Lundi 28 mars 2022 Au moment d’accomplir son devoir civique, le citoyen trouve avec Le Monde d’hier et En même temps deux films entrant spectaculairement en résonance avec les problématiques politiques et politiciennes hexagonales. Quand le cinéma raisonne davantage...
Oranges Sanguines : Pas de quartier !
Par Vincent Raymond
Publié Mercredi 17 novembre 2021
Photo : ©Rectangle Productions - Mamma Roman
corrosif / Deuxième incursion du maître de La Compagnie des Chiens de Navarre au cinéma après le bancal Apnée, Oranges Sanguines rectifie le tir pour viser juste dans plusieurs directions à la fois : politique, économie, famille, adolescence... Un tableau acerbe et féroce de la société française, façon puzzle.
Pendant qu'un ministre des Finances tente de gérer en coulisses l'étouffement d'un scandale médiatique (en clair, ses fraudes fiscales), un couple de vieillards surendettés essaie de se sortir de sa mouise en participant à un concours de rock. Et une adolescente rêve à sa première fois. Mais, méfiance, dans la campagne profonde, un frappadingue attend son heure pour commettre des agressions sexuelles. La France, en 2021...
Passer des planches à la caméra est rarement une sinécure pour les metteurs en scène, qui doivent apprendre à changer de dimensions : réduire les trois de la scène à deux pour l'écran, et puis dompter le temps à coup d'ellipses et de montage. Jean-Christophe Meurisse avait sans doute besoin d'ajustements à l'époque d'Apnée, objet peu mémorable aux faux-airs de prototype ; il en a tiré de vertigineuses leçons pour ces Oranges Sanguines. Volontairement “impur” dans sa forme — une construction de saynètes se succédant avant de s'entremêler rend le fil de sa narration discontinu, mais l'effet mosaïque en résultant sert admirablement le propos — ce film choral restitue l'impureté de la chose publique, les arrangements boiteux, les hubris hypertrophiés, les masques sociaux et l'hypocrisie ambiante dont, pourtant, personne n'est dupe. Il se fait également hybride dans son genre puisqu'il emprunte autant à la comédie dramatique sociale anglaise qu'au rape and revenge gore ou au trash belge sans que l'émulsion ne paraisse artificielle.
Dialogue, distribution, jeu sont impeccables, tout particulièrement Christophe Paou, en clone (physiquement parlant) de Michel Noir, avec son sourire carnassier, son regard inquiétant et sa langue de bois. Et si l'on rit devant ces polaroïds du cynisme contemporain érigé en norme, c'est jaune : qui est le plus monstrueux ? L'élu menteur, l'ado traumatisée, l'avocat truqueur, le banquier avide, le prédateur sexuel ? Chacun fabrique le monstre de son prochain. Un bijou corrosif tragiquement drôle.
Produire, dit-elle
Puisque tout démarre par une *banale* histoire de gros sous, évoquons ici — une fois n'est pas coutume —, la figure du producteur. En l'occurrence de la productrice Alice Girard qui, via Rectangle Productions, se retrouve trois semaines consécutives aux génériques de trois des films les plus notables de ce riche mois de novembre. Après l'extraordinaire vrai-faux biopic Aline de Valérie Lemercier et avant le singulier Lion d'Or L'Événement d'Audrey Diwan, Oranges Sanguines complète assez logiquement la série par son originalité de ton. Outre le fait qu'il s'agit de films d'autrices et d'auteur, ces trois réalisations n'ont pas grand chose en commun, et visent des “cibles” différentes. Mais leur présence concomitante dans la ligne éditoriale de Rectangle fait sens non seulement parce qu'elle dessine l'éclectisme de sa ligne éditoriale ainsi qu'une certaine cohérence économique. On ne dira jamais assez l'importance de ce métier dans l'écosystème cinématographique hexagonal, lorsqu'il s'agit non pas de produire (à la chaîne) de la comédie formatée, en définitive, pour le réceptacle télévisuel, mais bien des films aux ambitions artistiques manifestes. Là est la prise de risque justifiant la nécessité de maintenir une authentique exception culturelle...
★★★★☆ Oranges Sanguines de Jean-Christophe Meurisse (Fr., int. -12 ans, 1h42) avec Alexandre Steiger, Christophe Paou, Lilith Grasmug, Denis Podalydès, Blanche Gardin...
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Jeudi 30 décembre 2021 Adaptation d’un roman de Philip Roth qui lui trottait depuis longtemps en tête, la tromperie de Desplechin est aussi un plaidoyer pro domo en faveur du droit de l’artiste à transmuter la vérité de son entourage dans ses œuvres. Quitte à...
Vendredi 29 octobre 2021 Traditionnellement d’une haute densité qualitative, cette fin d’année bat des records en accueillant des films bloqués depuis… début 2020 ! Une aubaine pour le public, mais un risque non négligeable pour des œuvres qui risquent de se dévorer les...
Mardi 7 septembre 2021 Thésarde légère et court vêtue, Anaïs est plus ou moins en couple avec Raoul. Mais voici qu’elle croise Daniel, un quinqua séduit par sa fraîcheur. Anaïs n’est pas (...)
Lundi 6 septembre 2021 Être spectateur de cinéma, c’est comme la bicyclette : ça ne s’oublie pas. Et s’il faut un traitement de choc pour se remettre en selle ou en salle, le programme prévisionnel des sorties de cette fin 2021 en a sous la pédale. Reste à espérer que la...
Mardi 25 août 2020 Sortant en salle alors qu’ils assurent chacun “la demi-présidence“ du Festival d’Angoulême — « trop content parce qu’on adore la présidence et les demis » — le 9e long métrage du duo Kervern & Delépine accueille une nouvelle convive, Blanche...
Mardi 25 août 2020 Bienvenue dans un monde algorithmé où survivent à crédit des banlieusards monoparentaux et des amazones pas vraiment délivrées. Bienvenue face au miroir à peine déformé de notre société où il ne manque pas grand chose pour que ça pète. Peut-être...
Mardi 15 mai 2018 Pour raconter ses jeunes années entre Rennes et Paris, quand le sida faisait rage, Christophe Honoré use de la fiction. Et les spectateurs, avec un pensum dépourvu de cette grâce parfois maladroite qui faisait le charme de ses comédies musicales. En...
Mercredi 2 mai 2018 Dans la peau d’un petit escroc à l’aura pâlissante, Kad Merad effectue pour Comme des rois de Xabi Molia une prestation saisissante, troublante pour lui car faisant écho à sa construction d’acteur. Propos glanés entre les Rencontres du Sud d’Avignon...
Mercredi 7 mars 2018 de 13 réalisateurs (Fr., 0h42) animation avec les voix de Isabelle Carré, Denis Podalydès, Christian Pfohl
Jeudi 14 septembre 2017 de Olivier Ayache-Vidal (Fr., 1h46) avec Denis Podalydès, Léa Drucker, Zineb Triki…
Mardi 1 novembre 2016 Alors que vient de sortir leur film Apnée, les Chiens de Navarre passent par Saint-Étienne avec leur dernière turbulence en date, le très mordant quoique surévalué Les Armoires normandes. Critique. Nadja Pobel
Mercredi 19 octobre 2016 Un film de Jean-Christophe Meurisse (Fr, 1h29) avec Céline Fuhrer, Thomas Scimeca, Maxence Tual…
Mercredi 29 mai 2013 Quelque part entre Simenon et Weerasethakul, Alain Guiraudie installe une intrigue de film criminel sur les bords d’un lac transformé en paradis homo, interrogeant les mécanismes du désir et l’angoisse de la solitude. Drôle et envoûtant. Christophe...