"J'ai perdu mon corps" : Cinq doigts de génie

Une main séparée de son corps entreprend de le retrouver. À partir de cet argument de conte noir, Jérémy Clapin confectionne une fable animée sentimentale fantastique, ode sensorielle pétrie de nostalgie et d'élégance graphique. Un bijou qui fera date.

Sectionnée à la suite d'un malencontreux accident, la main du jeune Naoufel part à la recherche de son corps. Se dévoilent au fur et à mesure de ses pérégrinations, leur passé commun et les circonstances de leur séparation. Une histoire de rupture(s), de mort et aussi d'amour(s)...

Proclamons-le sans ambages : J'ai perdu mon corps mérite de connaître le même succès que Ma vie de courgette. Il n'est pas anodin que ce premier long métrage ait ainsi emballé des jurys aussi différents que ceux de Cannes et d'Annecy : mêlant ses lignes narratives et temporelles distinctes, il tisse une étoffe singulière à la suavité accentuée par son essence graphique, ainsi que son ambiance gothico-surréaliste. Clapin fait ici entendre clair et fort cette voix si particulière qui rendait ses courts métrages fantastiques fascinants de proximité et de poésie. L'on pourrait croire qu'un membre autonome susciterait la peur, l'horreur ou le dégoût ; il provoque a contrario l'empathie, le sourire et la connivence. Logique : il y a plus d'humanité dans la seule main de Naoufel que dans certains individus gravitant autour de lui.

La main passe ?

L'audace, l'obstination et la virtuosité paient toujours, n'en déplaise aux timorés, fussent-ils assis sur des montagnes de lingots. Au moment où les grandes majors capitalisent sur des franchises, remakes, reboots et autres valeurs sûres à peine ripolinées (exploitant paradoxalement la diversité patrimoniale de leurs catalogues sur leurs néo-plateformes de VoD — laquelle représente à elle-seule, selon l'étude de The Shift Project, 20, 4% des flux de données mondiaux !), ce sont les indépendants qui se risquent à aller au charbon pour produire de l'originalité hors des cadres et des formats rassurants. Or si le fade normalisé et aseptisé complaît au goût majoritaire dans l'instant, le transgressif et le divergent, eux, se bonifient avec le temps. En les acquérant aujourd'hui — sans avoir pris de risques industriels à l'instant crucial de la production —, Netflix se constitue petit à petit un trésor stratégique. Roma l'an dernier, J'ai perdu mon corps aujourd'hui... Les opérateurs historiques auraient tout à gagner à se reprendre en main. Et vite.

J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (Fr., avec avert. 1h21) avec les voix de Hakim Faris, Victoire Du Bois, Patrick d'Assumçao...

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