Entre introspection et rétrospection, Jean-Pierre Améris s'approprie le roman autobiographique de Sorj Chalandon racontant une enfance face à un père mythomane. Une œuvre grave, complexe et cathartique, dominée par un Benoît Poelvoorde bipolaire tantôt exalté, tantôt féroce.
Lyon, 1961. Émile a un père formidable : parachutiste pendant la guerre, membre d'une armée secrète opposée à de Gaulle, fondateur des Compagnons de la Chanson... Las ! Rien n'est vrai et la mythomanie paranoïaque de cet homme tyrannique contamine dangereusement Émile...
Il faut parfois aller au plus près de soi-même pour toucher à l'universel et au cœur des autres. Jean-Pierre Améris en avait fait l'expérience avec son film sans doute le plus intime à ce jour, Les Émotifs anonymes (devenu comédie musicale outre-Manche) qui évoquait avec une délicatesse à la fois désopilante et touchante l'enfer de sur-timidité. Étonnamment, effectuer un détour peut également permettre d'accéder à des zones plus profondes de son âme. C'est le cas ici où la transposition du roman homonyme de Sorj Chalandon dont l'essence autobiographique fait écho à l'enfance du cinéaste. La proximité générationnelle et le cadre lyonnais commun ont sans doute contribué à rapprocher les deux histoires pour aboutir à cet hybride semi-fictif : un film épousant le point de vue d'un fils et tenant autant du conte gothique que du roman d'espionnage.
Parler ou mentir
Loin des reconstitutions-chromos aseptisées au Ripolin habituellement réservées aux évocations enfantines (type Petit Nicolas), Améris se coltine ici la face sombre et labyrinthique de l'enfance en l'inscrivant dans un décor lyonnais devenu étrangement onirique. Il rappelle en cela le traitement de Charles Laughton pour La Nuit du chasseur (1955) ; d'ailleurs, l'extraordinairement effrayant Poelvoorde, en glissant insidieusement du statut de magicien à celui d'ogre, rejoint par sa mythomanie maladive et l'exercice de sa tyrannie ordinaire le faux-prophète Harry Powell campé par Robert Mitchum. On ne soulignera jamais assez la puissance dramatique du comédien ; depuis Entre ses mains (2005) de Anne Fontaine, sa dimension trouble ou inquiète (donc inquiétante) ne cesse d'être explorée par des cinéastes métamorphosant ses fragilités en certitudes.
Film d'amours contrariées, de trahisons en série mais aussi hanté par les remords, Profession du père évoque, à côté des mensonges, le non-dit à 360° : dans la sphère familiale comme dans la société gaullienne d'alors. D'un côté, la peur maladive du qu'en-dira-t-on rongeant un foyer soumis à l'oppression d'un pater familias ; de l'autre, un pays déchiré par les “événements“ en Algérie, la tentation insurrectionnelle des généraux putschistes et la situation des Pieds-Noirs qu'on ne commente pas en public. Parole sous le boisseau, pays sous la Boisserie, il ne reste que l'imaginaire et l'illusion pour se libérer. Et donc le cinéma, naturellement...
★★★☆☆ Profession du père de Jean-Pierre Améris (Fr., 1h45) Avec Benoît Poelvoorde, Audrey Dana, Jules Lefebvre...