Le Film du Mois / Un argument presque truffaldien dans un contexte de péril environnemental... Louis Garrel confirme la grâce et la force de son cinéma dans un conte moderne méritant d'être celui de Noël. Bravo !
Jeunes quadras parisiens, Abel et Marianne découvrent que leur ado Joseph a subrepticement vendu quantité d’objets leur appartenant depuis des mois pour financer un grand projet secret, auquel participe une internationale d’enfants désireux de prendre l’avenir de la planète en mains. La stupeur passée, et si Joseph leur avait ouvert les yeux ?
Sale temps pour la planète, et triste époque pour le documentaire environnemental. Depuis que le drone permet de tourner des belles images écologiquement déculpabilisées des reliquats de la beauté du monde, les ciné-tracts concernants s’additionnent, s’empilent, s’entassent sur les écrans. Tous se veulent lanceurs d’alerte (ils n’ont pas tort : la maison brûle) ; tous s’estiment légitimes (ils ont raison : ils vivent sur Terre et c’est la seule planète habitable). Mais le cri qu’ils pensent singulier se noie finalement dans un brouhaha de hérauts du climat, de la nature, de la jeunesse-qui-s’engage, des initiatives… Inconsciemment sans doute, ils finissent par construire les mêmes constats alarmo-catastrophistes tempérés par l’héroïsation optimiste d’une nouvelle génération volontariste. Dans la même esthétique. Du nanan pour les sorties scolaires ou les convertis de la première heure. Et un documentaire chasse l’autre par substitution, peu ou prou. Mais la maison continue à brûler…
Bref, c’est très bien…
Alors, s’il ne fallait conserver qu’un film de cette année ayant connu à Cannes une sélection d’œuvre “pour l’environnement”, ce serait sans hésitation La Croisade de Louis Garrel. Parce que c’est une fiction ? Justement, mais pas seulement. Parce qu’elle tient de la fable ou du conte, au sens le plus traditionnel du terme, un genre dont raffolait le regretté Jean-Claude Carrière — co-auteur de ce qui sera son ultime contribution au cinéma. La fable ne chapitre pas : elle emporte dans son récit et laisse au bout du compte dans le repli de sa morale une petite graine en contrebande, moins périssable que celle de l’épidermique reportage documentaire. C’est en partie pour cela que le grand public est aujourd’hui plus enclin à voir et revoir Le Dictateur de Chaplin, To Be or not To Be de Lubitsch, Blitzwolf de Tex Avery que les docs de propagande Why We Fight de Litvak et Capra, alors que le message s’avère identique : combattre les nazis.
Si, comme on le voit ici « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », peu importe la durée d’un film s’il atteint son harmonie narrative. Inhabituellement bref sur le papier (1h07), La Croisade se révèle d’une stupéfiante densité en embrassant pleinement son sujet et en le traitant avec force rebondissements cocasses, mais aussi en offrant des sous-intrigues de rom-com adolescente, de semi-anticipation ou de corrosive satire sociale au rythme impeccable… sans négliger de nimber le tout d’une poésie rendant l’utopie crédible. L’imbrication est si naturelle qu’on a l’impression d’assister à une tranche de vie ordinaire chez des bobos parisiens un peu perchés et adulescents mais finalement prêts à entrer dans le concret du monde, poussés aux fesses par des enfants plus mûrs qu’eux. La nonchalance lunaire de Louis Garrel, à laquelle répond la bienveillance maternante de Laetitia Casta, font merveille : ils apparaissent plus dilettantes que leur Joseph ; d’ailleurs, ils ne savent même pas se fâcher lorsqu’ils découvrent sa “bêtise”. La mise en scène, tout en fluidité, épouse leur candeur ; elle nourrit le conte par ses respirations et sa légèreté. Et le message passe avec élégance. Cette Croisade mérite de devenir un classique et, pourquoi pas, d’inspirer des vocations…
★★★★☆ de et avec Louis Garrel (Fr., 1h 07) avec également Laetitia Casta, Joseph Engel, Julia Boème…