Portrait / Depuis janvier 2011, Arnaud Meunier dirige La Comédie de Saint-Étienne. Avec pour ligne de mire permanente la création et la transmission, le metteur en scène poursuit son travail mêlant ouverture du théâtre au plus grand nombre, mise en avant d'oeuvres contemporaines et en valeur de la cité stéphanoise.
Arnaud Meunier est un homme qui semble tout avoir pour être heureux. À la tête de La Comédie de Saint-Étienne, une des plus belles institutions théâtrales de France - n'ayons pas peur des mots - , le metteur en scène met tout en œuvre pour faire rayonner la capitale ligérienne à travers cet art noble qu'est le théâtre. Mais diriger un tel vaisseau artistique tout en continuant son travail de scène accapare beaucoup... La preuve, le matin où nous le rencontrons dans son bureau, situé à l'étage de "la nouvelle Comédie" dans ce bâtiment industriel entièrement rénové du quartier créatif, entre le Zénith et le Fil. Le temps presse car il est en pleine répétition de sa dernière pièce J'ai pris mon père sur mes épaules, écrite par Fabrice Melquiot avec Rachida Brakni et Philippe Torreton au plateau. Un succès public et critique annoncé d'avance, confirmé dès la générale. Couverture presse nationale, retours positifs, cette épopée comique et tragique ne fait que confirmer le talent d'Arnaud Meunier pour transcender les acteurs et les œuvres auxquelles il s'attaque. Mais ce matin-là, malgré le travail de scène à accomplir, il prend le temps de nous expliquer son parcours en détail. Ce cheminement professionnel passionnant d'un self-made man, non-issu du sérail théâtral et qui est devenu, en l'espace de quelques années un des fers de lance du théâtre français. « Je n'ai pas de parent dans le milieu du théâtre même si ce dernier arrive tôt dans ma vie, explique Arnaud Meunier. À 12 ou 13 ans, à l'école de musique de Barbezieux-Saint-Hilaire la ville où j'ai grandi en Charente, je suis tombé sur une petite affiche indiquant l'ouverture d'une classe d'art dramatique. Ça m'a intrigué, j'ai poussé la porte et je suis tombé sur la professeure Régine Adagra. Ce fut une double rencontre très puissante pour moi, avec cette dame et avec le théâtre. Petit à petit, le théâtre a pris de plus en plus de temps dans ma vie et ne m'a jamais quitté. » En terminale, le jeune Arnaud va jusqu'à s'intéresser au concours du Théâtre National de Strasbourg. « Mes parents ont alors eu une petite frayeur et m'ont persuadé de continuer mes études. Je suis un fils obéissant et j'ai poursuivi avec Sciences-Po Bordeaux » détaille avec humour le directeur.
Je suis tombé sur une petite affiche indiquant l'ouverture d'une classe d'art dramatique. Ça m'a intrigué, j'ai poussé la porte et je suis tombé sur la professeure Régine Adagra. Ce fut une double rencontre très puissante pour moi, avec cette dame et avec le théâtre. Petit à petit, le théâtre a pris de plus en plus de temps dans ma vie et ne m'a jamais quitté.
Du théâtre amateur à la professionnalisation
Benjamin de sa promo, il sort diplômé avec mention à l'âge de 20 ans. Se pose alors la question de la suite à donner à son parcours et de la place du théâtre. On lui parle alors d'une école, Les Ateliers du Sapajou à Montreuil, dirigée par Annie Noël, l'ex-femme de Serge Reggiani. « J'ai choisi d'intégrer cette école et ce fut une expérience extraordinaire, détaille-t-il. Cette école regroupait des gens qui voulaient vraiment faire du théâtre et le fait qu'elle se trouvait au-delà du périph' éliminait de fait toute sorte de gens... J'étais très heureux dans cette école. C'est là où j'ai aussi commencé à donner des cours et à y faire de la mise en scène. Annie m'a demandé de mettre en scène le spectacle de sortie de l'école, puis je l'ai épaulée quand elle a commencé à être malade. C'est là-bas que j'ai trouvé la base de ma compagnie. » Cette dernière s'appelle La Mauvaise Graine et se fait très vite remarquée avec la mise en scène de Croisades de Michel Azama à Montreuil mais surtout au Off d'Avignon en 1998. C'est avec cette première création qu'Arnaud Meunier comprend que son avenir ne se jouera pas au plateau... « Se concrétise alors le fait que je suis beaucoup plus heureux du côté de la mise en scène, assure-t-il. Mais c'est également un moment déterminant quand nous décidons de partir jouer cette pièce en Avignon. Nous étions de jeunes chiens fous, j'étais le plus vieux de la bande à 25 ans. Nous n'avions aucune idée de ce qu'allait être le Off d'Avignon si ce n'est que ça allait être beaucoup d'argent à investir... Monter un spectacle de plus de deux heures, avec dix jeunes acteurs au plateau, c'était un gros pari. Et ça a fonctionné ! On a même eu une couverture presse de Libé, ce qui était très important. » C'est à cette occasion qu'Arnaud Meunier fait également la rencontre déterminante de Stanislas Nordey, alors tout nouveau directeur du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis et auteur du Manifeste pour un théâtre citoyen dans lequel Arnaud Meunier se retrouve complètement. S'en suit une première collaboration sur la création d'un opéra du compositeur hongrois Peter Eötvös revisitant Les Trois Sœurs en Hollande.
Saint-Étienne est une ville populaire et par mes origines je suis plus à l'aise avec les gens issus d'un milieu modeste et les classes moyennes.
Arnaud Meunier s'occupe ensuite de la reprise de cette œuvre à Hambourg, mais cette fois-ci en solo. « Cette expérience a été très formatrice, avec des responsabilités beaucoup plus fortes qu'imaginées au départ. Stanislas m'a ensuite proposé de produire mon premier spectacle de compagnie en 2002, Affabulazione de Pasolini. En même temps, la rencontre avec Stanislas m'a permis de trouver un théâtre dans lequel j'ai pu être en résidence, à savoir le Forum du Blanc-Mesnil. C'est le point de départ de ma "stratégie du Bernard Lhermitte", c'est-à-dire trouver un abri pour la compagnie, une maison pour un temps donné dans laquelle on peut travailler. C'est d'ailleurs ce que je reproduis avec les artistes associés à la Comédie de Saint-Étienne. » Conscient de la chance d'avoir pu compter sur plusieurs appuis forts, c'est avec cette vision d'un théâtre ouvert et vivant qu'Arnaud Meunier continue ses mises en scène et devient quelques années plus tard directeur de la Comédie de Saint-Étienne.
À Saint-Étienne, le théâtre est une utopie concrète
C'est sur une intuition qu'Arnaud Meunier postule à la direction du théâtre stéphanois en 2011. « Saint-Étienne est une ville populaire et par mes origines je suis plus à l'aise avec les gens issus d'un milieu modeste et les classes moyennes. La présence de l'École était primordial également. Le fait que ce soit un lieu de création et de transmission. Enfin, le projet de reconstruire La Comédie était également déterminant. Le fait de se dire qu'on peut être acteur d'une ville en participant à la redéfinition de son image à travers la reconstruction d'un théâtre, c'est assez extraordinaire. » Se sentant immédiatement accueilli, en phase avec la ville, le metteur en scène a tissé au fil des années une histoire d'amour avec Saint-Étienne tout en poursuivant son travail de metteur en scène d'œuvres contemporaines et en dirigeant de manière bienveillante le Centre Dramatique National stéphanois et son École. « J'ai du goût pour découvrir les classiques de demain, en prise avec l'actualité , assume-t-il. J'ai besoin d'un texte comme nourriture première. J'ai de l'appétit pour découvrir la langue des autres et comme je suis venu au théâtre par la musique, j'aime découvrir des partitions. » Cette approche musicale a d'ailleurs permis à Arnaud Meunier de travailler dans des langues aussi diverses que l'arabe, l'italien, le japonais... Une dimension internationale qu'il entretient au fil des saisons proposées à la Comédie avec des lien forts avec différents pays tels que le Brésil ou les États-Unis, tout en instaurant un travail local à l'empreinte marquée. « En huit ans à Saint-Étienne, j'ai vu à quel point le théâtre constitue une utopie concrète, en participant à la modification d'une ville mais aussi de la vie des gens. Ouvrir le théâtre et aller chercher les publics partout, en cassant les barrages symboliques, psychologiques et financiers, voilà le travail exemplaire que mène La Comédie. »
Dates repères :
1973 : naissance à Bordeaux puis passe son enfance à Barbezieux-Saint-Hilaire (Charente)
1990 à 1993 : études à Sciences Po Bordeaux en tant que benjamin de sa promotion
1993 à 1995 : suit des cours de théâtre à Montreuil dans les Ateliers du Sapajou
1997 : fonde la compagnie de la Mauvaise Graine remarquée en 1998 au Off d'Avignon
1998 : Rencontre avec Stanislas Nordey
2001 : première production de compagnie avec Affabulazione de Pasolini
2011 : Devient directeur de la Comédie de Saint-Étienne
2013 : monte Chapitres de la chute, Saga des Lehman Brothers qui obtient le Grand prix du Syndicat de la critique
2014 : lance le programme « égalité des chances » à l'École de la Comédie
2019 : création à Saint-Étienne de J'ai pris mon père sur mes épaules de Fabrice Melquiot avec Rachida Brakni et Philippe Torreton