Mardi 26 avril 2022 Orfèvre dans l’art de saisir des ambiances et des climats humains, Mikhaël Hers (Ce sentiment de l’été, Amanda…) en restitue deux : l’univers de la radio la nuit et l’air du temps des années 1980. Une fois encore, le prodige de son alchimie teintée...
Babysitter, Sentinelle Sud, L'Affaire Collini... Les films de la semaine
Par Vincent Raymond
Publié Mercredi 27 avril 2022
Photo : ©Bac Film
Indispensables
★★★★☆ Babysitter
Après un geste inconvenant perçu comme une agression sexiste, Cédric a été viré. En guise de rédemption, il entame la rédaction d'un livre d'auto-flagellation masculine. Pendant ce temps, son épouse en post-partum engage une baby-sitter enjouée, laquelle va bousculer leur quotidien...
Babysitter dénonce moins l'odieux patriarcat que le goût du sang numérique, la propension à la délation et à la mise au ban social ou la mesquinerie des entreprises cherchant à lisser leur image à tout prix et au mépris de l'humain. Cédric apparait surtout comme un gentil balourd ayant picolé avec ses potes et des filles rencontrées un soir de match : le montage de la séquence d'ouverture laisse supposer un jeu de séduction mutuel et connivent, non une prédation.
Il est d'ailleurs signifiant que ce conte joliment féroce dézinguant les surréactions hypocrites dans la société post- #MeToo soit réalisé par une réalisatrice, et repose sur le scénario d'une dramaturge ayant adapté sa propre pièce — deux nord-américaines de surcroît.
Un conte où, à la manière du visiteur de Théorème de Pasolini ou du rat blanc de Sitcom d'Ozon, la “bonne fée“ babysitter sera la révélatrice des pulsions cachées de chacun et chacune. Un conte reprenant avec bonheur des codes esthétiques à la fois désuets, troublants, sensuels mais surtout magnifiquement maîtrisés entre roller-disco, brushing 70s' et giallo.
Monia Chokri se montre largement à la hauteur des références qu'elle convoque pour ce film à la réalisation inventive et envoûtante — quelques doigts de subversion dans un gant de velours. Prochainement sur la Croisette dans Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi, Nadia Tereszkiewicz sort avec ce rôle oscillant entre fantaisie sexy et film de genre de l'image restrictive “d'ingénue à drames”. Il est toujours bon d'élargir ses perspectives.
De Monia Chokri (Can.-Fr., 1h27) avec Nadia Tereszkiewicz, Monia Chokri, Patrick Hivon...
★★★★☆ Sentinelle sud
Seul rescapé ou presque d'une opération militaire, Christian Lafayette est de retour à la vie civile. Même s'il aspire à la normalité, il va replonger dans la violence et l'illégalité pour aider deux frères d'arme : ils forment la seule vraie “famille” de ce jeune homme placé depuis l'enfance...
À la fois polar d'un noir de jais, film politique, de guerre (aux résonance kubrickiennes), de braquage et d'espionnage, Sentinelle sud taille large pour une première réalisation de long métrage. Un croisement de genres faisant écho aux intrications infinies résultant de la mondialisation, mais Mathieu Gerault a les ressources pour cerner son sujet et surtout l'aborder d'un point de vue intime.
C'est d'ailleurs en cela que l'intrigue se révèle viscéralement prenante : le réalisateur nous fait tout éprouver AVEC son héros : les cas de conscience auxquels Lafayette est confronté, ses angoisses, colères ou ivresses. Cette communication du ressenti au spectateur équivaut à partager le fameux “esprit de corps” que la hiérarchie militaire transforme en substitut de sentiment familial — une aubaine pour assujettir des brebis orphelines, et les guider le cas échéant en confiance à l'abattoir.
Au côté de ses camarades souffrant de syndrome post-traumatique, le personnage de Niels Schneider réveille le lointain souvenir des soldats perdus de L'Échelle de Jacob (1990), en plus glaçant car réaliste. Heureusement que l'issue ici s'avère autrement apaisante.
De Mathieu Gerault (Fr., 1h36) avec Niels Schneider, Sofian Khammes, India Hair...
À voir
★★★☆☆ La Colline où rugissent les lionnes
L'espoir sans cesse déçu de quitter leur village perdu du Kosovo, trois jeunes femmes décident de s'inventer une vie à la hauteur de leurs ambitions en montant, d'abord par désœuvrement, un gang qui, après quelques petits casses, commence à faire de gros coups...
Avec ce premier long métrage, la jeune comédienne déjà aperçue dans Portrait de la jeune fille en feu, Les 2 Alfred ou L'Événement, confirme également la précocité de son talent dans la réalisation. Portrait de groupe/état des lieux d'une jeunesse rurale en déshérence, La Colline où rugissent les lionnes joue de prime abord sur la contemplation et une forme de lenteur épousant l'ennui ordinaire de ses trois bouillonnantes héroïnes — héroïnes dont la vie hors du trio est esquissée avec un suprême sens de l'ellipse : l'allusif remplace la lourdeur de l'explicatif.
Et puis, d'une forme naturaliste, on bascule à une structure plus libre, joyeuse et syncopée, suivant l'affranchissement des lois et des règles de nos pétroleuses jusque dans leur cavale. Un sentiment de liberté éclate jusque dans la lumière et le montage, transfigurant jusqu'au physique des personnage, “magnifiées” comme des spring-breakeuses. Un joli coup d'essai collectif : il serait stupéfiant que l'on ne revoie pas Flaka Latifi rapidement.
De et avec Luàna Bajrami (Fr.-Kos., 1h23) avec également Flaka Latifi, Uratë Shabani, Era Balaj...
★★★☆☆ Ma famille afghane
2001. Étudiante tchèque, Herra rencontre à Prague Nazir, un jeune Afghan qu'elle suit à Kaboul et épouse. Vivant dans la famille de Nazir, le couple va traverser avec difficultés les changements du pays post-talibans et adopter un orphelin rejeté, le malingre Maad...
Porté par une voix féminine, loin d'être manichéen et caricatural, esthétiquement abouti, Ma famille afghane offre un complément aux Hirondelles de Kaboul ou Parvana d'autant plus tragique que la situation politique a radicalement changé ces derniers mois en Afghanistan : l'espoir final se trouve désormais lesté d'un voile de fatalité. S'il illustre le poids (l'emprise) de la tradition sur les femmes — bien que Nazir apparaisse plus progressif que bien des Afghans —, le film raconte aussi le lien entre Herra et le garçonnet adopté.
D'ailleurs, le titre anglais (que l'on pourrait traduire par “Maad, mon rayon de soleil“) recentre bien l'intrigue sur cette relation mère-fils choisie au milieu du chaos. Préparez quelques mouchoirs.
Animation de Michaela Pavlatova (Tch.-Fr., 1h20) avec les voix de Eliska Balzerova, Hynek Cermák, Miroslav Krobot...
On peut s'en passer
★☆☆☆☆ Ghost Song
Dans la capitale du Texas, alors qu'un ouragan (un de plus...) est annoncé, le réalisateur suit entre autres un toxico issu de la haute et une rappeuse venue des gangs. Point commun ? La musique et une certaine forme de précarité.
Spin-off tourné plus ou moins en parallèle du documentaire précédent de Nicolas Peduzzi (Southern Belle), Ghost Song tient du patchwork abstrus ou du cauchemar de crackeux ; il dégage un sentiment de malaise qui n'a pas forcément à voir avec la menace météorologique.
Ses “personnages“ donnent en effet la désagréable impression d'exagérer leurs tensions et réactions pour la caméra (il y a de fait des séquences dirigées, donc à la spontanéité contrefaite), au bénéfice d'un film se complaisant dans l'exploitation visuelle du sordide et du vulgaire — qu'il s'agisse des pauvres ou des riches, ravalés au rang de victimes ou de ploucs. Une manière moralement douteuse de placer le spectateur en surplomb.
De Nicolas Peduzzi (Fr., 1h16) Avec OMB Bloodbath, William Folzenlogen, Nate Nichols...
★☆☆☆☆ L'Affaire Collini
Un jeune avocat est commis d'office pour défendre Collini, l'assassin mutique de son bienfaiteur (et grand-père de son amour d'enfance), le richissime Hans Meyer. L'instruction lui fera découvrir des secrets honteux plongeant dans le passé le plus sombre de l'Allemagne.
S'il suffisait de traiter de “grands sujets” politiques ou historiques pour être sûr de signer un grand film, alors nous croulerions sous les chefs-d'œuvres fustigeant les abominations passées ou la perversité des méchants (qui, en plus d'être menteurs et cruels, se révèlent fourbes, félons et vénaux), entre autres lieux communs.
En plus d'être contre-productives, les bonnes intentions doublées d'un académisme vieillot s'avèrent rédhibitoires. Et quand le scénario en rajoute sur les invraisemblances pour “dramatiser“ l'intrigue — l'avocat ignore le prénom de son protecteur (!) ; sa proximité avec la partie adverse n'induit pas un désaisissement automatique (!!) ; il renoue une romance avec sa petite-fille façon Le Cid (!!!) ; — on a envie de hurler et de rappeler l'auteur aux fondamentaux.
Car lorsqu'on aborde certaines périodes historiques, il n'y a pas que « le travelling [qui soit] une affaire de morale ». Le respect de la vraisemblance en tout point s'impose comme la moindre des corrections éthiques. Triste pour les comédiens.
De Marco Kreuzpaintner (All., 2h03) Avec Elyas M'Barek, Alexandra Maria Lara, Franco Nero, Heiner Lauterbach...
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