Des dernières Biennales Design stéphanoises aux salons du Conseil de l'Union Européenne à Bruxelles, la créatrice textile Jeanne Goutelle marque peu à peu de son empreinte colorée et responsable une œuvre où le réemploi de tissus industriels permet de limiter les dégâts infligés à notre planète. Tressés, noués ou suspendus, rubans et sangles recyclés sont la matière malléable dont l'artiste fait des pièces uniques très remarquées.
Jeanne Goutelle est née à l’aube des années quatre-vingt dans la région roannaise, où l’activité textile fait partie de l’ADN du territoire puisque déjà au Moyen Âge, les paysans-tisseurs filaient puis tissaient le lin et le chanvre. Avec un grand-père directeur d’une entreprise de tissage à Charlieu et une grand-mère modiste à Saint-Étienne, Jeanne grandit entre deux caisses de chapeaux, de plumes et de fleurs en tissu, véritables trésors aux yeux des marmots de la famille. « Pour compléter le tableau, mes parents sont architectes. Je suis donc une sorte de condensé familial puisqu’avec des rubans je crée des pièces, auxquelles je donne une dimension architecturale. » Manuelle mais aussi très sportive, la petite Jeanne fréquente tôt les musées avec papa et maman, les vacances familiales se partagent généralement entre nature et culture. S’intéressant à la mode à partir du collège, l’adolescente s’oriente dès la classe de seconde vers la préparation d’un bac STI arts appliqués (sciences et techniques industrielles), diplôme qu’elle décroche en 1999 au lycée stéphanois Honoré d'Urfé. « J’étais à l’internat et avec quarante heures d’arts appliqués par semaine, la formation était plutôt intense. C’est à cette époque que j’ai finalement pris conscience que la matière était pour moi plus intéressante que la mode. » Jeanne poursuit son cursus à Paris avec un DMA en textile (Diplôme de Métiers d’Art), à l’École supérieure des arts appliqués Duperré. « J’ai aimé cette formation, mais je n’étais pas pour autant une tronche, j’avais surtout envie d’être dans le faire. J’ai donc rapidement multiplié les stages pour entrer dans la vie active. »
Freelance
Dès l’année 2002, Jeanne travaillera en freelance, plusieurs de ses maîtres de stages devenant des employeurs. Après une période tournée vers le dessin textile, la jeune femme intégrera durant cinq ans l’entreprise parisienne Carlin, agence de conseil en tendance et prospective. « Travailler dans ce bureau de tendance m’a permis d’évoluer dans une grande diversité de situations créatives. » Au poste de styliste intérieur, Jeanne fait ainsi ses armes auprès de clients très divers, des créateurs, des entreprises de la grande distribution ou du prêt-à-porter de luxe. Depuis 2013, elle partage son temps entre création, conseil (consultante matière et couleur), animation de workshops ou encore conception d'ateliers innovants et créatifs pour les entreprises, les associations et les écoles. « Depuis vingt ans, mes différentes missions m’ont fait voyager en Inde, au Brésil, en Chine, à Taiwan, à Londres… J’ai beaucoup appris sur le terrain car, si en formation on aborde des techniques, on est loin de savoir précisément de quelles façons elles s’appliquent dans l’industrie ou l’artisanat. » En 2017, l’artiste s’installe à Saint-Étienne pour se rapprocher d’un bassin industriel textile qu’elle connait bien pour y avoir grandi. Aux frontières de l’art, de l’artisanat et du design, aujourd’hui Jeanne se définit davantage comme créatrice textile, une exploratrice des matières et des couleurs qui s’appuie sur de solides compétences artistiques et techniques.
Upcycling
Niché à deux pas de la Serre dans l’ancienne école des beaux-arts, l’atelier de Jeanne Goutelle est une véritable caverne d'Ali Baba. Partout des bobines de tissus, des cordes, des sangles, des échantillons, des nuanciers… Une matière première faite de chutes de production collectées dans l'entreprise SATAB à Saint-Just-Malmont, à une vingtaine de kilomètres. Car c’est là une préoccupation centrale dans le travail de l’artiste depuis ses débuts : devant le gâchis de l’industrie textile, recycler par le haut, valoriser des stocks destinés à la destruction et sublimer cette matière déclassée représentent bien plus qu’un parti pris : un vrai engagement écologique. « J’essaie de créer du beau tout en laissant l’empreinte la plus modeste possible sur l’environnement. » Toute contrainte est source d’inspiration : il s’agit donc de repérer les gisements, sélectionner les matières lorsque c’est possible, organiser la collecte, inventorier, puis stocker pour créer aujourd’hui, demain ou plus tard. « Je suis au fond comme un collectionneur, une tisserande sans métier à tisser car je travaille à partir de mes trouvailles. Je redonne vie à une matière qui ne mérite pas d’être détruite car elle a été façonnée par des personnes qui ont sué à la tâche. Certaines ont fait pousser et récolté le coton, d’autres ont travaillé sur le fil, ont fait tourner des machines, ont manipulé des teintures… » Jeanne superpose ou combine différentes techniques d’entrecroisement de fils, principalement le tissage, le nœud et le tressage, créant indifféremment des pièces à plat ou en volume pour des projets sur-mesure. Croisant ainsi les arts de la rubanerie et de la tapisserie, l’artiste apporte une lecture contemporaine aux matières et aux couleurs, créant des associations surprenantes d’où jaillit au final une subtile harmonie esthétique. Au-delà de leur aspect décoratif, tapis, suspensions, tableaux, panneaux ou paravents défendent une idée, délimitent un espace ou associent une fonction acoustique.
Reconnaissance
En quelques années, l’œuvre personnelle de Jeanne Goutelle a gagné une vraie reconnaissance. Plusieurs distinctions sont venues récompenser son travail et certaines de ces pièces ont pris place dans des événements d’envergure. Lors de la Biennale Design 2019, elle créait LIENS, un flamboyant habillage scénographique, à l’invitation de la commissaire générale Lisa White. A l’occasion de la présidence française du Conseil de l'Union Européenne (depuis le 1er janvier 2022), Jeanne a créé INTERSECTION(S). Après neuf mois de travail en collaboration avec les ateliers Adeline Rispal, plusieurs panneaux tissés ont été installés à Bruxelles, dans les salons présidentiels au Conseil de l'UE. « Les entrecroisements symbolisent les flux, réels ou virtuels, de personnes, de marchandises ou d’idées, qui traversent l’espace européen. » Dans le cadre de la 12ème Biennale de Saint-Étienne, Jeanne prend part à l’exposition Relier - Délier du collectif FU, jusqu’au 22 mai dans la salle des cimaises, au 15 rue Henri Gonnard à Saint-Étienne. La créatrice présentera également une pièce dans l’exposition collective Des passements de soi, visible jusqu’au 31 août à la Maison des Tresses et Lacets, à La Terrasse-sur-Dorlay.
Repères
1981
Naissance à Charlieu
1999
Bac STI arts appliqués
2001
Diplôme de Métiers d’Art
2017
Installation à Saint-Étienne
2019
LIENS, 11ème Biennale Internationale Design (Saint-Étienne)
CLAN, expo personnelle à la Maison du Passementiers (Saint-Jean-Bonnefonds)
Prix « coup de coeur du jury » Techtera (projet RE-WAVE)
2020
Biennale Émergence (Pantin)
2022
INTERSECTION(S), Conseil de l'UE (Bruxelles)
Relier - Délier, 12ème Biennale Internationale Design (Saint-Étienne)
Des passements de soi, Maison des Tresses et lacets (La Terrasse-sur-Dorlay)