Biopic à la Malick / L'inéluctable destin d'un paysan autrichien objecteur de conscience pendant la Seconde Guerre Mondiale, résistant passif au nazisme. Ode à la terre, à l'amour, à l'élévation spirituelle, ce biopic conjugue l'idéalisme éthéré avec la sensualité de la nature. Un absolu de Malick, en compétition à Cannes 2019.
Sankt Radegund, Autriche, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Fermier de son état, Franz Jägerstätter refuse par conviction d'aller au combat pour tuer des gens et surtout de prêter serment à Hitler. Soutenu par son épouse, honni par son village, il sera arrêté et torturé...
Il convient d'emblée de dissiper tout malentendu. Cette “vie cachée“ à laquelle le titre se réfère n'évoque pas une hypothétique clandestinité du protagoniste, fuyant la conscription en se dissimulant dans ses montagnes de Haute-Autriche pour demeurer en paix avec sa conscience. Elle renvoie en fait à la citation de la romancière George Eliot que Terrence Malick a placée en conclusion de son film : « Car le bien croissant du monde dépend en partie d'actes non historiques ; et le fait que les choses n'aillent pas aussi mal pour vous et moi qu'il eût été possible est à moitié dû à ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et reposent dans des tombes que l'on ne visite plus. ».
Un esprit saint
Créé bienheureux par l'Église en 2007, Jägerstätter est de ces forces tranquilles dont Malick ne pouvait que raffoler : un mixte entre la haute élévation spirituelle d'un homme capable de sacrifier son existence à ses principes, dans le respect de ses valeurs chrétiennes, et l'enracinement tellurique de ce paysan caressant les épis mûrs, fauchant les foins, battant les gerbes au fléau, aimant passionnément Frani, la mère de ses enfants. À l'instar de John Smith et Pocahontas, héros tragiques du Nouveau Monde (2005) Franz et Frani forment un couple fusionnel ayant le tort de s'épanouir hors les règles en vigueur. Leur simple existence constitue un affront à la norme puisqu'elle prouve la possibilité d'un bonheur alternatif.
Avec la figure martyre de Jägerstätter, Malick a trouvé un substrat légitime pour ses obsessions formelles : contre-plongées et grand angle à foison pour magnifier le héros, Handel et Dvořák afin d'accompagner son pastoralisme lyrique quasi sulpicien, et bien bien sûr voix off de Franz et Fani — un dialogue épistolaire se superposant sur les souvenirs ou les séquences montrant deux amants séparés, chacun éprouvant sa propre passion. Malick ne peut nier qu'il éprouve une sorte de fascination pour la douleur d'âme et les destins funestes. Mais il est aussi l'un des rares cinéastes à chercher à capter une essence au-delà de l'écorce, une métaphysique de l'Histoire ; à oser également donner à une existence singulière et oubliée la dimension d'une fresque opératique, réduisant le contexte du conflit à une poignée d'images d'archives disséminées de-ci de-là. Une vie cachée ne ressemble donc à rien de connu, si ce n'est à un film de Malick...
Une vie cachée de Terrence Malick (É.-U.-All., 2h53) avec August Diehl, Valerie Pachner, Maria Simon...