"Antigone" : Élan des siens et liens du sang

Pour sauver son frère et sa famille, une jeune fille endosse son identité. Son sacrifice émeut les foules et la transforme en icône. Une relecture impeccable de Sophocle par Sophie Deraspe, couronné de nombreux prix au Québec et qui représenta le Canada à l’Oscar.

Québec, de nos jours. Après la mort de son premier frère Étéocle et l’arrestation du second Polynice, la jeune réfugiée kabyle Antigone Hipponomes sacrifie ses études et son avenir pour prendre la place du détenu. Son geste fait d’elle l’égérie d’un mouvement générationnel…

Attention, découverte(s) ! Découverte tardive de Sophie Deraspe, tout d’abord. Près de quinze ans après les débuts de cette réalisatrice québécoise dont l’impressionnante filmographie de fiction et de documentaire a déjà emballé les principaux festivals du monde entier mais qui, par on-ne-sait quelle aberration, n’a jamais trouvé le chemin des salles hexagonale — l’occasion de rappeler, au passage, l’importance des distributeurs, ces indispensables intermédiaires achetant les films aux producteurs afin que les exploitants puissent les projeter. Découverte (bis) de Nahéma Ricci, comédienne débutante et interprète du rôle-titre investissant un personnage aux résonances multiples puisqu’il doit à la fois justifier son charisme auprès des foules (comme de la caméra) et renvoyer, dans un inconscient lointain, à la vibration élégiaque de l’héroïne de Sophocle.

Sophocle en exil

Réappropriation du mythe antique, cette réactualisation de la tragédie fonctionne impeccablement dès lors que l’on consent à accepter que des Kabyles puisse porter des patronymes grecs. Leur origine, et leur passé familial dramatique ne sont pas anodins puisqu’il expliquent leur expatriation forcée ainsi qu’un déclassement social pouvant précipiter la chute des frères dans la marginalité. Présent sans être insistant, l’arrière-plan (géo-)politique qui renvoie à la question de l’exil et de l’arrachement, est traité avec une extrême finesse ; Sophie Deraspe accomplit (comme Philippe Falardeau avec Monsieur Lazhar) tout ce que Villeneuve avait raté dans Incendies, son adaptation de Wajdi Mouawad.

Et puis il y a cette maîtrise dans la réalisation qui instille à l’intérieur du récit des séquences clippées très intelligemment conçues et montées pour donner un contrepoint extérieur à l’histoire d’Antigone : comment la jeune fille est perçue, récupérée, “iconifiée” malgré elle. Comment le “monde“ (comprenez, la masse informe des réseaux sociaux) s’entiche d’une idée et la confisque pour en faire sa chose, puis un produit. La forme que Sophie Deraspe donne à cette matière est à la fois un emprunt et une critique situationniste de la société médiatico-spectaculaire. Une réussite.

De Sophie Deraspe (Qué.-Can., 1h49) avec Nahéma Ricci, Hakim Brahimi, Rawad El-Zein…

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