Nessim Chikhaoui : « Placés met un visage sur des chiffres »

Placés / Retour à la case éducateur pour Nessim Chikhaoui. Pour son premier long métrage, le co-scénariste des Tuche et du Doudou fouille ses souvenirs et signe une comédie très ancrée dans la réalité sociale des maison d’accueil pour les mineurs et jeunes majeurs. Rencontre lors du Festival de Sarlat.

Qu’y a-t-il de personnel dans votre film ?

Nessim Chikhaoui : J’ai été éducateur en MECS (maison d’enfance à caractère social) pendant 7 ans à Draveil, et ensuite 3 ans, en AEMO (aide éducative en milieu ouvert) où l’on suit des jeunes qui sont encore chez eux. Beaucoup de situations du film sont réelles et vécues, d’autres romancées. C’est important pour moi de montrer cet aspect du métier, qu’on ne voit pas forcément dans tous les documentaires. Bon, il manque quand même les assistantes sociales, les psychologues, mais je pouvais pas mettre tout le monde, donc on s’est concentré sur les éducateurs et les jeunes pour des raisons scénaristiques. Il y a déjà beaucoup de personnages.

Pourquoi votre héros débarque-t-il dans ce milieu après avoir manqué le concours de Sciences-Po ?

L’idée était d’emmener quelqu’un qui n’était pas du tout destiné à faire ce métier.. Moi, j’aurais aimé être prof de sport ou CPE, mais on a choisi un truc assez élevé et un diplôme qui parle à tout le monde. En fait, je crois que le concours ne se passe pas du tout comme on le montre dans le film (sourire).

Si le film est une comédie, il aborde des thèmes de société très politiques. Comme les fins d’accompagnement brutales, qui peuvent précipiter à la rue du jour au lendemain des mineurs atteignant 18 ans…

Ce sujet des “sorties sèches” et des contrats “jeune majeur“ est arrivé un peu plus tard dans l’écriture. J’en parlais de manière “naturelle” à ma co-autrice Hélène Fillières et elle trouvait ça horrible — quand on se pose un peu, c’est vrai que c’est horrible. Je suis parti de chez parents à 27 ans, la moyenne je crois est de 25 ans. Et on demande à des jeunes qui ont des problématiques compliquées d’être plus autonome, plus rapidement que n’importe quel autre jeune. Placés permettait aussi de mettre un visage sur sur ces “sorties sèches”, qu’on ne reste pas sur des chiffres et montrer quelqu’un qui représente ces jeunes à 18 ans.

Comment Hélène Filières s’est-elle nourrie de votre expérience et comment avez-vous travaillé ensemble ?

Au départ, Hélène était sur un autre projet dans les bureaux d’Albertine Production que dirige son mari Matthieu Tarot. Je savais qui elle était à travers Mafiosa, mais je ne connaissais pas son travail de réalisatrice ; je me disais seulement qu’on n’était pas du même monde, elle venant de Mafiosa et moi des Tuche, c’était le grand écart. De mon côté, j’avais écrit une première version et je lui ai fait lire comme ça, pour avoir un avis extérieur — parce qu’elle ne connaissait pas le milieu social. C’était vraiment une consultation amicale. Et tout ce qu’elle disait, c’était super. Alors, pour la deuxième version, je lui ai proposé qu’on écrive ensemble. Ce qu’elle m’a apporté, c’est de la profondeur, le côté auteur que je n’avais pas forcément. On s’est complétés. Maintenant, on travaille sur un autre projet ensemble, on a trouvé une bonne manière de fonctionner.

Vous montrez que c’est un métier difficile qu’on n’imagine pas faire longtemps…

La plupart de mes anciens collègues à la MECS sont encore en place. J'en suis parti à cause des horaires, des nuits, des trajets entre Paris et la banlieue et parce que je venais de me mettre en couple. Ça devenait compliqué. Et puis quand on fait des nuits, on dort rarement très bien. D’autant qu’avant, on les faisait à deux et qu’on est passé tout seul, responsable de vingt jeunes. Ça se passait bien, mais avec le recul, j’étais vraiment fatigué. Ensuite, en AEMO, je me suis posé la question : est-ce que j’ai envie de devenir chef de service, directeur ? Ça me faisait chier, je n’étais plus étanche aux situations. Avant, je me mettais une carapace, mais ma femme étant enceinte à ce moment-là, ça me rendait émotif. J’ai eu la chance de pouvoir partir.

L’institution souffre d’une forme de précarisation…

Souvent, il y a pas de financement, il n’y a pas d’éducateurs formés… Et comme il y a un déficit d’éducateurs, on prend les premiers qui arrivent et qui restent deux semaines, qui tapent, qui giflent… Tout cela vient du fait qu’ils sont un peu laissés-pour-compte. Comme le disait François Hollande : « l’éducation ce n’est pas une dépense, c’est un investissement ». À l’époque, j’avais trouvé cette phrase magnifique ; elle m’avait marqué cette phrase parce que c’est complètement ça ! Aujourd’hui, on fait des économies, il n’y a plus de contrat jeune majeur. Je crois qu’il y a même des maisons d’enfants qui sont privatisées — or quand on privatise, le but c’est de faire de l’argent. Pour un placement d’enfant à mon époque l’État versait 136€ par jour ; au privé, on va réduire les dépenses et prendre l’argent. C’est un peu de la sous-traitance. L’État se décharge de tout ça, ce n’est pas son rôle de s’en décharger.

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