Intérieurs

Panorama ciné avril 2019 / L’esprit de contradiction, vous connaissez ? C’est cette pulsion bizarre qui, par exemple, vous incite à vous enfermer dans les salles obscures au moment où les beaux jours reviennent…

Quitte à se replier sur soi-même, autant le faire jusqu’au bout en balayant le spectre des films explorant les mondes reclus et clos : ils poussent mieux que des champignons en ce mois d’avril — l’effet des giboulées de mars ? Commençons par les territoires les plus vastes : les zones entièrement fermées, ces “pays frères“ de l’époque du Rideau de fer, dont tout un chacun aspirait justement à s’échapper. Dans Le Vent de la liberté (10 avril) Michael Bully Herbig retrace la rocambolesque évasion aérienne grâce à un aérostat artisanal d’une famille d’Est-Allemands coursée par les limiers de la Stasi. Traitée comme un thriller, mais d’un classicisme à l’américaine, cette reconstitution limite ostalgique change des évasions par tunnel et devrait enfin valoir à son réalisateur, le champion de la comédie allemande, son billet pour Hollywood. Plus profond et dramatique se révèle Je vois rouge (24 avril), documentaire où Bojina Panayotova, dont les parents ont émigré de Bulgarie dans les années 1970, enquête sur sa famille après l’ouverture des archives du pays. Et découvre d’inattendues collusions avec le régime communiste. Dans ce psycho-drame extime, les tendances voyeuristes et l’indiscrétion de la cinéaste sont compensées (corrigées) par l’honnêteté de son montage, qui conserve la violence de certains propos à son endroit. Maladroit, mais sincère et édifiant.

Horizons proches

Restreignons à présent le périmètre à celui de la maison, où évolue L'Homme à la moto (3 avril). Ce “héros“ de Agustin Toscano est une petite frappe qui, par remord et intérêt, prend soin d’une vieille dame devenue amnésique après qu’il a tenté de la détrousser. Plus que l’histoire, c’est le portrait social de l’Argentine, des relations de voisinage et de la misère qui donne sa saveur (et son intérêt) au film. Un peu plus au nord La Camarista de Lila Avilés (20 avril) est femme de chambre d’un hôtel de luxe mexicain convoitant le prestigieux 42e étage qui lui a été promis. Mais on ne vit pas de promesses, et les ami·es ne sont pas là où on pourrait le croire. Ce portrait d’une petite main invisible révèle l’ingratitude des “heureux du monde“ contraignant les oubliés de la terre à s’entre-déchirer les miettes de leurs banquets. Une amère leçon de philo in vivo.

Dans le cathartique Ray & Liz (10 avril), Richard Billingham se souvient de son enfance dans le quart-monde anglais, entre une père mutique et une mère à tout point de vue volumineuse. Des fragments tragi-comiques d’où suinte l’alcool artisanal, la haute précarité sociale, l’éveil à la conscience de classe et où, malgré tout, circule une forme d’amour. De l’amour, encore, il en faut aux protagonistes de Mais vous êtes fous (24 avril). Audrey Diwan y relate la descente aux enfers d’un couple perdant la garde de ses enfants parce que l’époux, cocaïnomane est soupçonné d’avoir drogué sa famille. S’il évoque les addictions, ce premier long parle moins des dépendances aux stupéfiants que du manque amoureux. Et propose un intéressant travail de réalisation sur la question du regard sur l’autre et de la confiance au sein de foyer : l’appartement étant scène de crime et lieu du drame. De l’amour, toujours, consume dans Curiosa (3 avril) l’écrivain Pierre Louÿs et sa maîtresse Marie de Régnier. Bien qu’épouse du meilleur ami de Louÿs, celle-ci pose pour d’innombrables photographies érotiques qu’il réalise dans l’intimité de sa garçonnière — une authentique liaison pornographique sur fond de correspondance littéraire et de proximité intellectuelle. Lou Jeunet donne une vigueur nouvelle et réciproque à l’expression “taquiner la muse“ en animant un trio élégant (Noémie Merlant/Niels Schneider/Benjamin Lavernhe). Quand une chambre (noire) peut être le lieu de toute les passions…

Espace mental

Reste enfin le plus réduit des espaces ouvrant paradoxalement sur les plus vastes territoires : l’imaginaire. Beatriz Seigner convoque le réalisme fantastique dans Los Silencios (3 avril) où une île amazonienne à la frontière du Brésil, de la Colombie et du Pérou devient également le point de rencontre entre les vivants et les morts. Une histoire de fantômes sans repos traitée de manière elliptique et poétique renvoyant à un conflit militaire ainsi qu’à des enjeux sociaux complexes.

Ah, et que dire de celui qui incarne mieux que quiconque la moule à son roche, le redoutable Tanguy à qui Étienne Chatiliez offre un retour chez Papa-Maman façon génération boomerang dans l’explicite Tanguy, le retour (10 avril) ? Rien, car on ne l’a pas vu.

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