Pascal Elbé : « Quand on est prêt à se regarder, on peut enfin se tourner vers l'autre »

On est fait pour s’entendre / Pascal Elbé signe une charmante rom-com dans laquelle il campe un prof tombant des nues en se découvrant malentendant et amoureux de sa voisine interprétée par Sandrine Kiberlain. Un regard original sur l’ouïe défaillante, entre autres handicaps invisibles…

Qu’y a-t-il de personnel dans ce film ?

Pascal Elbé : Absolument rien (sourire) Non, en fait, c’est un problème personnel : j’ai perdu l’audition il y a quelques années ; c’était le prétexte parfait pour parler de sentiments, de notre rapport à l’autre, de cette époque où on a du mal à se tourner les uns vers les autres, à s’entendre. On vit dans une époque ultra connectée, de relations d’amis virtuels, où il y beaucoup de solitude — pas que dans les grandes villes, dans les campagne aussi. Alors un personnage amputé d’un sens, qui rencontre un autre personnage, elle aussi diminuée dans son rapport à l’autre, j’ai trouvé que ça résonnait, ça s’alignait bien. Et comme j’ai découvert que j’étais devenu romantique, j’en ai fait une comédie romantique parce qu’apparemment le romantisme, c’est quand deux personnes finissent par se trouver… ce qui est un peu le principe de la vie.

Par rapport à votre vécu, que vous a apporté la lecture du livre de David Lodge, La Vie en sourdine ?

On m’avait conseillé ce livre qui raconte la vie au quotidien d’un professeur d’université en semi retraite qui n’entend plus rien, avec sa femme, sa famille etc. Quand je l’ai lu, Lodge avait mis des mots sur les choses justes que je ressentais. Je tournais les pages en souriant, très ému, en me disant : « c’est exactement ça, mais jamais je ne pourrais le partager parce je ne connais personne d’autre dans mon cas, à mon âge. » Et puis finalement, ce sentiment qu’il a mis en mots, j’ai essayé de trouver un moyen de le transmette en images en faisant une comédie… qui nous raconte. Plus que l’histoire d’un-homme-qui-va-apprendre-à-écouter-le-jour-où-il-devient-sourd-dingue… ou de ces-âmes-cabossées-qui-finissent-pas-se-rencontrer. Ou que le rapport avec la transmission (avec une enfant qu’il faut accompagner), ou la peur que l’on a d’accorder sa confiance… En fait, il y presque tous les chapitres de vie que j’ai traversés.

Métaphoriquement, c’est aussi un film sur la “bonne entente” entre soi et les autres…

Dans le film, mon personnage se replie au début, comme tous les gens qui découvrent un handicap ou une singularité ; il fuit un peu la compagnie des hommes comme dirait David Lodge. La bonne entente, c’est le chemin qu’on emprunte tous : avant d’aller vers l’autre, il faut d’abord aller vers soi, on le comprend très tard. Il y a des gens qui ne s’accordent jamais cette période de réflexion “entre soi et soi” qui vous fait grandir et mûrir — que j’ai traversée. Quand on est prêt à se regarder et à s’accepter, on peut enfin se tourner vers l’autre.

Vous donnez à voir de la bienveillance, des singularités et des solitudes, mais aussi à ENTENDRE le son du silence et celui de la surdité — ce qui est paradoxal — et celui de l’appareillage. Quelles instructions avez-vous données pour que cette restitution soit perceptible pour les personnes non sujettes aux problèmes auditifs ?

Quand j’allais voir les gens pour les convaincre du projet, je leur expliquais que ce qu’on ne pouvait pas se permettre dans la littérature, on pouvait utiliser des outils et la grammaire du cinéma pour mettre le spectateur en immersion — c’était le but premier de cette aventure. Il a donc fallu essayer avec mon monteur son et les ingés-son de restituer cette sourdine, ces acouphènes, cette espèce de bruit métallique… Très souvent d’ailleurs, il a fallu chercher, tâtonner avec eux, que j’essaye avant de dire : « on y est ! c’est à peu près ce que je ressens je si je ferme les yeux »

Vous savez, c’est quand on perd un sens que l’on se rend compte de ce que l’on avait. Sans vouloir jouer au porte-parole, je fais pas mal de prévention. Il faut faire attention : la perte peut être irrémédiable. En étant appareillé, il y a mille choses que j’ai redécouvertes. Mille petits bruits, mille sons qui vous ramènent à la vie avec beaucoup de poésie : la pluie, le vent dans les feuillages… Toutes ces petites choses dont on est complètement coupés dans la ville. Parce que notre société nous en coupe…

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