Paroles et Musiques se paie un joli tour de chant

De tous jeunes artistes, des vieux de la vieille, des instruments, des boites à rythme, des gens qui dansent, des gens qui chantent, une ambiance douce et festive de celles qui appellent l’été et les bons moments… La semaine passée, le festival Paroles et Musiques a réussi son pari : mêler dans sa programmation découvertes musicales et barons de la chanson, pour nous coller quelques frissons. Récit.

Texte et photos : Cerise Rochet

Jour 1 : Martin Luminet et Ben Mazué comblent la Comète

La salle est pleine, pour cette première soirée dont Ben Mazué est tête d’affiche. Le quarantenaire, accueilli sur le festival comme « découverte » il y a quelques années, a fait du chemin… Au point qu’aujourd’hui, les tickets pour ses concerts s’arrachent comme des petits pains. Une aubaine, pour sa première partie Martin Luminet, pépite montante de la scène lyonnaise au phrasé poétique, qui, peut-être galvanisé par la foule, se lance dans un set très 2022. Des textes mi rappés-mi chantés, une jolie prod surplombée d’une batterie, un parfum années 80 qui parfois s’infiltre dans les mélodies… Et puis du sens. Tout en chansons, Martin Luminet se pose deux ou trois questions. Sur l’amour, sur la vie, sur le pourquoi du comment. Rien ne saurait être si sérieux, pourtant. Entre ses morceaux, le jeune homme déconne volontiers, tout en second degré. Une grande salve d’applaudissements après, lorsque les lumières se rallument et que l’artiste a quitté la scène, l’on se dit que l’on vient juste d’assister à un joli moment. Et puis, sans doute, qu’on le reverra très prochainement.

20 minutes plus tard, alors que Ben Mazué arrive sur scène, tout le monde n’a pas encore regagné sa place : beaucoup, distraits ou détendus par l’ambiance festival qui déjà les gagne, sont encore dehors, à siffler leur bière en débriefant ce premier concert. Mais qu’importe, même en retard, ceux-ci en auront pour leur argent. Car Ben Mazué est un généreux. Un type qui se livre. Sa vie, ses doutes, ses échecs, ses réussites aussi. Comment on se démerde, avec tout ça ? Lui a trouvé la scène et le verbe. En slam ou en chantant, cambré ou bondissant, il lâche ce qu’il a dans la tête et dans le cœur, comme pour retrouver du souffle. De titre en titre, le public semble le comprendre, acquiesçant de hochements de têtes en tapotements de mains, de mouvements d’épaules en applaudissements. La première soirée de Paroles et Musiques, qui se poursuivra à l’Usine avec Le Noiseur, a ainsi rempli sa mission : créer une atmosphère dans laquelle on se sent bien, et qui appelle à revenir. Ça tombe bien, c’est ce qu’on avait prévu de faire.

Jour 2 : Fils Cara et La Belle Vie, les locaux en pleine ascension

Il fait partie de ceux que l’on attendait vraiment. Parce que sa gamberge et sa poésie nous touchent, et puis parce qu’en bon chauvin, on est toujours content de voir un Stéphanois en plein envol. Quelques doutes subsistaient, cependant, chatouillant de-ci de-là notre enthousiasme. Le premier, sur le lieu : non pas qu’on n’aime pas les fauteuils rouges moelleux et l’aura de cette ancienne salle Jean-Dasté devenue Panassa, mais ayant passé pas mal de temps assis ces deux dernières années, on ressent comme une furieuse envie de bouger. Le deuxième, sur le nombre : quelle pourrait-être l’ambiance, dans une Comète un brin clairsemée ?

Il ne faudra à Fils Cara que cinq minutes, pour nous rassurer. Cette date à la maison, la dernière de sa tournée, est toute particulière pour lui. Alors, il veut sentir les gens tout proches, leur demande de se lever, de se rapprocher. Si bien qu’on se retrouve vite debout, collé à son voisin, dans une ambiance feutrée et intimiste, à observer les regards de l’assistance. Parfois pétillants, parfois fiers, parfois brillants… Humides même. Car Fils Cara émeut, par ses textes ou sa seule présence, par sa générosité et sa bienveillance. A plusieurs reprises, sourire accroché aux lèvres et cœur arrimé à ses rêves, il fait applaudir son frère, « meilleur pianiste du monde » par lequel il est accompagné. La salle obtempère bien volontiers, les titres et les salves s’enchaînent… Jusqu’à ce qu’il soit temps pour Fils Cara de quitter la scène, une heure après y être monté. Une heure, c’est très court. Mais lorsqu’il s’agit d’un moment de grâce, c’est déjà beaucoup.

En fin de soirée, direction l’Usine, pour la fraîche prestation des Stéphanois de La Belle Vie. Ici, tout le monde est debout. Tout le monde tient debout, d’ailleurs, puisque tout le monde (ou presque !) a moins de 30 ans. Une bonne nouvelle, lorsqu’il s’agit de suivre, sous les lights qui remuent façon club, les « Vas-y danse pour moi » ou les pas chaloupés du duo qui arpente la scène de cour à jardin comme des gamins dans une cour d’école. Le set est propre, bien fait. Le public se dandine. La Belle Vie, coupé dans son élan par la crise covid, a finalement trouvé son rythme et investi son terrain de jeu : la pop française, version 2022.

Jour 4 : Kalika, reine de la scène

Après une soirée de demi-break à tendre une oreille d’un bistrot à l’autre pour l’opération Paroles de Zinc, on a quitté le centre-ville en direction du Fil où, ce jeudi soir, les programmateurs du festival avait concocté une affiche exclusivement féminine. Brö / Kalika / Poupie… Notre préférence allait d’emblée à la deuxième, dont nous étions tombés sous le charme quelques semaines plus tôt, en préparant notre précédent numéro. Car - et son passage sur scène n’a fait que confirmer ce qu’on pensait déjà – Kalika avance en guerrière. Affirmative, décomplexée (incomplexée serait peut-être plus juste ?), la jeune artiste brise les tabous qui, des siècles durant, ont entravé des générations de femmes dans la libre expression de ce qu’elles sont. Elle, pointe de rage dans les yeux et sourire narquois aux lèvres, balaie tous les clichés, soulevant par ses textes et son énergie quelque chose de plus grand qu’elle. La salle, à demi pleine, mais à demi pleine de jeunes et notamment de jeunes meufs, se régale, se secoue, se soulève à son tour. A en oublier que Poupie, annoncée comme la star de la soirée, avait finalement dû annuler sa venue.

Jour 5 : A l’ancienne, à la bien

Le lendemain, au même endroit. La salle a pris de la bebar, des cheveux blancs et des enfants, qui accompagnent leurs parents. De loin, on renifle comme un parfum d’avant. Quand les salles étaient pleines comme des œufs et sentaient la sueur, quand on pouvait aller dans un concert tout seul parce qu’on était sûr d’y croiser un copain… Quand on n’imaginait pas devoir rester chez nous tout le temps et pendant si longtemps. Ce vendredi soir, la soirée a un vrai goût de retrouvailles. Des têtes qu’on n’avait pas croisé depuis un bail, du monde partout, des bières en pagaille. Un Demi Portion toujours aussi chaud bouillant, toujours aussi simple, modeste, souriant. Un couplet de Brassens, en Sètois qui aime à rappeler ses racines. Des mains en l’air, toujours. Du rap indépendant, sans chichis, sans autotune, sans fioriture, sans garniture. Des mercis lâchés à tout va et à tout le monde. Du tout bon, rien que du tout bon. Un petit verre et on y retourne, après lui, toujours le sud, mais dans une autre version

Patienter sous le chant des cigales qui sort des amplis, régulièrement rompu par les « alleeeeeer » de la foule qui trépigne de les voir arriver. Sentir que les choses se précisent. Voir les musiciens s’installer, dans la pénombre de la scène. Entendre les trois premières notes. Crier fort… Et puis, tout de suite, perdu dans l’échelle du temps, demander à son voisin : « bordel, mais quel âge ils ont » ? 10, 20, 30 ans ont passé, et Massilia Sound System est toujours là. Même accent, même flegme, mêmes rythmes, même talent. Mêmes combats, aussi. Ce vendredi soir, on ne sait pas très bien quel âge ils ont, on ne sait d’ailleurs plus très bien quel âge on a. Mais on est à la bien, là où il faut être.

Jour 6 : Emportés par la foule

Comme un air de cohue, devant le Zénith, ce samedi après-midi. Sur le parking, des gens assis sur des glacières, devant leur camion, à l’ombre d’un arbre. Devant l’entrée, de longues files de spectateurs, qui attendent patiemment de pouvoir entrer. A l’intérieur, ça grouille, ça se croise. Prendre un verre maintenant, ou à la pause ? A l’intérieur, on s’agglutine déjà devant la scène. Les Tit’Nassels ont ouvert le bal et n’ont que peu de temps devant eux pour écumer leurs chansons. Trop peu, pour nous permettre de découvrir les 21 titres de leur double album, A Double Tour, sorti en deux temps à l’automne et à l’hiver. Bien assez, pour nous mettre l’eau à la bouche : les années passent et, décidément, les Roannais ne bougent pas. Textes bourrés d’ironie, ton décalé : les messages passent toujours aussi bien, sans avoir besoin de les marteler. Devenus 4, les 2 artistes se moquent de tout et en premier lieu d’eux-mêmes, alors, lorsque les sujets sérieux passent entre les grilles de leur moulinette… Impossible d’y voir une once d’esprit moralisateur : on n’est pas là pour ça, mais bel et bien pour faire la fête.

L’enchaînement se fait avec Les Ogres, alors que la foule se masse toujours un peu plus dans la fosse et à présent aussi dans les gradins. Comme souvent, Fred a la tchatche : 27 ans d’existence, rappelle-t-il. L’âge de Léo, le petit frère, désormais membre de la troupe, et tout aussi multi-instrumentiste que ses frangins et frangines.

Pour nous, pas de jour 7

C’est ici, sur les notes festives et joyeuses et les textes plein de bon sens de cette fratrie un peu hors-du-commun, que Paroles et Musiques version 2022 prendra fin pour nous. Au Zénith, la soirée se poursuivra jusqu’à tard dans la soirée, devant un public heureux de revivre enfin de bons moments, (quoi que certains aient dû prendre un peu leur mal en patience en attendant d’être servis au bar malgré la soif).

Crevés de cette semaine, et n’ayant peut-être plus l’habitude (ou l’âge ?) des enchaînements, nous ne participerons pas à l’opération Paroles de Vignerons du lendemain, ni au concert du dernier soir. Sans doute a-t-on manqué quelque chose… Mais pas assez pour remettre en cause cette jolie semaine de festival, et ce sentiment fort que le bon peut redevenir comme avant, et le mauvais, changer pour un mieux. Et puis, surtout, que la musique française dans son ensemble, dans son grand écart entre celle qui arpente les routes depuis un bon bout de temps, et celle, toute nouvelle, qui écume les salles depuis seulement quelques semaines, a de bien beaux jours devant elle. Pourvu qu’il y ait les bonnes oreilles.