« Se déplacer au cinéma est devenu un luxe »

Interview / Retour derrière le micro pour Malik Bentalha, voix française de Sonic le hérisson dans le deuxième opus de la franchise Sega-Paramount. L’occasion de poursuivre la conversation avec ce fan absolu des années 1980, débordant d’enthousiasme et de projets…

Il y a deux ans, on s’était vus pour Sonic Le Film, c’est juste avant avant le confinement, mais aussi avant votre tournée mondiale…

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Malik Bentalha : Ma tournée à la Whitney Houston ! On a fait une date à Dakar, et puis le Covid… Au final, je n’ai pas eu à traverser le Pacifique ni l’Atlantique : on a tout annulé. Après Dakar, on sentait que ça commençait à monter. On est rentré du Sénégal, et c’est là que Macron a fait la déclaration « Nous sommes en guerre » Quel souvenir !

À l’époque, vous évoquiez l’hypothèse d’une suite pour Sonic, « pourquoi pas le deuxième ». On y est…

Alors, il faut dire « pourquoi pas le troisième, jamais deux sans trois ? » Je me suis éclaté à faire ce deuxième volet parce que je connaissais ce petit personnage, j’étais sur des rails malgré tout. Et le fait d’avoir de nouveaux personnages, Knuckles ou Tails, à qui donner la réplique, c’est stimulant. En plus, il y a un vrai message de valeurs, d’amitié et de vivre ensemble qui passe : on fait de sa différence une force. J’aime beaucoup ce que ça raconte pour les tout-petits. On a vit tellement dans une époque bizarre, où il est mal vu d’être gentil ; on préfère l’odeur du sang ! Les adultes s’y retrouvent aussi parce qu’il a un côté grand enfant, qu’on a tous en nous. Et puis, Sonic est une madeleine de Proust pour toute une génération. On s’identifie à ce personnage parce que quand on va au cinéma, on a envie de s'évader, de penser à autre chose, de retomber en enfance. J’ai vu les yeux de mes neveux et nièces briller devant ces personnages et ces univers ; c’était génial. Partager ce moment en famille, c’était génial et je pense que c’est ce qui a contribué au succès du premier.

Aujourd’hui, sans faire de démagogie, se déplacer au cinéma, c’est devenu un vrai luxe : tu paies l’essence, ta place, celle de ta famille… On ne paie pas 15€ une place pour ne pas s’évader. Le spectateur est devenu exigeant dans le bon sens du terme : il veut en prendre plein la vue. Alors, il faut essayer de donner le meilleur de nous-mêmes de proposer des projets qui soient spectaculaires. C’est pour ça que tous les films américains à gros budget cartonnent, qu’ils le font très bien dans Sonic — et que j’ai essayé de le faire dans un film que j’ai réalisé et qui sort en octobre.

Il y a un revival de ces film comme ET, Indiana Jones, Les Dents de la Mer ; ces films à grand spectacle (qui sont mes films de chevet) où le spectateur est scotché sur son siège. En même temps, il ne faut pas voir les plateformes comme une menace. C’est peut-être aujourd’hui l’endroit où les films qui pourront pas se faire au cinéma vont pouvoir exister malgré tout. C’est plus une chance qu’autre chose ; ça permet d’avoir un panel totalement divers et variés pour la culture française.

La salle de cinéma serait réservée au spectaculaire ?

Je ne sais pas. À l’heure actuelle, on est tous dans une période un peu de latence, où l’on observe les choses. La pandémie est encore très proche de nous, on n’en est même pas complètement sorti. C’est comme pour la mutation de la musique : on a mis plusieurs années pour comprendre vers quoi on allait, que le CD était mort, que le streaming allait le remplacer. Au cinéma, on a encore un peu la tête dans le guidon pour comprendre où on va aller. Le cinéma ne mourra pas parce que l’expérience cinématographique, on ne la retrouvera pas ailleurs. Je ne sais plus qui disait : « pouvez-vous me citer un film qui a bousculé votre vie sur une plateforme ? » Au cinéma, vous avez au fond de vous le souvenir d’un film au cinéma qui vous a mis une claque, qui est encore en vous le lendemain ; c’est une graine. Moi, si je ferme les yeux, je me revois regarder Titanic avec mes parents au cinéma ou Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat. Sur les plateformes, on a un côté « consommation rapide ». On est sur le canap’ à la maison, et c’est bien aussi, parce qu’il en faut pour tout le monde. Donc il va nous falloir trois bonnes années pour essayer comprendre la nouvelles restructuration ciné-audiovisuelle, d’autant qu’il y a une nouvelle chronologie des médias. Chacun sort ses théories en ce moment, mais personne n’est capable de prévoir le succès d’un film ; personne ne l’a jamais été…

Être le seul à porter la promotion de Sonic 2 Le film en France, est-ce une grosse pression ?

Ça pourrait l’être si Sonic n’était pas une marque déjà bien installée et si le premier n'avait pas marché. Donc je ressens moins la pression, mais plus comme une fierté de prêter ma voix dans un projet dans lequel on peut retrouver Jim Carrey, surtout. Il est pour moi LE génie du XXe et même du XXIe siècle. Il est au Panthéon des acteurs légendaires : Man on the Moon, Truman Show, Ace Ventura, The Mask… Il a une carrière dont on rêve tous. Se dire que c’est le même acteur qui a fait The Mask et Eternal Sunshine… de Michel Gondry ! Et qu’on prend au sérieux !

L’avez-vous rencontré ?

Non. On va essayer, mais pas en vrai malheureusement, grâce à la technologie.

Pour revenir à l’idée du partage, comment s’est déroulé le doublage ? En compagnie des autres voix, comme Emmanuel Curtil, le doubleur attitré de Jim Carrey ?

J’ai eu la chance de bosser avec Emmanuel sur le premier, après malheureusement, c’est aussi bête que ça, mais ce sont des histoires de planning pour les uns et des autres. Si on pouvait, on le ferait tous ensemble parce que c’est ce qui apporte une vraie énergie. L’avantage en revanche, c’est que quand les voix des autres personnages sont déjà posées, ça m’aide vachement dans la dynamique, la musicalité.

Dans notre manière de fonctionner, on analyse la scène avec une coach vocale (qui est fantastique), elle me demande ce que j’en pense, comment j’imagine Sonic, elle me donne son avis… Une fois qu’on est d’accord sur les intentions, on essaie de le retranscrire dans le jeu avec la voix, jusqu’à ce qu’on trouve le bon timing, la bonne musique et généralement ça ne trompe pas : que ce soit l’ingé-son, la coach ou la directrice artistique, tous les gens dans le studio, on est souvent raccord.

Au cinéma, il y a truc que j’aime quand on tourne : c’est refaire les prises tant que le perchman ou le chef-op’ n’a pas ri. C’est un peu mon premier public, mon premier cercle. Si je les vois morts de rire, je me dis OK, c’est bon.

Face à la bande rythmo dans un auditorium, ce n’est pas la même chose…

C’est pas la même chose, mais quand même : même s'il y a qu'une personne ou deux, ça suffit. Et ce que m’apporte ma petite expérience dans ce métier, c’est que j’arrive à savoir quand c’est moyen, quand c’est cool… J’ai un peu plus de recul sur ce que je fais — c’est la maturité, je pense — alors qu’il y a quelques années, j’y allais en baissant la tête sans regarder ni prendre de hauteur. Si c’était pas bien, peu importait, tant que je m’amusais.

Avec le recul, quelles sont les qualités que vous partagez avec Sonic ?

Ce serait peut-être prétentieux de le dire, mais je dirais la gentillesse et l’humour surtout parce que c’est un petit filou espiègle. Après, il a cette vivacité que j’aimerais avoir tant sur le plan physique que psychologique (rires) Il est très, très rapide, très vif et moi plutôt procrastinateur. C’est ce défaut qui me piège souvent. Par exemple, si je dois démarrer quelque chose un jeudi, je vais décaler au lundi matin. Et si le lundi on est le 27 du mois, je repousse au 1er. Et ça n’en finit plus. Alors j’aime beaucoup la prise de décision assez immédiate de Sonic, qui peut parfois l’envoyer dans le mur, mais qui fait le charme du film.

Peut-on en savoir plus sur votre film ?

C’est une idée que j’avais au fond de moi depuis longtemps, que j’avais vraiment très envie de faire. Le film s’appelle Jack Mimoun et les secrets de Val Verde, et c’est un hommage à Indiana Jones. Je joue le personnage de Jack Mimoun, une espèce de croisement entre Mike Horn et Bear Grylls dans cette comédie d’aventure familiale chorale avec un casting de rêve. Je ne pouvais pas rêver mieux pour ma première réalisation : on retrouvera Benoît Magimel, François Damiens, Jérôme Commandeur et Joséphine Japy. On est parti en Thaïlande, dans un décor extraordinaire ; là je suis dans les finitions. J’ai tellement hâte de venir vous voir et vous le montrer.

La différence d’enjeu doit être perceptible quand on porte un projet aussi personnel ?

Sur un plan personnel, c’est mon bébé, c’est mon idée. Je l’ai écrit, je le réalise. C’est pas que je défends plus le film, il y a une attache particulière parce que je l’ai mis au monde. Dans ma tête, je prie pour qu’on ait l’opportunité d’en faire un deuxième. J’ai toujours été fan des OSS — c’est d’ailleurs les mêmes producteurs, les frères Altmayer — donc je me dis pourquoi pas Jack Mimoun la suite ? On s’est donné beaucoup de mal, c’est pour ça que je suis très fier.

Entre Sonic et Jack Mimoun, on voit que les années 1980 constituent pour vous une sorte de « cristal magique »…

Totalement. C’est ma culture. J’ai grandi avec les films de Spielberg en tant que producteur comme Retour vers le futur ou réalisateur comme Jurassic Park, Les Dents de la mer ou Indiana Jones Pour moi, le cinéma c’est ça. Pour certains, ça va être Hitchcock ; pour d’autres, ça va des films plus auteur, moi je pense Spielberg. Il incarne tout ce que j’aime le plus dans dans le 7e art. Quand je vois E.T., je sors dans la rue avec un drap sur la tête et je fais du vélo en mettant ma petite sœur dans le panier. En écrivant Jack Mimoun, je rêve que les gamins en sortent avec l’envie de chercher un trésor.

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