Isabelle Rabineau, Poupée punk du livre

Portrait / Commissaire principale de la Fête du Livre de Saint-Etienne, Isabelle Rabineau est du genre à n'en faire qu'à sa tête. Jamais à cours d'envies, toujours pleine d'idées, elle bouscule et révolutionne tout ce qu'elle touche... Et le meilleur, c'est que ça marche.

Elle porte la frange courte et le rouge à lèvres rosé, le perfecto de cuir et la jupe cintrée, les ongles vernis et les talons carrés. Gamine, elle était bonne élève, mais faisait ses devoirs « n'importe comment », durant l'interclasse ou à la récré. Commissaire à la voix douce, passionnée de culture et de foot, rêveuse déterminée, Isabelle Rabineau est une tout-et-son-contraire, une hors-cadre, une faiseuse-de-ponts.

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Elle a 18 ans, lorsque, bac en poche et raide dingue d'un peintre, elle quitte son Strasbourg natal pour le rejoindre dans la capitale, lecture et écriture chevillées au corps. Là-bas, la brillante littéraire suit des cours à la Sorbonne, tout en multipliant les petits boulots pour remplir le frigo. Elle atterrit à Beaubourg, où elle remet les livres en place, sur les étagères. Un « début de quelque chose » qu'Isabelle évoque aujourd'hui avec des papillons dans les yeux : « Ça m'a beaucoup aidée, de comprendre ce que lisaient les gens. Et puis, j'étais tellement fière, je travaillais à Beaubourg, c'était fou. »

De rencontre en rencontre, elle collabore ensuite à l'écriture du magazine de psychanalyse L'Âne, dirigé par Judith Miller, la fille de Jacques Lacan. La jeune Strasbourgeoise, qui n'est alors ni psy, ni journaliste, va y faire ses armes, œuvrant pour une ligne éditoriale qui vise à « informer les amateurs sans décevoir les spécialistes », dixit le Monde de l'époque. La graine est plantée.

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Débuts à Radio France

Quelques temps plus tard, Isabelle se présente à Radio France, dans l'espoir d'être recrutée pour décrypter des cassettes. « C'était complètement dingue. La radio, et cette radio en particulier, a toujours beaucoup compté pour moi. Elle m'a donné pendant très longtemps la possibilité de vivre une vie de princesse dans ma tête. Et d'un coup j'étais là, dans ce bâtiment auquel je rêvais depuis tant d'années... C'était très dépaysant, tout en me donnant cette étrange impression d'être à la maison... Un truc à la Brazil, tu vois ? », se souvient-elle. Ce jour-là, Isabelle rencontre Jacques Duchateau qui, sans ménagement, lui fait comprendre qu'elle ne parlerait jamais au micro... Avant de se raviser, de demander à sa secrétaire de la rappeler pour la tester, et de finalement lui faire une place au milieu de l'équipe de Panorama, émission littéraire et artistique de France Culture.

« J'ai su ensuite que Jacques choisissait les gens pour leurs défauts. Moi, je parlais trop vite. Il lui fallait un petit blanc-bec autour de sa table, et je crois que j'étais ce petit blanc-bec là. » Ici, la passionnée de livres s'épanouit. Lire, parler de ce qu'on a lu, défendre tel ou tel bouquin, participer aux débats animés, se laisser aller aux joutes verbales, le tout, entourée de pointures et dans une grande Maison s'il vous plaît... Mais la demoiselle n'est pas du genre à se laisser saisir par quelconque petit confort, même épanouissant. Après 12 ans chez Radio France, Isabelle quitte ainsi la station, par rejet de l'entre-soi : « Ce qu'on faisait, c'était magnifique, mais ce n'était pas la vie. Ce qui me gênait finalement, c'était de parler aux mêmes que moi. Je n'avais pas de plan de secours, mais un beau jour, j'ai dit " j'arrête " Il fallait que je m'arrache, c'était comme ça. »

Isabelle en mode télé

Et c'est avec une autre passion qu'Isabelle Rabineau va finalement rebondir après la radio. Fan de mode depuis toujours, elle fait son entrée en télé sur M6 au beau milieu des années 90, pour prêter sa voix à Mode 6, un format court de trois minutes 30 qui décode les tendances avec impertinence. Un kiff pour elle qui, à travers cette émission, peut s'adresser à tout le monde : « En fait, tout m'a plu. Tant qu'on avait l'audience avec nous, le truc pouvait aller de l'avant... Et on a raconté les défilés avant Canal + et Paris Première. »

Viendront ensuite une collaboration avec le magazine Elle, puis la création du journal Topo livres, sans oublier l'écriture et la lecture... Jusqu'en novembre 2011, et son arrivée à Saint-Étienne, pour prendre en main la Fête du Livre. « Je connaissais et j'aimais beaucoup Saint-Étienne, parce que j'adore le foot... Et puis, le fait de devoir imaginer la culture à hauteur de ville m'intéressait beaucoup ». Le challenge est ardu, pourtant. À Sainté, Isabelle doit tout reprendre, tout développer, tout relancer. À l'époque, les CSP+, les lecteurs avertis et passionnés ont déserté la Fête. Il faudra les faire revenir, tout en gardant l'essence populaire de l'événement. Pour réussir, Isabelle sait qu'elle doit avant tout sentir la ville, la comprendre, la décortiquer. Et pour comprendre, elle interroge, modeste : « Je suis allée frapper à la porte de Jacques Plaine, je l'ai longuement interviewé. Il m'a permis d'avoir une meilleure lecture de la ville. Et donc, d'imaginer un événement qui en soit le reflet... ».

Redonner sa dimension à la Fête du Livre

Progressivement, la Fête redore alors son blason. Elle s'étend géographiquement. Son secteur jeunesse se développe. Avec "Les mots en...", elle prend la forme d'un festival, au sein duquel le livre devient le premier jalon de quelque chose de plus grand. Du spectacle, des animations, du design, des débats, des masterclass, des dégustations... Aujourd'hui, la Fête du Livre se veut inclusive, de toute la population, de tous les talents et de tous les savoir-faire de la ville. Les romanciers populaires y côtoient quelques people, mais aussi des auteurs plus confidentiels, que les connaisseurs lisent déjà, et que les autres peuvent découvrir. « La présence de people, ou d'auteurs très populaires est nécessaire dans une ville comme celle-ci. Elle empêche les gens qui ne sont pas de grands lecteurs d'avoir peur de venir, d'avoir peur de donner l'air de ne pas savoir. Ces auteurs-là sont donc une sorte de rampe de soutien pour une partie des visiteurs », détaille la commissaire.

Elle qui, gamine, lisait « par intérêt pour les livres, mais surtout pour les autres, pour découvrir comment ils vivaient, comment c'était, chez eux », a finalement trouvé à Saint-Étienne, un terrain qui permet de faire le grand écart sans déséquilibre. De casser les codes en rassemblant. De réunir tous ces « autres » autour du livre, alors qu'on raconte partout que plus personne ne lit. De, peut-être, autoriser son amour des gens à prendre plus de place. Et puisque quand on aime, on ne compte pas... La fête n'a sans doute pas encore, terminé son évolution.

Fête du livre 2019 de Saint-Étienne du 17 au 20 octobre
Plus d'infos et programme complet sur cette page


En dates :

Isabelle « n'est pas du genre à se souvenir des dates avec précision ». Alors...
1964 : Naissance à Strasbourg
1982 : Départ pour Paris
Années 80-90 : Isabelle passe 12 années à chroniquer des livres pour Panorama sur France Culture.
Années 90-2000 : Elle prête sa voix à Mode6, sur M6, puis collabore au magazine Elle et créé Topo Livres
Nov 2011 : Arrivée à Saint-Étienne

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