun cursus au niveau national, notre pays prend du retard sur nos voisins belges ou allemands. »
« Ça sent la bière / De Londres à Berlin / Ça sent la bière / Dieu qu'on est bien / Ça sent la bière / De Londres à Berlin / Ça sent la bière/ Donne-moi la main. » Jacques Brel, 1968
Cyril Hubert est aujourd'hui un biérologue et sommelier de la bière comblé. Mais déjà, sa connaissance du sujet, doublée d'une sympathie communicative, lui vaut d'être invité un peu partout, en consulting pour des restaurateurs ou des brasseurs, pour des initiations à la dégustation lors de festivals ou encore prendre part au jury de concours. « J'ai été jury pour le Concours International de Lyon, les Terralies en Bretagne, les Houblonnades de Dijon ou encore le Lausanne Beer Celebration. Ce n'est que du plaisir ! » Les festivals qui se créent autour de la bière témoignent du nouvel engouement populaire pour cette boisson vieille comme le monde. IIs sont pour Cyril autant d'occasions de rencontrer sur un même lieu de nombreux brasseurs, le public d'amateurs et parfois quelques confrères. Lorsque l'on questionne notre spécialiste sur le match qui pourrait dorénavant opposer la bière au vin, il répond sans hésiter : « Vin et bière sont deux produits distincts, élaborés avec des ingrédients différents et touchant les gens à des occasions qui ne sont pas les mêmes. Je pense que la bière a un côté plus convivial, avec une notion de partage un peu plus prononcée que pour le vin. C'est une boisson épicène, multigénérationelle, multiculturelle et universelle ! Le vin a su faire sa place dans le monde de la gastronomie et n'a peut-être plus grand-chose à prouver. Je me suis donc donné pour mission de redonner les lettres de noblesse à la bière et de faire en sorte qu'on puisse la trouver sur les grandes tables. »
« Le malt est l'âme, le houblon l'épice, la levure l'esprit et l'eau le corps de la bière. »
Quid alors du fossé qui semble se dessiner entre bière industrielle et bière artisanale ? « L'authenticité, la relation entre l'homme et les matières premières est réellement différentes pour les deux cas, comme l'entraide et l'amitié entre les brasseurs artisanaux. J'avoue que c'est une des choses qui me surprend chaque jour : le monde brassicole est une grande famille. » Invité les 26 et 27 mai prochains au festival stéphanois Faut Que Ca Brasse, Cyril animera six ateliers de dégustation : une opportunité rare d'apprendre à déguster la bière dans les règles de l'art mais aussi de rencontrer un biérologue à suivre. « Une personne qui sait déguster ne boit plus jamais de la mauvaise manière mais goûte des secrets. » Dont acte !
Horaires et réservations des ateliers-dégustations de Cyril Hubert à Faut Que Ca Brasse sur www.fautquecabrasse.fr
Dates repères
1982 : naissance à Blois
1998 à 2002 : formation en hôtellerie-restauration au CFA de Blois
2002 : trophée Robert Saget à Blois
2007 à 2012 : chef de rang au Casino Barrière de Montreux (Suisse)
2014 : il découvre le monde de la bière artisanale
2015 : diplôme de sommelier suisse de la bière
2017 : premier Français à prendre part au championnat du monde des sommeliers de la bière
2018 : animation d'ateliers-dégustations au festival Faut Que Ca Brasse à Saint-Étienne