"Border" : Aux limites du genre

Border
De Ali Abbasi (Suè-Dan, 1h41) avec Eva Melander, Eero Milonoff...

Conte de faits / La rencontre de deux êtres à la monstruosité apparente, une enquête sur des monstruosités cachées et des éveils sensuels peu humains… Chez Ali Abbassi, la Suède est diablement fantastique et plus vraie que nature. Prix Un Certain Regard Cannes 2018.

Dotée d’un physique ingrat, Tina possède un odorat hors du commun lui permettant de repérer les fraudeurs à la frontière où elle est douanière. Un jour, elle détecte un suspect au physique aussi repoussant que la sien, Vore. En sa compagnie, Tina va découvrir qui elle est réellement…

Par ses personnages rivalisant avec l’immonde Jo “Le Ténia“ Prestia (Irréversible) ou le répugnant Willem “Bobby Peru“ Dafoe (Sailor & Lula), Ali Abbasi interroge ici en premier chef la féconde question de la monstruosité, travaillant le traditionnel syntagme affichée/effective : la disgrâce physique n’étant pas le réceptacle obligé d'une âme hideuse — le fantastique abonde d’exemples contraires ; souvenons-nous de Freaks ou de La Belle et la Bête. Mais s’il tient du conte initiatique, Border ne se borne pas à traiter des seules apparences et oppositions ; il explore cette zone grise, intermédiaire, aux contours indistincts et flous constituant la frontière, dans les nombreuses acceptions du concept. Et montre que toute démarcation doit être perçue comme relative, surtout quand on la donne pour intangible.

Gabelou-garou

Ainsi en est-il de l’arbitraire de la limite territoriale (d’une actualité politique brûlante), du genre affiché par l’état-civil, comme de la perception du beau. Selon le référentiel considéré, les scènes d’amour entre Tina et Vero pourront donc s’apparenter à un coït bestial ou à un érotisme touchant d’amants passionnés… Quant à l’eugénisme mentionné dans le film pratiqué sur leurs congénères, s’il apparaît naturellement obscène aux yeux du public de 2019, il n’est pas sans rappeler les stérilisations forcées pratiquées sur des Scandinaves en situation de handicap — la laideur fictive aurait-elle des origines bien réelles ?

Tentant d’illustrer le moment, l’acte ou l’attitude séparant définissant l’ordinaire de l’extra-ordinaire — à chacun ensuite d’apprécier si la normalité va de pair avec ordinaire —, Abassi signe avec Border un film d’une étonnante sensualité, en communion permanente avec l’organicité de la nature, l’humus et la mousse, en quête d’une pulsion instinctive. Une autre frontière à dépasser.

Border (Sué.-Dan., 1h48) de Ali Abbasi avec Eva Melander, Eero Milonoff, Jörgen Thorsson…

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