Rencontre / Benoît Lambert vient d'être nommé directeur de La Comédie de Saint-Étienne et de son école attenante. Nous nous sommes entretenus avec lui pour en savoir davantage sur la vision qu'il porte sur Saint-Étienne mais également sur ses projets à venir pour le Centre dramatique stéphanois. Échanges.
Pourquoi avoir fait le choix de candidater pour la direction de La Comédie de Saint-Étienne ?
J'ai candidaté à Saint-Étienne, c'est important de le dire. Ce n'est pas un hasard. Je dirige actuellement le théâtre de Dijon pour lequel j'avais candidaté il y a 8 ans pour des raisons très précises. C'est la même situation avec Saint-Étienne. D'abord, La Comédie de Saint-Étienne est une maison que je connais pour l'avoir fréquentée. Arnaud Meunier m'avait demandé d'être le parrain de la promo 25, la première qu'il avait recrutée à son arrivée. Cela m'a permis de travailler à La Comédie, avec les élèves... Mes spectacles y ont également été accueillis. J'ai passé du temps dans la ville, une ville que j'apprécie beaucoup. Donc la question de cette candidature n'était pas simplement de venir travailler mais de venir vivre à Saint-Étienne, ce qui correspond à un enjeu important pour moi. Ce théâtre a également un tel essor sous l'impulsion d'Arnaud Meunier, qu'il est devenu un des plus beaux théâtres de France. Ce n'est pas de la flagornerie. Ce nouveau bâtiment, le développement de l'école, ... c'est un rêve. Et je dois dire aussi que je suis un héritier idéologiquement et profondément de la décentralisation théâtrale. Et La Comédie est la maison de Dasté. Il existe une sorte de rêve, de continuité pour moi. Je vis et travaille ici depuis de nombreuses années à côté de Pernand-Vergelesses en Côte-d'Or, qui est la terre de Jacques Copeau où Dasté avait fait ses débuts. Je me sens profondément redevable de cette histoire, de son inspiration et de l'idée que le meilleur théâtre se fait loin de Paris. Je crois que c'est cela la question fondamentale de la décentralisation.
La question de cette candidature n'était pas simplement de venir travailler mais de venir vivre à Saint-Étienne, ce qui correspond à un enjeu important pour moi
Quelles vont être les grandes lignes de votre projet à La Comédie de Saint-Étienne ?
Je dois reconnaître que Marc Chassaubéné, l'adjoint à la culture de la Ville de Saint-Étienne, a opéré une saisie et un précipité formidable sur ses réseaux sociaux de mes intentions. Je n'aurais pas fait mieux, sincèrement. Je le prends comme un signe fort que l'adjoint à la culture ressaisisse en quelques phrases le fond de ce projet. Je fais une incise là-dessus non pas pour simplement dire du bien de mes nouvelles tutelles publiques, mais il me semble que l'enjeu du projet culturel est central dans l'identité de cette ville aujourd'hui. Cela fait partie des points qui motivent pour prendre la direction d'une maison de création. C'est très stratégique de voir la place qu'elle occupe dans la ville. La présence du maire au jury de recrutement, le fait que ce soit lui-même qui accueille les candidats, sont aussi des marques importantes.
Les maires ne sont pas nécessairement présents lors des sessions de recrutement pour ce type de poste dans d'autres villes ?
Je ne sais pas. Je ne peux pas vous répondre car je n'en ai pas fait suffisamment. Mais là, il y avait une forme d'accueil de la ville qui était très notable. J'y ai été très sensible et qui démontre la représentation de la place que tient aujourd'hui la culture à Saint-Étienne.
En revenant à votre projet, il demeure la notion du partage au cœur de vos préoccupations ?
Oui, j'ai effectivement parlé de partage car je pense que c'est une mission importante pour les centres dramatiques nationaux. Notamment une ouverture pour les artistes. Je ne serai pas seul et il y aura beaucoup d'artistes qui interviendront, notamment avec des équipes indépendantes. L'avenir des Centres dramatiques nationaux passe par les collaborations avec les équipes indépendantes. Ce n'est pas une innovation fondamentale puisque c'était l'état d'esprit dans lequel a travaillé mon prédécesseur et dans lequel travaillent de nombreux Centres dramatiques nationaux. Donc le partage ce sera déjà cela pour commencer, le partage de l'outil de travail et de création. Cette question a une acuité décuplée dans la situation actuelle. Je n'ai pas voulu indexer mon projet dans la crise sanitaire car je suis persuadé qu'il faut se projeter dans l'après, lorsque la vie reprendra pleinement. Il faudra se mettre au service de la reconstruction de notre société. Le partage et le dialogue avec les équipes artistiques seront très importants afin d'identifier les besoins des artistes dans cette période. Et puis, pour moi, le partage c'est également avec le territoire. Dasté disait « je ne suis pas un missionnaire » et cela me paraît très important. Le projet n'est pas seulement d'aller éduquer ou cultiver des gens qui seraient éloignés de la culture ou de l'art, c'est de se dire que l'art se modifie en s'efforçant de rencontrer largement le public dans son ensemble. Je crois qu'il n'y a personne qui ne s'intéresse pas l'art. Il existe plein de formes d'art, plein d'imaginaires variés. Je suis soucieux de cette variété en expliquant aux artistes : « rencontrez des gens qui ne vous ressemblent pas, cela changera votre art ». Quand Copeau a décidé d'aller jouer pour les vignerons de Bourgogne et Dasté pour les mineurs de Saint-Étienne, ce n'était pas simplement pour les évangéliser mais parce que ça allait transformer le théâtre. Je crois fortement à cela car c'est le partage qui fait évoluer l'art. Les artistes qui m'intéressent font varier leurs sites, essaient de faire d'autres rencontres, de produire de nouvelles hypothèses, de faire évoluer leur récit...
C'est le partage qui fait évoluer l'art
Venir à Saint-Étienne n'est vraiment pas anodin pour vous ?
Je m'enthousiasme à l'idée d'arriver dans une ville qui possède une histoire forte avec le théâtre. Ce n'est pas le cas dans toutes les villes de France. Il existe une tradition très forte, une vie avec le théâtre que j'ai pu expérimenter en tant que metteur en scène en venant jouer à Saint-Étienne. On sent qu'il y a une appétence et un intérêt pour l'art dramatique. C'est aussi une chance et de se dire qu'on va évoluer dans sa propre pratique d'artiste face à un public qui aime le théâtre.
Concernant la programmation, savez-vous déjà vers quoi vous souhaiteriez aller ?
Je crois que l'on programme à partir de la personne que l'on est. Je ne suis pas Arnaud donc cela sera forcément différent. Mais pour donner un exemple j'ai toujours travaillé en parallèle le répertoire et les textes contemporains. Il y aura donc peut-être davantage de textes de répertoires que n'en a montés Arnaud qui avait consacré beaucoup d'énergie aux contemporains. Mais je crois que le propre de La Comédie est d'être un lieu de référence pour un territoire très vaste. Elle doit présenter l'état de la création du théâtre mais plus largement du spectacle vivant, dans toutes ses dimensions. Je ne veux pas d'un théâtre qui afficherait un style ou une ligne esthétique. Je ne crois qu'au mélange et à la confrontation, car c'est la vraie expérience que l'on fait tous. Tous, dans notre imaginaire, on fréquente ce que tout le monde fréquente, c'est-à-dire qu'on regarde des séries sur Netflix et on écoute les chanteuses et chanteurs que tout le monde écoute. Et puis il y a des choses plus complexes et savantes que l'on aime aussi. C'est toute cette variété qu'une institution de cette ampleur doit réussir à couvrir. Je ne pourrais pas objectiver mes propres préférences, il y en aura fatalement. Mais j'espère faire venir des artistes à Saint-Étienne qui n'y sont pas venus. Par exemple, Pauline Bureau qui sera la prochaine marraine de l'École.
Je ne veux pas d'un théâtre qui afficherait un style ou une ligne esthétique. Je ne crois qu'au mélange et à la confrontation, car c'est la vraie expérience que l'on fait tous.
Marc Chassaubéné a cité également quatre artistes, autrices et metteuses en scène, qui travailleront à vos côtés : Maëlle Poésy, Françoise Do, Adeline Rosenstein et Céline Champinot. Comment cela va se dérouler ?
L'idée est qu'elles soient présentes sur la durée de ce mandat. Il faut faire aujourd'hui avec le rythme de travail des artistes. Lorsque j'ai débuté mon travail de metteur en scène, au siècle dernier, je montais quasiment deux pièces par an. C'était une autre époque. Les rythmes de travail sont différents. Accompagner quelqu'un sur quatre ans, c'est peut-être lui permettre de créer un ou deux spectacles. Il est important de se donner du temps. Il y aura donc pendant ces quatre ans un accompagnement réciproque des artistes par l'institution et de l'institution par ces artistes. Il y aura aussi des liens forts avec des compagnies régionales. Le local, le circuit court est important et il faudra dialoguer sur cela aussi, sans chauvinisme.
Avoir une salle modulable comme l'est la Stéphanoise et un vrai grand plateau avec une salle de quasiment 700 places, cela ouvre un champ des possibles dont je me réjouis forcément.
Vous arrivez dans un outil magnifique que sont les locaux de la « nouvelle » Comédie avec toutes les possibilités techniques. Vous aurez donc les « coudées franches » pour développer votre projet ?
À Dijon, qui est ma ville et que j'adore, le théâtre se trouve dans une ancienne église. C'est un lieu magnifique mais je dois avouer qu'il est contraint avec une petite jauge et un plateau en forme de T. Arriver dans un outil comme l'est La Comédie, ça n'a absolument rien à voir. Avoir une salle modulable comme l'est la Stéphanoise et un vrai grand plateau avec une salle de quasiment 700 places, cela ouvre un champ des possibles dont je me réjouis forcément.
Le fait d'avoir une école de théâtre adossée est également un point qui vous plaît ?
Oui, l'enjeu de l'école est de se retrouver face à des jeunes gens appelés à créer un théâtre qui n'existe pas encore. Et vous devez les accompagner, les former... Comme le disait Vitez, « l'école est le plus beau théâtre du monde ». J'aime bien cette phrase. L'école est quand même le laboratoire des formes à venir. J'ai connu La Comédie par son école et c'est aussi beaucoup à cause de son école que j'ai voulu en prendre la direction.