Littérature / En deux ouvrages parus cette année, l'historien Nicolas Offenstadt dresse un passionnant état de ce que fut la RDA, le "pays disparu" qu'il a retrouvé en véritable explorateur urbain.
Il y a les images d'Épinal qu'a parfois véhiculées l'Allemagne elle-même comme cette mère réveillée du coma à qui le fils tente de cacher la chute du Mur alors que sous ses yeux une pub Coca Cola déploie sur l'immeuble d'en face – c'était la jolie comédie de Wolfgang Becker, Good bye Lenin -, mais il y a aussi le travail méticuleux, ludique aussi de Nicolas Offenstadt qui, ces dernières années, a poussé les portes, est entré par les fenêtres de plus de 230 lieux en ex-Allemagne de l'Est. Il y a trouvé des registres d'usines, des diplômes, des vieux interphones... autant de traces qui disent que la réunification a plutôt été affaire d'absorption et que co-existent toujours, en partie, deux Allemagne : « il y a toujours des différences de salaires importantes – ils sont plus faibles à l'Est – des traitements parfois jugés discriminatoires des pensions et retraites héritées de la RDA » nous confiait-il en début d'année, et puis « le paysage de l'Est est aussi très marqué par les fermetures de nombreuses entreprises et institutions de l'Allemagne socialiste ». C'est en effet ce qui apparaît très clairement dans les multiples photos qui illustrent son dernier ouvrage paru, Urbex RDA.
Historien urbexeur
Si, dans Le Pays disparu (sorti en poche ces jours-ci), il prend le temps, avec forces et détails, de relater des vies, dans ce deuxième livre, il montre voitures échouées, vitres cassées, ces entreprises évidées et rouillées, terreaux entre autres d'une déconsidération qui se manifeste dans les urnes par des votes d'extrême-droite (AfD). Mais ce glissement, peut-être hasardeux, Nicolas Offenstadt ne le dit pas tant il évite les raccourcis. Bien au contraire, il s'appuie sur ce qu'il observe pour expliquer ce que fit cette Allemagne (avec ses usines, ses transports, ses commerces, son habitat, sa culture) et tient ferme cette ambition annoncée en introduction : « prendre cet abandon au sérieux ». Son objet n'est nullement de se pencher sur la répression et la Stasi déjà maintes fois étudiées, encore moins de nier ou embellir cette période de dictature mais ainsi, il démontre pourquoi « de nombreux Ossis ont le sentiment d'être des citoyens de seconde zone ». Parce que l'ex-Allemagne ne peut se résumer à la fabuleuse vitalité berlinoise et que, même au cœur d'Alexanderplatz, au milieu du piaillement des multiples centres commerciaux flambants neufs, se trouvent d'immenses barres d'immeubles en bétons vides et transpercées par le jour, qui donnent le vertige.
Nicolas Offenstadt, Le Pays disparu (Stock et Folio Gallimard) et Urbex RDA (Albin Michel)
À la fête du livre de Saint-Étienne, les 19 et 20 octobre