Les Passagers de la nuit : Bonnes ondes

Écrans / Orfèvre dans l'art de saisir des ambiances et des climats humains, Mikhaël Hers (Ce sentiment de l'été,  Amanda...) en restitue deux : l'univers de la radio la nuit et l'air du temps des années 1980. Une fois encore, le prodige de son alchimie teintée de mélancolie fonctionne, dessinant de vibrants portraits de l'époque.

Mai 1981. Alors qu’une large partie de la France célèbre la victoire de François Mitterrand, la jeune Talulah débarque sac au dos à Paris. Au même moment, Élisabeth qui vient de se séparer de son époux emménage avec ses deux ados et sa déprime dans une tour. Insomniaque, elle écoute l’émission de radio de Vanda et, un peu par hasard, va travailler pour elle. Portrait de groupe durant une décennie.

Face B des Magnétiques de Vincent Maël Cardona (2021) — qui retraçait à partir de l’arrivée de la Gauche au pouvoir l’aventure des radios libres vécue par un p’tit gars d’une province rurale —, Les Passagers de la Nuit embrasse les années 1980 en grandes ondes, côté micro et studio parisiens. Construit autour de l’évocation de la figure devancière des libres-antennes nocturnes recueillant les misères des insomniaques (la Vanda que joue ici Emmanuelle Béart est l’avatar transparent de Macha Béranger) le film fait en définitive peu de cas de ce personnage que sa fonction voue naturellement à l’effacement physique.

Incarnée mais éthérée, la star radiophonique existe comme un phare pour les auditeurs sans sommeil ni soleil ; elle illumine pourtant indirectement leur entourage, à l’instar d’Elisabeth, de ses fils et de Talulah. Une bulle se crée au sein de laquelle la vie prend le temps de se déployer et où, sans effet de reconstitution exagéré ni artifice cinématographique (qui condamnerait l’ensemble au factice), on ressent pleinement l’effet d’immersion dans ce passé proche.

La notte, la notte

Trop souvent cantonné à une zone gris-blême, à l’angle mort de la représentation d’une époque (qu’elle soit actuelle ou passée), le champ de la nuit en offre pourtant l’un des visages les plus fidèles et révélateurs qui puisse être, délivrée des inhibitions sociales et des codes prévalant ordinairement à la lumière du jour. Car la nuit dévoile les vices cachés comme les fractures secrètes ; elle couve aussi les forces émergentes appelées à régner — des caves de Saint-Germain aux soirées du Palace, l’histoire se répète.

Rohmer avait d’ailleurs témoigné d’une redoutable prescience en documentant en temps réel dans Les Nuits de la pleine lune (1984) un contrechamp des années 1980 acidulées, affichant son insouciance et son individualisme grandissant dans des fêtes branchées — où gravitaient toutes celles et ceux qui, bientôt, allaient sanctifier les yuppies des années fric et assister médusée à l’émergence du sida.

Ce n’est pas anodin si Mikhaël Hers cite explicitement le film de Rohmer dans le sien, ni si (la toujours parfaite) Noée Abita semble comme possédée par l’esprit et la voix haute perchée de la fragile Pascale Ogier : Les Nuits de la pleine lune a influencé son temps autant qu’il le marque comme un repère absolu.

Est-ce que Les Passagers de la nuit pourrait constituer pour les spectateurs un “véhicule” comparable ? Si la contiguïté relative entre 1980-1988 et 2022 rend hasardeuse la dénomination de “film historique“, le retour d’affection pour le vintage lui confère une étrange apparence contemporaine puisque même les K7 audio, les fringues aux coupes et couleurs flashy ou les coupes mulet redeviennent tendance.

En faisant abstraction de ces artefacts, on peut en ouvrant les portes de la nuit y lire quantité d’histoires intemporelles : le délicat portrait d’une mère célibataire se réinventant une vie amoureuse, celui d’un adolescent confronté à l’équation insoluble d’un premier émoi ; ou bien celui d’une enfant perdue errant de train en train à travers la plaine…

★★★★☆ Les Passagers de la nuit de Mikhaël Hers (Fr., 1h51) avec Charlotte Gainsbourg, Quito Rayon Richter, Noée Abita… (sortie le 4 mai)

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