André Dussollier - François Ozon : « J'aime les défis, les choses un peu extrêmes »

Tout s’est bien passé / Comme toujours impressionnant dans le rôle d’un vieil homme diminué par un AVC demandant à sa fille de l’aider à mourir (et odieux), André Dussollier est au centre du nouveau film de François Ozon. Tout sauf mortifère, ce voyage au cœur d’une pure névrose familiale traversé d’éclats franchement burlesques, est adapté du récit d’une ancienne coscénariste du cinéaste, Emmanuèle Berhneim. Rencontre avec le réalisateur et son acteur.

Vous avez hésité avant d’adapter le livre d’Emmanuèle Bernheim…

François Ozon : En 2013, elle m’avait envoyé les épreuves de son livre en me demandant si ça m’intéressait, parce que plusieurs réalisateurs voulaient l’adapter. Je l'ai lu et l’ai trouvé très beau — elle m’avait raconté un peu l’histoire de son père. Mais je lui avais dit que je ne me sentais pas capable de raconter son histoire : c’était tellement personnel, tellement intime… Et la connaissant, je ne voyais pas trop où trouver ma place. J’ai passé mon tour. Là-dessus, Alain Cavalier a voulu faire un film avec elle (comme Pater avec Vincent Lindon) où elle jouait son propre rôle, elle a dit OK. Mais elle a développé un cancer assez fulgurant dont elle est décédée. Le film de Cavalier s’est alors transformé en documentaire, Être vivant et le savoir. Après sa mort, j’ai relu le livre et tout d’un coup, je n’ai plus vu ce qui m’avait fait peur en 2013 — le sujet, la fin de vie, le suicide assisté — mais autre chose : la famille, son rapport à son père, la responsabilité d’organiser quelque chose comme ça, et le poids que ça avait au sein d’une famille. Et là, je me suis lancé dans l’adaptation.

Le fait d’avoir été très proche d’elle du point de vue professionnel a-t-il pu être, pour vous, un obstacle ?

F.O. : Peut-être en 2013… Mais surtout parce que je n’avais pas envie de parler de ça à ce moment là. Je ne sais pas ce que j’ai fait en 2013 comme film, mais j’étais ailleurs. En plus, j’avais déjà fait Sous le sable (avec elle), Le Temps qu’il reste et Le Refuge, qui sont déjà assez pesants, sur le deuil. Là aussi, c’est une histoire de deuil — de deuil qu’il faut faire du vivant de la personne. Même quand on sait qu’une personne va mourir, c’est toujours un choc. C’est un travail à faire, d’accepter…

André Bernheim est un personnage assez fascinant…

F.O.: Ah oui, c’est un personnage monstrueux ; à la fois attachant, tyrannique, égoïste, égocentrique… André [Dussollier] s’est délecté à jouer toutes ses facettes et moi j’étais un peu comme ses filles : partagé, admiratif de sa liberté, et de sa part d’égoïsme à vivre sa vie comme il veut, et à mourir comme il veut ; de cette manière d’affronter aussi la mort droit dans les yeux, sans tabou, alors qu'on est dans une société où la mort et la vieillesse sont tout le temps mises de côté. Lui, au moins il assume. Par ailleurs, il est extrêmement pervers de demander ça à sa fille, alors qu’il pourrait se débrouiller tout seul, comme le dit l’avocat. Il y avait toute cette névrose familiale qui était intéressante à raconter.

Il y a une figure d’ogre dans ce personnage. Et dans la structure du film, un conte de fées avec deux princesses et un roi…

F.O. : Oui (rires) Barbe-bleue ? Je pense qu'il y a quelque chose d’assez universel dans cette histoire : on part de quelque chose de très très intime, très spécifique, dans une famille particulière. Mais finalement, le film nous renvoie à nos propres relations avec nos parents et avec nos frères ou sœurs. En cela, je trouve que le livre était vraiment beau. Partir de l'intime pour aller vers de l’universel, et à la fin poser des questions qui nous interrogent.

André, est-ce difficile de s’attaquer à un rôle comme celui-ci ?

André Dussollier : Excitant, surtout. J’aime bien les défis, les choses un peu extrêmes. J’avais bien aimé jouer Staline dans Une exécution ordinaireOu avec Jeunet.  J’avais été saisi un jour, en rentrant dans une salle pour voir L’Impasse de Brian de Palma : je n’avais reconnu Sean Penn qu’au bout de vingt minutes. C’est bien quand un acteur qu’on connaît vous surprend parce qu’il se livre complètement au personnage pour le bien de l’histoire. Donc quand Ozon m’a proposé ce rôle de personnage assez atypique, particulier, pas facile — ni forcément sympathique d’ailleurs —, atteint d’un AVC, handicapé, avec Sophie Marceau, il y avait vraiment un défi formidable, vraiment très excitant.

Mais il y a eu beaucoup d’étapes préliminaires : ça demandait quand même que je m’informe un peu. On avait un socle, la vidéo faite par le vrai André Bernheim, que j'ai toujours sur mon portable. Il était âgé de 90 ans, il avait fait la rééducation, il allait mieux, mais il avait ce désir de mourir qu’il exprimait à sa fille. Cette vidéo m’a aidé à me rendre compte de qui était le personnage. Le tout était, à la fois de créer cet André Bernheim qui est particulier, et à la fois l’état dans lequel il est. Donc, j'ai aussi vu des documentaires sur les gens atteints d’AVC, et puis aussi sur la fameuse association suisse, qui s’appelle Dignitas.

On a aussi beaucoup répété en amont avec François, pour qu'il voit comment je ressentais les choses. J'avais aussi des images autour de moi, de gens frappés par un AVC. Après, pour que l'on y croie, il fallait qu’il y ait un maquillage adéquat, donc on est allé chercher quelqu’un que je connaissais bien déjà, Pop, un professionnel des effets spéciaux, et on m’a ajouté six ou sept prothèses pour fermer l’œil, pour aplanir la joue et la rendre absolument inerte et immobile… Charlotte Rampling m’a dit un jour, en découvrant mon visage maquillé : « rendez-vous compte : il y a des femmes qui paieraient des fortunes pour avoir une lèvre comme la vôtre » (rires). Et puis j’ai travaillé ma voix pour qu’elle soit atténuée, sourde, détimbrée…

Qu’est-ce qui permet à un comédien de s’attacher à un tel personnage ?

A.D. : Ah, je pense que c’est sa personnalité ! Ce personnage a beaucoup de relief, il est quand même très virulent, et dit ce qu’il pense tout le temps. C’est un régal de dire à Sophie Marceau qu’elle était moche comme un pou (rires), entre autres choses extravagantes. Et d’ailleurs, le personnage de Sophie Marceau dit « je le détestais comme père mais j’aurais bien aimé l’avoir comme ami ». C’est très égoïste et épouvantable. Il y a de quoi le gifler ! Mais — et je n'a jamais parlé de ça avec François — j’ai l’impression que cette manière de vouloir la mort et d’entraîner toute sa famille, c’est comme comme s’il voulait réunir tout le monde par une célébration de la vie. Alors, ce n'est pas sympathique par moment, mais il n’est pas dépourvu d’humour, de cynisme et pour un comédien, c’est évidemment agréable d’avoir ces bascules.

Vous n’aviez encore jamais tourné avec François Ozon.…

A.D. : En effet. Et ce qui est bien chez lui, c’est qu’il écrit le scénario, il réalise et il cadre : il est derrière la caméra. J'avais donc l’impression d’être en liaison directe avec l’auteur. Avec sa caméra, il allait chercher des choses qui l’intéressait, il était le premier spectateur de son film, c’était comme un jeu. Et il laissait entrer toutes les choses qui se passaient : il les avait écrites, et puis il voyait ce qu’elles pouvaient donner. Il a rajouté par exemple une scène qui n’était pas prévue au scénario. On était en train de tourner dans un hôpital, et, comme il y avait des vrais infirmiers, il a profité de l’occasion pour me demander : « ça ne vous ennuie pas d’être nu sur votre fauteuil et d’être lavé par l’infirmière? » Je trouvais que c’était très cohérent avec le reste, pour montrer la dépendance, l’humiliation, que ça peut être pour un malade d’être là. Ça ajoutait au fait qu’il veuille se suicider.

Lorsqu’un film possède une aussi forte intensité dramatique, avez-vous besoin de “soupapes“ sur le tournage ?

A.D. : Déjà, on s’amusait avec les aspects comiques. Et puis, l’avantage c’est que Ozon est un homme rapide, un homme pressé. Et moi ça me convient bien parce qu’au cinéma, le plus difficile, c’est vraiment de trouver sa place entre la technique qui prend du temps, et puis le tournage où l’on est prêt et on attend que la technique soit prête pour pouvoir se lâcher. Et lui, il est tellement rapide qu’il dit moteur avant que le chef-opérateur ait installé les projecteurs. Ce rythme-là fait qu’on n’a pas trop le temps de s’ankyloser dans une humeur.

F.O. : Ce n'est pas moi qui suis rapide, ce sont les autres qui sont lents (rires). Ce n’est pas que je vais vite, c’est que je fais en sorte que le temps sur le plateau soit pour les acteurs. Donc c’est vrai que les acteurs ont l’habitude que la technique prenne beaucoup de temps, et moi je dis « allez, on y va » alors que le micro n'est pas encore là. Ils jouent donc tout le temps. C’est agréable pour eux d’avoir cette cette impression qu’il n’y a pas de temps perdu, et que le temps est pour le jeu. La technique doit être service du jeu, des acteurs.

Pour Eté 85, vous aviez renoué avec le super-16, vous repassez ici au numérique. Qu’est-ce qui préside au choix technique ?

F.O.: Les sujets. Été 85 est un film qui joue sur la nostalgie, sur le passé, sur une époque particulière ; le 16 millimètres était le format que j’utilisais quand je faisais des courts-métrages, je voulais une sensualité des peaux… Là, ça s’est un peu imposé, il s’agissait d’être assez clinique — surtout pour le début du film. Donc le numérique, ça fonctionnait bien. Après, c’est aussi un choix de production financier avec Hicham Alaoui (qui a fait aussi Été 85). L’idée pour moi, c’est que la technique sert le film et que les les choix artistiques en découlent.

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