Pascal Descamps, l'envie d'être ému

Fraternités

Cathédrale Saint-Charles

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / A quarante-sept ans, Pascal Descamps réalise aujourd’hui pleinement sa passion pour l’écriture et la composition. Pianiste de formation, l’artiste assume tout aussi fièrement sa double culture, à mi-chemin entre la chanson et la musique classique. Deux voies dans lesquelles son talent éclate au grand jour. Créé aux Invalides à Paris en 2014, son "Requiem" est repris à l’Opéra de Saint-Étienne cet automne.

Notre hôte nous reçoit en début de matinée dans sa maison de Marols, village d’artistes accroché aux monts du Forez. À 865 m d'altitude, la soudaine fraîcheur de l’automne frappe aux carreaux. Au salon, la cheminée est allumée, une bûche rougit et crépite. Un parfum d'arabica plane dans l’air, le café fume en cuisine, in the morning… Une partition à la couverture bleue est posée sur le piano blanc qui occupe un bon quart de la pièce : « Pascal Descamps / Requiem pour solistes, chœur et orchestre. » Une statuette en résine de Gaston Lagaffe trône également tout près, sourire en coin, affairé à gratter les cordes de son célèbre gaffophone. Le décor est posé. On devine un garçon pétri d’humour, mais aussi sensible et pudique. Pour le comprendre, il faudrait savoir qui il est, savoir le décor de son enfance et la résonance de ses premiers accords. L’histoire débute en 1973. « Je suis né dans la banlieue lyonnaise, à Tassin-la-Demi-Lune, d’une mère stéphanoise et d’un père clermontois, mais dès ma sixième année nous sommes partis vivre à Montpellier. » Mélomanes, papa et maman écoutent aussi bien de la chanson française que de la pop anglophone. Pascal et ses deux frères n’en perdent pas une miette. Mais dans l’appartement il y a aussi un vieux piano droit... « J’étais littéralement fasciné par cet instrument, je crois que ça a été une passion immédiate, un vrai coup de foudre. » C’est donc dans la préfecture héraultaise que le jeune Pascal débute ses études musicales dès l’âge de sept ans. Après deux années de piano en cours particuliers, il entre au conservatoire montpelliérain. « Cet instrument a été pour moi une vraie porte d’entrée dans le monde de la musique, je suis passé d’un seul coup de Chantal Goya à Michael Jackson ! Je ne faisais plus que ça : le dimanche je pouvais passer la journée entière sur le clavier, à jouer les morceaux classiques appris en cours puis, au fil des années, à chanter en m’accompagnant. En plus des disques, j’ai commencé à acheter des partitions, à reproduire au piano ce que j’entendais et déchiffrais, tout en posant ma voix sur la musique. » A l’adolescence, après un retour de la famille en terres stéphanoises, Pascal rejoint le conservatoire de Saint-Étienne.

Tout pour la musique

Le jeune homme enchaîne alors les concours, reçoit plusieurs prix, dont un Premier Prix d’excellence au concours national de piano Madeleine de Valmalète. Étonnement, la musique n’est alors pas encore envisagée comme une voie professionnelle. Bac D en poche, Pascal suit son frère aîné en fac de médecine. « J’ai essayé d’être sérieux et assidu, j’appréciais les cours d’anatomie car j’aimais dessiner, mais j’avais la musique véritablement chevillée au corps. J’ai acheté mes premiers synthétiseurs et découvert la musique assistée par ordinateur avec le logiciel Steinberg Pro 24, précurseur des séquenceurs. Toute une époque ! » Écoutant en boucle William Sheller et Véronique Sanson, Elton John et Stevie Wonder mais par-dessus tout Michel Berger, Pascal compose ses premiers thèmes vers l’âge de dix-neuf ans. Ne pouvant plus nier l’évidence, il se réoriente alors vers des études de musicologie, débutant un long cursus qui le mènera jusqu’aux portes du doctorat, avec toutefois une année d’interruption sous les drapeaux. « Pendant mon service militaire, j’ai été pianiste pour le Chœur de l’Armée Française, avec à la clé des concerts dans des lieux prestigieux. Ce fut de très bonnes expériences. » Tout en poursuivant ses études à l’université, le jeune musicien s’inscrit dans plusieurs cours au conservatoire où il obtient un certain nombre de médailles d’or dans différentes disciplines. « C’est l’époque où j’ai commencé à gagner ma vie en donnant des cours particuliers de piano, enseignant en école de musique, en collège, en lycée puis en fac. J’ai ensuite surtout accompagné des chœurs ou des chanteurs lyriques, un métier qui m’a toujours plu et dont j’ai fait une spécialité. Je ne suis pas un soliste dans l’âme, je préfère être dans le partage, me mettre au service d’une voix, être à l’écoute de l’autre en cherchant à donner une pensée orchestrale à mon jeu. » Arrivé dans la dernière ligne droite de ses trois années de recherches sur le compositeur français Stanislas Champein (1753-1830), l’étudiant plante tout, trois mois avant la soutenance de sa thèse. « Il fallait que tout ça s’arrête. Je m’ennuyais profondément et l’envie de composer me démangeait à nouveau. Je sentais aussi que j’avais des choses à dire à partir de mon propre vécu. Pour la première fois s’est donc manifesté un vrai besoin d’écrire des textes, comme une urgence. Il n’était pour moi plus question de perdre mon temps à parler de la musique, mais plus précisément d’en faire. Cette décision a été pour moi comme une libération totale. » Sans aucun regret, Pascal Descamps écrira et gravera deux albums de onze chansons, Orlando Road en 2003 puis Tout est si calme en 2005, apprenant sur le tas les vicissitudes du métier.

« Je mets le même amour et le même savoir-faire quand j’écris un Requiem ou des chansons pour une comédie musicale, comme un peintre qui passe de l’aquarelle à la peinture à l’huile. »

D’un papillon à une étoile

Quand bien même la Terre semblait parfois tourner à l'envers, les premières mesures de sa toute première œuvre classique germaient dans la tête de l’artiste. Devinant que quelque chose l'attirait vers le haut, Pascal cherchait encore le soleil au milieu de la nuit. Perfectionnant son aisance pour le chant lyrique auprès d’Alain Charles, le jeune homme devient en 2007 choriste à l’Opéra de Saint-Etienne. Son statut d’intermittent du spectacle lui permet enfin d’écrire pour lui-même, s’autorisant à composer dans un répertoire classique. « Après le tsunami dodécaphonique de la musique contemporaine ultra-intellectualisée déclenché par Boulez and Co, avec sa cohorte de concertos pour trois gouttes d’eau dans une bassine, il faut assumer d’écrire de la musique classique d’aujourd’hui, c’est-à-dire du vingt et unième siècle. Écrire sur des textes en latin est un vrai exercice de style et le passif est tellement vertigineux qu’il vaut mieux ne pas trop y penser ! Il faut conserver une vraie démarche d’humilité et de sincérité car la musique s’écrit avec le cœur, pas avec la tête. La musique doit rester un langage d’émotions. Personnellement, le fait d’écrire pour les autres, de ne plus me limiter à la tessiture de ma propre voix, a complètement libéré mon écriture et dégoupillé mon imaginaire, comme un souffle nouveau. » Messe en ut mineur pour solistes, chœur, orchestre et orgue, Rivages ouvrait en 2011 un flamboyant cycle de musique sacrée, qui se poursuivra avec un Pater Noster, un Ave verum corpus et un Ave maria, jusqu’au Requiem créé aux Invalides en 2014 sous le parrainage du pianiste Pascal Amoyel. Intégré au catalogue des Editions Salabert (Universal Music Publishing Classical), l’œuvre a déjà été donnée à cinq reprises entre Paris, Saint-Étienne, Saint-Chamond, Montbrison ou encore à la Bâtie d’Urfé. Bien que nul ne soit prophète en son pays et que la reconnaissance soit parfois longue à venir, l’Opéra de Saint-Étienne propose de réentendre la Requiem de Pascal Descamps, samedi 17 octobre à 20h en la cathédrale Saint-Charles. Sous la direction de Mathieu Romano, nous entendrons les solistes Aurélie Ligerot, Anthéa Pichanick, Thomas Bettinger et Philippe-Nicolas Martin, avec le Choeur lyrique et l’Orchestre symphonique de l’Opéra.

« Il faut conserver une vraie démarche d’humilité et de sincérité car la musique s’écrit avec le cœur, pas avec la tête. »

De l’ombre vers la lumière

« Plutôt que de proposer un Requiem sombre ou austère, j’ai choisi de dérouler une progression de l’ombre vers la lumière. Utilisant le chœur de multiples manières, j’ai composé des thèmes très intimes pour certains et pour d’autres généreusement lyriques afin d’emporter l’auditeur. C’est un Requiem optimiste que j’ai voulu lumineux. Après l’adieu au corps en mineur, le voyage de l’âme apaisée et purifiée se termine en majeur avec timbales et trompettes ! » Suite à la création des Poèmes étoilés pour l’ouverture du festival Festy’vocal lors du classement au patrimoine mondial de l’Unesco du Domaine Le Corbusier de Firminy, Pascal revenait à la chanson en 2018 avec la composition et l’écriture de sa première comédie musicale. Marvin donne alors l’occasion à l’artiste d’exorciser les désillusions parisiennes vécues à l’époque où il tentait vainement de faire connaître ses deux premiers albums. Riche de cette double culture au nom de laquelle Pascal Descamps assume pleinement de n’être enfermé dans aucune case, sa conception de la musique se rapproche sans doute davantage de celle que développent les artistes anglo-saxons, tandis qu’en France la sempiternelle catégorisation des styles enferment trop souvent les créateurs dans une forme d’improductive autocensure. « Je pense que ma composition se dirige de plus en plus vers un mix des deux univers que je porte en moi. Je mets le même amour et le même savoir-faire quand j’écris un Requiem ou des chansons pour une comédie musicale, comme un peintre passe de l’aquarelle à la peinture à l’huile. J’ai fini par comprendre que ce qui relie finalement tout ça, c’est l’envie d’être ému. » Entretenant une relation fusionnelle avec la musique, le compositeur cherche longuement les mots pour définir ce qui l’inspire. Sa grande sensibilité fait de notre homme une éponge, s’imprégnant de mille choses qui font un tout. Puis, lorsqu’il travaille au piano, les thèmes tombent sous ses doigts comme de splendides hasards, instantanément, comme s’il les avait toujours connus.

Marols-Paris-Marols

Ne cherchez pas notre homme parmi les princes des villes dans de grandes voitures. Pascal est un artiste discret qui souhaite simplement mais passionnément faire connaître sa musique, la partager avec le monde. Plus il avance, plus il lui faut d'espace et de sérénité pour laisser passer les rêves. Le temps passé à la campagne lui laisse le loisir de vivre au rythme de la nature entre les séances de travail. Pour autant, les sollicitations commencent à se bousculer, les allers-retours entre Marols et Paris se font nombreux et réguliers. Le mois dernier, Pascal accompagnait Catherine Ringer au piano, sur France 2, laquelle rendait hommage à Juliette Gréco dans l’émission de Laurent Ruquier, On est en direct. Libre dans sa tête, Pascal a encore tant de choses à faire, son piano rêve, son piano danse, son piano vole. Plusieurs œuvres sont en cours d’écriture, Odyssée (fresque lyrique pour solistes, choeur mixte et orchestre d’après Homère), un Stabat Mater mais aussi Alhyah, ambitieux projet de comédie musicale que Pascal imagine comme une fusion d’instruments modernes et classiques, avec des chanteurs pop-lyriques et des percussions tribales. Une partition qui pourrait être, pourquoi pas, celle d’un film d’animation… Autant de nouvelles créations à suivre de près car, chez cet artiste surdoué et attachant le talent et l’abnégation ne peuvent qu’accoucher d’émerveillements.

Concert Fraternités avec le Requiem de Pascal Descamps, samedi 17 octobre à 18h - Cathédrale Saint-Charles à Saint-Étienne


Créations

  • 2003 Orlando Road

  • 2005 Tout est si calme

  • 2011 Rivages

  • 2012 Pater Noster

  • 2014 Ave verum corpus

  • 2014 Requiem

  • 2015 Ave Maria

  • 2016 Poèmes étoilés

  • 2018 Marvin

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