Dramédie / Une psy trouve dans la vie d'une patiente des échos à un passé douloureux, s'en nourrit avec avidité pour écrire un roman en franchissant les uns après les autres tous les interdits. Et si, plutôt que le Jarmusch, Sybil était LE film de vampires en compétition à Cannes ?
Alors qu'elle cesse peu à peu ses activités de psychanalyste pour reprendre l'écriture, Sibyl est contactée par Margot, une actrice en grande détresse qui la supplie de l'aider à gérer un choix cornélien. Sybil accepte, mais elle va transgresser toutes les règles déontologiques...
« On construit sur la merde », lâche à un moment Sibyl à sa patiente désespérée, comme l'aveu de sa propre déloyauté : pour accomplir son œuvre artistique et se réconcilier avec son propre passé, n'est-elle pas en train de piller les confidences de Margot, d'interférer dans sa vie ? Comme si la pulsion créatrice l'affranchissait des commandements inhérents à sa profession de thérapeute, et justifiait son entorse éthique majeure. Dans Petra de Jaime Rosales, un grand artiste — mais être humain parfaitement immonde — proclamait qu'il fallait être d'un égoïsme total pour réussir dans sa partie ; à sa manière, Sibyl suit son précepte.
Coup de psychopompe
La tentation est grande d'effectuer une interprétation lacanienne du choix du prénom de l'héroïne, consultée par Margot comme une pythie détentrice des secrets de son futur. D'autant que, comme bon nombre de prophétesses mythologiques, cette “sibylle” s'avère incapable de s'analyser et s'englue dans son passé. Justine Triet compose d'ailleurs un récit fait d'enchâssements complexes, où les flash-backs surgissent par bribes et s'imposent pour recouvrir et parasiter le présent. Ajoutant à la confusion de Sibyl, ils rendent sa trajectoire encore plus... sibylline et dessinent un récit disloqué rappelant les entrelacs temporels du nouveau roman.
Retrouvant Virginie Efira (déjà interprète du rôle-titre de son précédent long métrage, Victoria) Justine Triet lui offre ici un personnage plus profond, dans une dramédie qui s'assume, sans chercher à se diluer dans ce genre toujours un peu factice qu'est la comédie d'auteur·trice. Jouant sur la mise en abyme en convoquant un tournage dans son film, la cinéaste place Sibyl sous des auspices rosselliniens avec son segment situé au pied du Stromboli et naturellement bergmaniens en créant cette relation fusionnelle entre une comédienne en crise et une soignante. Il y a pire comme inspirations...
Sibyl de Justine Triet (Fr., 1h40) avec Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel...