Regards et destinées

Panorama ciné février / Inné, acquis, conditionnement familial, formatage par le groupe, mimétisme environnemental… C’est à se demander si l’individu jouit réellement de son libre arbitre pour exprimer son caractère profond. Être soi n’est pas toujours une sinécure…

Inutile d’apprendre à un public de cinéma la puissance d’un faisceau de regards braqués sur une même cible : remplacez l’écran par une personne et celle-ci éprouve aussitôt un indicible poids psychologique proportionnel à la proximité affective la liant à ses scrutateurs. Prenez la Mamacita de Jose Pablo Estrada Torrescano (12 février). Cette maîtresse-femme mexicaine centenaire ne s’en est jamais laissé compter et pourtant, devant la caméra de son petit-fils, voilà que cette fière (et baroque) patronne d’une chaîne de salon de beauté va fendre l’armure, pour la première fois de sa tumultueuse vie. On en oublierait presque sa mauvaise foi chronique ! À noter qu’il s’agit du premier film distribué par les Grenoblois de Plátano films.

Pour l’amère et aigrie Lara Jenkins, héroïne-titre du nouveau Jan-Ole Gerster (26 février), la crainte de ne pas être une concertiste exceptionnelle l’a conduite à pousser son fils Viktor à devenir pianiste… avec une rigueur à la mesure de son perfectionnisme. Résultat ? Le jour de ses 60 ans, Lara est une retraitée solitaire, au bord du suicide, quand Viktor s’apprête à créer sa première composition. 24 heures de la vie d’une femme évoquant autant Chabrol que Haneke, grâce à Corinna Harfouch — dont le personnage ingrat et froid aurait pu être campé par Huppert — ; un portrait subtil de sexagénaire anguleuse, égarée dans les lignes d’une ville géométrique et la bile de son ressentiment, mais à qui on découvrira des circonstances atténuantes.

Objections ?

Tiens, puisque l’on parle justice, La Fille au bracelet de Stéphane Demoustier (12 février), adaptation française du Acusada signé par l’Argentin Gonzalo Tobal, relate le procès d’une adolescente en apparence bien sous tous rapports accusée d’avoir assassiné sa meilleure amie en représailles à une histoire de sextape. Une intéressante réflexion sur la puissance irréelle des réseaux “sociaux“ et la “déréalisation“ des actes — fût-on issu d’un milieu favorisé —, mais aussi sur l’étonnant pouvoir de dissimulation des ados (ou d’aveuglement de leurs parents, refusant d’admettre qu’ils ont des désirs, besoins ou… pulsions d’adultes). Et comme la fin de ce film de prétoire n’élucide rien, l’impénétrable Melissa Guers (révélation de ce long métrage) renverra chacun·e à son âme et conscience…

C’est en revanche à cause de sa modeste extraction que l’avocat de Dark Waters (26 février) est sollicité par un fermier voisin de sa grand-mère, désireux d’attaquer le chimiquier DuPont de Nemours qu’il accuse de polluer ses terres. Un combat rappelant David contre Goliath, ou celui d’Erin Brockovich, et à la clef la mise au jour d’un scandale sanitaire : le fait que le PFOA enfoui par l’entreprise était nocif et qu’elle le savait. Par son thème et sa forme (mise en scène, musique, image bleuie…), le film de Todd Haynes fait violemment écho au Révélations de Michael Mann ; toutefois, on ne peut l’accuser d’être opportuniste : déjà dans Safe (1995) il traitait d’un cas extrême d’empoisonnement multifactoriel, débouchant sur une allergie généralisée.

Où l’on naît, où l’on est

Une flopée de films interrogent, enfin, très frontalement le déterminisme. Tu mourras à 20 ans de Amjad Abu Alala (12 février) l’annonce même dans son titre ! On suit dans cette fable moderne le parcours cahoteux d’un jeune Soudanais sur qui pèse une malédiction proférée le jour de sa naissance : son trépas lors de son vingtième anniversaire. Ainsi marquée par le sceau de la tradition, une enfance est forcément biaisée, surtout quand l’entourage vous rejette comme un pestiféré. Avec son petit héros doué de la capacité de revêtir l’apparence des personnes qu’il a touchées, et qui prend celle d’un camarade tragiquement disparu, La Dernière Vie de Simon de Léo Karmann (5 février) joue la carte du conte fantastique pour métaphoriser la dualité intérieure que peut ressentir un enfant adopté… Doté d’effets minimalistes, évoluant en drame sentimental puis en mélo, ce premier long où l’on retrouve Benjamin Voisin est une réussite. Quant à Adam (même date) de l’autrice-actrice Maryam Touzani (Razzia), il montre comment au Maroc, une future fille-mère a du mal a accepter son enfant à naître, mais aussi à s’accepter, cela parce qu’elle n’est pas acceptée dans sa situation. Où que l’on se trouve, les regards pèsent toujours plus lourd sur les épaules d’une femme que sur celles d’un homme…

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