Droits aux putes ! : “Une femme du monde” de Cécile Ducrocq & ”Au coeur du bois” de Claus Drexel

Ecrans / Le hasard place le même jour sur les écrans deux beaux films qui, bien qu’opposés dans la forme, mettent en scène des prostitué·es témoignant de leur désir d’exercer leur profession. Une singularité de regard courageuse, à une époque où souffle un puritanisme de tartufes.

D’un côté, un documentaire sur les travestis/trans/prostitué·es du Bois de Boulogne, que la caméra de Claude Drexel cadre en plan fixe à toutes les saisons de l’année, recueillant leurs confidences sur leur vie au quotidien, leur travail du sexe et ce qui les a conduit·es à le pratiquer. De l’autre, une fiction de Cécile Ducrocq où une mère courage se tue à la tâche en multipliant les passes pour payer une école de cuisine privée à son grand dadais d’ado qui tourne mal. Si dans les deux cas, il n’y a pas d’héroïsation ni d’érotisation de la prostitution, il n’y a pas non plus de misérabilisme ou d’apitoiement de dame-patronnesse sur le sort des protagonistes. Ce qui n’empêche pas les films d’être magnifiquement photographiés, offrant ici des natures mortes sublimes ; là des plans dignes de Schatzberg ou de pochettes de 33t.

Des hommes et des femmes…

Dans Une femme du monde, le personnage joué par Laure Calamy est d’ailleurs une militante affirmant haut et clair, au sein d’une association et devant le parlement de Strasbourg, son droit à faire son métier librement, vitupérant en compagnie de ses consœurs-frères la loi hypocrite pénalisant les clients — passée en 2016 sour Hollande, censée protéger des réseaux de proxénétisme mafieux les personnes vulnérables sans interdire la prostitution, mais plaçant de fait celles et ceux la choisissant délibérément dans une plus grande précarité. Oh, Cécile Ducroq n’idéalise rien ; elle montre la différence de “standing” entre les indépendantes cultivant leur bout de trottoir et leurs habitués, et puis les filles des camionnettes exploitées par wagons entiers ou les “pensionnaires“ des bordels teutons. Pas d’amalgame entre le choix consenti et l’abattage ou l’esclavagisme, donc.

Dans Au cœur du bois (titre à comprendre sous toutes les acceptions possibles), la pudeur et l’écoute sont, comme les intervenant·es, au centre du dispositif. Jamais aussi bon cinéaste que lorsqu’il signe des documentaires (voir America), Claus Drexel se fait oublier le plus possible pour offrir à ses vis-à-vis l’occasion de se raconter et, parfois, de se délivrer de lourds fardeaux. Où l’on mesure qu’il y a bien dans leur sacerdoce, une fonction sociale essentielle que des beaux esprits s’abstiennent de considérer : le “rapport” n’est pas que sexuel, mais aussi humain voire psychanalytique avec le client. L’inconscient bourgeois des législateurs ayant résolu de débarrasser les rues d’une évocation/incitation à la sexualité, a provoqué outre la baisse des revenus des péripatéticiennes, le retour des claques clandestins, le tout dans un climat quasi victorien. Le progrès par la régression, en somme.

Transparent avec ses interlocuteurs et -trices, Drexel montre qu’il a parfois dû payer pour obtenir des confidences, client d’un échange. Mais aussi combien il a su gagner leur confiance et leur respect pour les mettre ainsi à nu par la parole, captée à la source comme Cécile Ducrocq.

★★★☆☆Au cœur du bois de Claus Drexel (Fr., 1h30)

★★★☆☆Une femme du monde de Cécile Ducrocq (Fr., 1h35) avec Laure Calamy, Nissim Renard, Béatrice Facquer…

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