Lundi 7 mars 2022 En 1987 à Lyon, Sorj Chalandon couvre pour Libération le procès Barbie. Dans les travées du public, son père, menteur, maltraitant. Dans Enfant de salaud, publié en septembre dernier, l'écrivain mêle avec rigueur, intelligence et une immense...
“Profession du père“ de Jean-Pierre Améris : Complots de famille
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 16 août 2021

Photo : ©Caroline Bottaro
Entre introspection et rétrospection, Jean-Pierre Améris s'approprie le roman autobiographique de Sorj Chalandon racontant une enfance face à un père mythomane. Une œuvre grave, complexe et cathartique, dominée par un Benoît Poelvoorde bipolaire tantôt exalté, tantôt féroce.
Lyon, 1961. Émile a un père formidable : parachutiste pendant la guerre, membre d’une armée secrète opposée à de Gaulle, fondateur des Compagnons de la Chanson… Las ! Rien n’est vrai et la mythomanie paranoïaque de cet homme tyrannique contamine dangereusement Émile…
Il faut parfois aller au plus près de soi-même pour toucher à l’universel et au cœur des autres. Jean-Pierre Améris en avait fait l’expérience avec son film sans doute le plus intime à ce jour, Les Émotifs anonymes (devenu comédie musicale outre-Manche) qui évoquait avec une délicatesse à la fois désopilante et touchante l’enfer de sur-timidité. Étonnamment, effectuer un détour peut également permettre d’accéder à des zones plus profondes de son âme. C’est le cas ici où la transposition du roman homonyme de Sorj Chalandon dont l’essence autobiographique fait écho à l’enfance du cinéaste. La proximité générationnelle et le cadre lyonnais commun ont sans doute contribué à rapprocher les deux histoires pour aboutir à cet hybride semi-fictif : un film épousant le point de vue d’un fils et tenant autant du conte gothique que du roman d’espionnage.
Parler ou mentir
Loin des reconstitutions-chromos aseptisées au Ripolin habituellement réservées aux évocations enfantines (type Petit Nicolas), Améris se coltine ici la face sombre et labyrinthique de l’enfance en l’inscrivant dans un décor lyonnais devenu étrangement onirique. Il rappelle en cela le traitement de Charles Laughton pour La Nuit du chasseur (1955) ; d’ailleurs, l’extraordinairement effrayant Poelvoorde, en glissant insidieusement du statut de magicien à celui d’ogre, rejoint par sa mythomanie maladive et l’exercice de sa tyrannie ordinaire le faux-prophète Harry Powell campé par Robert Mitchum. On ne soulignera jamais assez la puissance dramatique du comédien ; depuis Entre ses mains (2005) de Anne Fontaine, sa dimension trouble ou inquiète (donc inquiétante) ne cesse d’être explorée par des cinéastes métamorphosant ses fragilités en certitudes.
Film d’amours contrariées, de trahisons en série mais aussi hanté par les remords, Profession du père évoque, à côté des mensonges, le non-dit à 360° : dans la sphère familiale comme dans la société gaullienne d’alors. D’un côté, la peur maladive du qu’en-dira-t-on rongeant un foyer soumis à l’oppression d’un pater familias ; de l’autre, un pays déchiré par les “événements“ en Algérie, la tentation insurrectionnelle des généraux putschistes et la situation des Pieds-Noirs qu’on ne commente pas en public. Parole sous le boisseau, pays sous la Boisserie, il ne reste que l’imaginaire et l’illusion pour se libérer. Et donc le cinéma, naturellement…
★★★☆☆ Profession du père de Jean-Pierre Améris (Fr., 1h45) Avec Benoît Poelvoorde, Audrey Dana, Jules Lefebvre…
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 21 janvier 2020 Dernière pierre ajoutée à son édifice ardennais, Adoration est le plus sauvage et solaire des éléments de la trilogie de Fabrice du Welz. Avant de s’attaquer à son nouveau projet, Inexorable, le fidèle d’Hallucinations Collectives livre quelques...
Mardi 21 janvier 2020 « Mes jeunes années (…)/Courent dans les sentiers/Pleins d'oiseaux et de fleurs » chantait Charles Trenet. À ce tableau pastoral, Fabrice du Weltz ajoute sa touche d’intranquillité et de dérangement faisant d’une fuite enfantine une course éperdue...
Mercredi 29 mai 2019 Comme un prolongement logique de son roman et de son spectacle, Ivan Calbérac a réalisé le film semi-autobiographique Venise n’est pas en Italie. Une démarche cathartique qui prend la forme d’une comédie, dont il s’est ouvert lors des Rencontres...
Mercredi 29 mai 2019 De Ivan Calbérac (Fr., 1h35) avec Benoît Poelvoorde, Valérie Bonneton, Helie Thonnat…
Mercredi 17 avril 2019 En incarnant le personnage dessiné par son idole Sempé, Benoît Poelvoorde se laisse aller à son penchant pour la tendresse. Et force sa nature en effectuant une performance physique : du sport…
Mercredi 17 avril 2019 De Pierre Godot (Fr. 1h30) avec Benoît Poelvoorde, Édouard Baer, Suzanne Clément…
Vendredi 15 février 2019 De Félix Moati (Fr., 1h30) avec Vincent Lacoste, Benoît Poelvoorde, Mathieu Capella…
Mercredi 17 octobre 2018 de Gilles Lellouche (Fr., 2h02) avec Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde…
Mercredi 4 juillet 2018 Si le script de Garde à vue avait eu un enfant avec le scénario de Inception, il aurait sans doute le visage de Au poste !, cauchemar policier qui commence par un concert et s’achève par un éternel recommencement. Du bon Quentin Dupieux avec...
Jeudi 31 mai 2018 Le prolifique Jean-Pierre Améris revient avec une comédie sentimentale qui parlera aux lombaires sensibles et aux reins délicats : la douleur dorsale en est en effet la colonne vertébrale…
Jeudi 31 mai 2018 de Jean-Pierre Améris (Fr., 1h26) avec Eric Elmosnino, Alice Pol, Judith El Zein…
Jeudi 31 août 2017 de Héctor Cabello Reyes (Fr., 1h31) avec Benoît Poelvoorde, Alexandra Lamy, Pitobash…
Mercredi 9 mars 2016 Le millésime 2016 des plus illustres cinéastes grolandais est arrivé, et il n’a rien d’une pochade : derrière son nez rouge de clown, Saint Amour dissimule une histoire d’amour(s) tout en sobriété.
Jeudi 23 juillet 2015 De Jean-Pierre Améris (Fr-Belg, 1h36) avec Benoît Poelvoorde, Virgine Efira…
Mardi 6 janvier 2015 Cette odyssée dérisoire de deux pieds nickelés décidés à voler le cercueil de Charlie Chaplin creuse surtout la tombe de son réalisateur Xavier Beauvois, qui signe un film apathique à tous les niveaux, sans forme ni fond.
Christophe Chabert
Mercredi 12 novembre 2014 De Jean-Pierre Améris (Fr, 1h38) avec Ariana Rivoire, Isabelle Carré…
Lundi 8 juillet 2013 De Nicolas et Bruno (Fr, 1h45) avec Benoît Poelvoorde, Fred Testot, Kad Merad…
Vendredi 21 décembre 2012 De Jean-Pierre Améris (Fr, 1h33) avec Gérard Depardieu, Marc-André Grondin, Christa Theret…