« La galère des intermittents n'est pas encore terminée »

Dossier - Interview / Des contrats annulés, de l’incertitude, des vides juridiques, une précarité des statuts… Depuis le début de la crise, les travailleurs des métiers du spectacle ont vécu un ascenseur émotionnel et financier très fort… Qu’ils ont tenté de surmonter en se serrant les coudes. Rencontre avec Fred, Angeline et Bastien, trois membres du Collectif des Intermittents et Précaires de la Loire, pour un retour sur ces 18 mois de combat.

A l’heure de « la reprise », comment allez-vous ?

Fred et Bastien : On sent que les techniciens qui ont recommencé à travailler sont vraiment heureux, ça fait un bien fou de se retrouver, d’être ensemble, de sortir de l’isolement dans lequel on s’est retrouvé. Cela dit, la reprise ne sera effective que lorsque les gens reviendront au spectacle.

Angeline : On créé, on joue ou on monte des spectacles pour le partage avec le public. Sans cela, ça n’a pas de sens. Et puis, si je dois parler de mon cas, la reprise n’est pas encore là. Cela fait un an que je n’ai pas joué, et je ne rejouerai pas tout de suite, puisque de nombreuses dates ont été décalées à 2022, pour davantage de sécurité au cas où la situation se redégraderait cet automne. Pour ma part, je ressens donc encore beaucoup d’usure et de fatigue.

Malgré tout, ces derniers mois, les salles ont réouvert, les événements ont repris, et l’année blanche a été prolongée jusqu’en décembre. Est-ce que cela signifie que cette rentrée signe la fin de la crise pour les intermittents du spectacle ?

Là encore, la réponse n’est pas si simple : oui, la prolongation de l’année blanche a été un soulagement, et va permettre à de nombreux intermittents de voir le bout du tunnel. Malgré tout, il reste beaucoup d’incertitudes : les techniciens signent leurs contrats de travail 20 minutes avant de commencer à travailler, en arrivant sur site. Qui nous dit que nous serons rappelés pour les dates qui ont été repoussées ? Sans compter les cachets que nous n’avons pas faits, qui impacteront à la baisse le montant de nos revenus de remplacement de 2022, dans les périodes où nous ne travaillerons pas. Par ailleurs, on s’attend aussi à ce qu’après avoir été soutenues durant la crise, les conditions d’octroi du statut d’intermittent du spectacle soient rediscutées, voire, remises en cause.

La galère n’est donc pas encore terminée…

Non pas encore… Et puis aujourd’hui, on voit apparaitre un autre problème… Comme dans la restauration, les crewboss, (qui organisent les équipes de travail pour monter et démonter les sites de spectacle) ont du mal à trouver du monde : avec les reports, les saisons sont denses et il y a donc trop de spectacles pour le nombre de bras qualifiés disponibles, d’autant que de nombreux techniciens ont quitté le métier durant la crise.

Dans ces conditions, on suppose que votre mobilisation va se poursuivre ?

Bien sûr, a fortiori parce que les idées que nous défendons depuis le départ ne concernent pas que les intermittents du spectacle, mais plus généralement les intermittents de l’emploi. Ce sont les agents de sécurité, qui, dans les salles de spectacles, veillent à ce que tout se passe bien. Ce sont les femmes de ménage, qui les lendemains du spectacle, viennent nettoyer la salle à 4 heures du matin. Ce sont les restaurateurs qui installent leurs food-trucks à proximité des salles lors des événements culturels.

Ils n’ont pas le même statut que nous, alors qu’ils vivent la même chose : des périodes d’activité, suivies de période sans activité. Eux, vont être très durement touchés par la réforme de l’assurance chômage : nous allons donc continuer à militer au profit d’une intermittence généralisée, qui offre un vrai revenu de remplacement dans les périodes de creux, à tous ceux qui vivent l’emploi de cette manière-là.

Justement, le CIP42 s’est montré très vite très militant après sa création. Vos combats ont-t-il déjà commencé à payer ?

La première victoire, c’est d’avoir réussi à imposer l’expression « intermittent de l’emploi » dans la bouche de certains politiques, et donc, dans le débat public. Cela signifie que la prise de conscience est en marche. Par ailleurs, on s’est très vite rendu compte que l’année blanche telle qu’elle avait été instaurée comportait des failles juridiques assez folles, notamment en ce qui concernait l’assurance maladie. Nous avons pu faire remonter ces problématiques, nous avons démontré la vulnérabilité des situations, et certains cas que nous avons défendus ont pu faire jurisprudence.

Finalement, votre mobilisation renverse un peu la situation : alors qu’on a toujours perçu l’intermittence comme un statut « à part », vous souhaiteriez presque en faire une norme…

Oui, et bien au-delà des métiers du spectacle, d’ailleurs. Intermittent, ce n’est pas un métier, c’est aujourd’hui un statut, mais c’est surtout, et de plus en plus, une situation, pour de très nombreuses personnes. Le CDI et tout ce qui s’y rattache ne sont plus forcément la norme aujourd’hui, il faut donc trouver un moyen de sécuriser les revenus des personnes : en cela, le fonctionnement du régime de l’intermittence du spectacle peut être un bon moyen.

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