Mariana Otero : « C'est parce qu'on est très préparé qu'on peut accueillir l'imprévu »

Histoire d’un regard - Gilles Caron / Mariana Otero consacre un portrait sensible au photographe Gilles Caron dont elle rappelle l’extraordinaire vista. Une démarche analytique et réflexive qui en dit long sur l’homme au boîtier que la femme à la caméra…

Dans Histoire d'un regard, votre démarche à la fois biographique et autobiographique, montre qu'il faut s'intéresser au corpus entier d'un artiste pour comprendre une œuvre. De fait, votre film renvoie autant à l'œuvre photographique de Gilles Caron qu'à vos documentaires précédents…

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Mariana Otero : Votre hypothèse est sûrement juste, mais c'est totalement inconscient chez moi : l’œuvre échappe à celui qui la fait ! Peut-être que Histoire d'un regard est la suite d'Histoire d'un secret… Il y a quelque chose pour le goût du déchiffrage de l’image : chercher dans l’image la trace d’un instant qui a eu lieu — qui n’est plus là mais dont on peut avoir l’idée. Dans Histoire d'un secret, j’avais l’impression de poursuivre une espèce de fascination pour les images. Non pas pour ce qu’elles représentent en elles-mêmes, mais pour le fait qu’elles sont la trace de quelque chose qui s’est passé pour la personne photographiée (ou peinte) ainsi que pour celle qui l’a réalisé cette trace. C’est plutôt de ce côté que penche Histoire d'un regard, où ce n’est pas tant le sujet de la photo de presse qui m’intéresse, utilisée parce qu’elle illustre un sujet (la guerre) ; moi je m’intéressais à la trace de celui qui les a faites, l’artiste.

Paradoxalement, Gilles Caron est quelqu'un ayant laissé peu de traces…

Son corps a disparu. Comme dans Histoire d'un secret, il s’agit d’une disparition : il y a quelque chose qui me fascine qui fait que je répète. Mais je ne me serais jamais dit : « tiens, après Histoire d'un secret, je vais refaire un film là-dessus. » C’est en partant à la rencontre de Gilles Caron que, de nouveau, j’ai été fascinée et attrapée par quelque chose de plus fort que moi

Vous interrogez l’absence en interrogeant les foules qu’il photographie (mai-68, les guerres, Derry…), cette foule qui est chez lui comme chez vous un thème récurrent…

Il était beaucoup dans des foules. La guerre, c’est l’indétermination : il y a plein de gens, des situations souvent difficiles comprendre. Or lui comprenait très vite et très bien, parce qu’il avait vécu la guerre d’Algérie ; il avait cette capacité à très vite saisir la situation, à savoir quel endroit était dangereux, où se mettre. Par exemple, e Israël pendant la Guerre des 6 jours, il refuse d’aller en autocar avec les autres journalistes et se loue une voiture. Tout cela, il le fait parce qu’il connaît la guerre.

En somme, le hasard est très relatif : il se travaille…

Ah oui, absolument ! Beaucoup dans le documentaire et je pense que pour la photo, c’est la même chose. C’est parce que l’on a beaucoup travaillé en amont que l’on va pouvoir accueillir l’imprévu, et que l’instant va devenir efficace. La chance absolue, qui tombe comme ça, ça n’existe pas.

Quand j’ai regardé les premières planches contacts sur Cohn-Bendit en mai-68, et vu qu’en 5 ou 6 images Gilles Caron arrivait sur le policier, j’ai été un peu déçu : ça semblait être d la pure chance. Et en fait non : en remettant les rouleaux dans l’ordre, je me suis rendue compte que pour arriver très bien placé à ce moment, il y avait eu tout le travail préalable. Et ce qui vaut ici en demi-heure, vaut pour toute son œuvre. C'est parce qu’on est très préparé qu’on peut accueillir l’imprévu que le réel va vous apporter. Mais ne faut pas être bloqué parce qu’on a préparé — en documentaire ou en photographie — : ce qu’on a prévu ne doit pas être un programme. Le réel est toujours plus riche que vous aviez imaginé.

Dans un document sonore que vous reprenez, Caron se revendique sans a priori photographe de guerre et de people, que cette dualité explique sa polyvalence, son efficacité sur le terrain…

Je trouve cette position intéressante : il ne méprise rien, il s’intéresse à tout. Chaque expérience lui servait. Il les prenait toutes avec beaucoup d’humilité, pensant que ça pouvait lui servir pour autre chose : il avait autant de goût à photographier un people qu’un soldat égyptien perdu. Il portait une attention égale à la singularité des gens comme à celle des corps. C’est pourquoi celui du modèle ou du mannequin, il le photographiera comme celui du soldat.

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