Octobre : Restons groupés !

Un mois de cinéma / Mois à cinq mercredis + vacances scolaires + poids lourds de Cannes et Venise = le plus gros embouteillage de l’année sur les écrans. Bienvenue en enfer. Pardon : en octobre.

Chaque année c’est pareil, en pire : barycentre de la rentrée cinématographique, octobre concentre un nombre croissant de films art et essai à fort potentiel, propulsés par les festivals et soucieux de se faire une place au box office avant la saison des récompenses. Et surtout avant le raz-de-marée des fêtes, confisquées par les grosses productions famille et jeune public. Est-ce par osmose ? L’effet foule semble déteindre sur des films où le collectif a le beau rôle.

Dring & plouf

Désormais genre en soi, la comédie chorale n’échappe pas au mouvement avec plusieurs représentants de qualité inégale et d’étonnantes surprises. Ainsi, on attendait avec une confiance raisonnable Michel Blanc pour Voyez comme on danse (10 octobre) ; force est de constater que cette suite d’Embrassez qui vous voudrez (2002) dilue paresseusement un ou deux rebondissements et quiproquos à l’ancienne (genre XIXe siècle) en rentabilisant les personnages caractérisés dans l’opus précédent. Seul Jean-Paul Rouve, très bon en velléitaire chronique, apporte un soupçon de fraîcheur. Quant à la fin, elle est passablement ratée.

Ce n’est pas le cas de celle du nouveau Fred Cavayé, qui avec Le Jeu (17 octobre) signe son meilleur thriller… alors qu’il s’agit d’une comédie acide où des couples d’amis s’entre-déchirent après avoir décidé de lire à haute voix tous les messages parvenant sur leur smartphone le temps d’une soirée. Plus perturbant et tragique que foncièrement drôle, ce remake d’un film italien agit comme une bombe intrusive perçant les masques sociaux. Et son étonnante conclusion s’avère digne d’un sujet du bac : toute vérité est-elle bonne à dire ?

Autre surprenante réussite, Le Grand Bain de Gilles Lellouche pour sa première réalisation de long métrage en solo (24 octobre), dont on confesse que l’on n’attendait pas grand chose. Cette histoire de bras cassés, tous plus ou moins dépressifs, se retrouvant pour constituer une équipe de natation synchronisée masculine, ne manque ni de rythme, ni d’émotion. Et doit beaucoup à l’éclectisme de sa distribution masculine ET féminine. On ne serait pas étonné de la voir surnager dans les hauteurs du box-office à la fin de l’automne.

Plus politique, Domingo de Fellipe Barbosa & Clara Linhart (10 octobre) ressemble à une version contemporaine et brésilienne de La Règle du jeu (ou de Gosford Park) : une peinture corrosive des “grandes familles“ vivant dans l’aveuglement de leur propre déliquescence, au moment d’un changement de société majeur, le 1er janvier 2003 — quand Lula prend ses fonctions de président. S les notables n’en ont aucune perception, endormis qu’ils sont par les reliquats de leurs privilèges féodaux, au royaume des domestiques en revanche, tout indique qu’une révolution se prépare. Tourné avec 15 ans de recul, le film de Linhart et Barbosa se conclut par une apostille plus amère rappelant le Guépard (« il faut que tout change pour que rien ne change »).

Accusé Madiba

Les documentaires aussi sont de la partie. Premier dans l’ordre chronologique, Le Procès contre Mandela et les autres de Nicolas Champeaux & Gilles Porte (17 octobre) retrace, à partir des seuls enregistrements disponibles (des bandes audio !) la procédure qui vit les principaux leaders de l’ANC condamnés à la réclusion par la “justice“ de l’Apartheid sud-africains. Pour compenser l’absence d’images d’archives, les réalisateurs ont créé de remarquables animations et complété avec des interviews des survivants de ces parodies d’audiences. Brut et édifiant, pour l’Histoire.

En apparence centré sur un homme, Célébration de Olivier Meyrou (31 octobre) s’intéresse à la ruche vrombissante dont Yves Saint Laurent était le cœur battant, épaulé par son associé et compagnon Pierre Bergé. Dévoilant les coulisses de la maison, les honneurs d’une fin de règne, la maladie galopante du couturier et la tendre complicité des deux patrons, ce film aussi proche que respectueux fut étonnamment interdit pendant dix ans, malgré sa présentation à la Berlinale. Il ne montre pourtant rien de choquant, seulement de l’élégance et de la mélancolie.

Moins emballant se révèle Le Grand Bal de Laetitia Carton (même date), immersion volontaire dans une manifestation traditionnelle du centre la France, où se retrouvent pour guincher joyeusement pendant une semaine jour et nuit des centaines d’amateurs de danses folkloriques. Parvenant difficilement à faire partager l’ensorcellement collectif, la réalisatrice erre au milieu de participants extatiques, cueillant quelques témoignages et ajoutant ses commentaires ici ou là. Pas de quoi danser la gigue.

Disons oui à Non-Non

Il est plutôt question de révérences dans Dilili à Paris, le nouveau film d’animation de Michel Ocelot, dont chaque œuvre depuis Kirikou et la Sorcière (1998) est ardemment attendue. Moins par les enfants que les adultes, d’ailleurs, appréciant l’originalité stylistique de ce conteur refusant de se soumettre aux diktats censoriaux. Petite déception ici avec cette histoire de petite Kanake menant une enquête dans le Paris de la Belle Époque : si la forme reste splendide, la structure narrative pêche et le défilé ininterrompu de célébrités — une foule comptant Marie Curie, Proust, Eiffel, Pasteur, Sarah Bernhardt, Louise Michel etc. — tient du carnaval. Dommage.

On rigole davantage avec La Grande aventure de Non-Non de Matthieu Auvray, inspiré des albums de Magali Le Huche, mettant en scène une troupe d’animaux (dont l’ornithorynque Non-Non du titre) dans des situations ressemblant à des pastiches délirants de classiques de la littérature jeunesse — mais revus et mélangés, comme lorsque Bgnet fait Lutin Spirix. Pour une fois que les parents s’amuseront au moins autant que leur progéniture.

Terminons pas un petit tir groupé : Cold War (24 octobre) déroule une histoire d’amour au temps de la Guerre froide entre deux Polonais, un compositeur et une chanteuse, d’un côté puis de l’autre du rideau de fer. L’immense Paweł Pawlikowski y conjugue la rigueur quadrangulaire en noir et blanc de Ida (2013) avec la sensualité débordante de My Summer of Love (2005) pour une romance dramatique et jazzy habitée par des spectres parentaux. Un Prix de la mise en scène à Cannes à valeur d’hommage — et de consolation ? Plus léger, En liberté ! de Pierre Salvadori (31 octobre) transforme Adèle Haenel en policière veuve de flic héroïque découvrant que son défunt conjoint était un ripou. Décidée à réhabiliter les victimes, elle cause son pesant de dommages collatéraux. Outre de joyeux moments de burlesque, Salvadori livre une intéressante réflexion sur le mensonge ainsi que sur la narration, qui n’est pas sans évoquer Le Magnifique de Philippe de Broca. Quid, pour finir, de Bohemian Rhapsody (même date), le biopic de Bryan Singer consacré à Freddie Mercury, star des stades donc des foules par excellence ? Il vous faudra attendre pour savoir car un embargo court jusqu’au 24 octobre. D’ici là, show must go on !

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