Le Palais idéal du Facteur Cheval, le message au-delà de l'enveloppe

Visite / À 75km de Lyon, Grenoble et Saint-Étienne, se dresse à Hauterives dans la Drôme le Palais Idéal du Facteur Cheval, « unique exemple d’architecture naïve » selon André Malraux qui le fit classer Monument historique. Une destination elle aussi idéale pour renouer avec l’Art…

Au premier abord, cela tiendrait presque de la provocation : pourquoi, après presque deux mois de confinement, sortir de chez soi pour se précipiter vers… une maison — pardon : un “palais” ? Atypique, certes, car bien loin du faste et de l’immensité généralement attachés à ce type de bâtiment : assez monumental pour être gravi ou traversé de part en part, mais trop réduit pour servir de demeure. “Idéal“, il l’est pourtant, puisqu’il constitue l’exceptionnelle matérialisation d’un rêve, offrant à tout un chacun la possibilité de le partager concrètement, d’en faire collectivement l’expérience physique.

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Nous sortons d’une période entre parenthèses qui nous a forcés à habiter différemment l’espace et reconsidérer les notions de domicile, de dedans, de dehors. Mais permis, aussi, de mieux percevoir l’importance structurante des méthodiques rituels quotidiens, quels qu’ils soient, ainsi que la valeur de l’obstination. Un contexte propice pour comprendre à quel point la fameuse sentence (attribuée à un peu tout le monde) « l’imagination est la folle du logis » prend son sens devant cet édifice, fruit du « Travail d’un seul Homme ». Pas n’importe lequel : un homme nommé Cheval, facteur rural de son état.

« J’m’appelle Ferdinand »

Chacun connaît la légende dorée de Joseph-Ferdinand Cheval (1836-1924) : comment il achoppa sur une pierre intrigante au hasard d’une de ses tournées, et comment sur cette pierre, cet ancien apprenti boulanger devenu homme de lettres (à distribuer), bâtit sur ses rares heures de loisir et sans la moindre formation en maçonnerie, une œuvre à tant d’égards insolite. Bien qu’empirique, sa construction préfigure des techniques innovantes (comme le béton armé) et synthétise des dizaines de styles ou mouvements architecturaux du globe l’ayant impressionné. Si Cheval n’a guère quitté sa Drôme, travaillant trente-trois années durant à l’édification de son œuvre et de son geste — car il avait aussi le talent de défendre et vendre l’originalité de sa création, notamment en poursuivant devant les tribunaux un petit malin ayant vendu à son insu des cartes postales représentant son Palais — l’opiniâtre facteur a fait en sorte que le monde entier se trouve réuni à Hauterives. Passées par le filtre de sa créativité, les images exotiques aperçues dans des revues ou livres illustrés se transforment en relectures de pierres et coquillages, hommage universel érigé aux cultures et civilisations humaines dans la matrice d’une œuvre protéiforme. Ici, tout se fond dans l’Un mais cette unité ne s’empêche pas de hurler sa violente hétérogénéité, sa singularité absolue, son origine plurielle. Tour de Babel à l’échelle Cheval, toujours d’équerre grâce à de précieuses restaurations, ce palais idéal parle la langue rocailleuse de son auteur ; elle s’avère pourtant aujourd’hui encore claire et intelligible. Un bon siècle plus tard, des visiteurs des antipodes se pressent toujours autour de cette chimère chaulée, curieux de contempler l’immensité de ce monde minuscule, soucieux de se recueillir devant ses niches votives. Et d’obéir à l’injonction malicieuse du facteur : « Défense de rien toucher » — invite bien trop rare pour qu’on la décline.

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Rouvert le 20 mai, le Palais se trouve, comme toutes les institutions culturelles et destinations touristiques, provisoirement privé de son public étranger. Voilà une occasion à saisir pour ses voisins immédiats de Lyon, Grenoble et Saint-Étienne sis à équidistance de ce rêve accompli. Un signe, probablement.

Palais Idéal du facteur Cheval, Hauterives (Drôme).

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