La chance sourit à Madame Nikuko : Telle mère, telle fille ?

Anime / La chronique animée de l’entrée dans l’adolescence de Kikurin et de son exubérante mère aux mille mésaventures, Nikuko, imposante cuisinière aussi fantasque que Kikurin est discrète et filiforme. Un chef-d’œuvre de sensibilité et d’humour racontant avec élégance la vie à hauteur de fillette et de femme, les différences et surtout l’amour inconditionnel. À voir en famille ! 

Après avoir été plaquée par bien des sales types ayant abusé de sa joviale naïveté, la ronde Nikuko débarque avec sa fille Kikurin dans un petit village de pêcheurs où elle fait — comme toujours — merveille aux fourneaux entre deux situations embarrassantes pour sa fille. Pendant ce temps, celle-ci grandit et s’intéresse à Ninomiya, un ado de son âge affligé d’étranges tics nerveux… 

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Volontiers à rallonge, parfois trompeurs sur leur contenu (Je veux manger ton pancréas, par exemple, n’a rien d’une histoire d’épouvante cannibale, mais tout d’un mélo propre à arracher des larmes à Hannibal Lecter) ou alors d’une platitude informative déconcertante (Josée, le tigre et les poissons ; Hana & Alice mènent l’enquête), beaucoup de titres d’anime ressemblent à des tests visant à trier les initiés. Mais celles et ceux qui osent aller au-delà d’une devanture guère affriolante se trouvent en général hautement récompensés. La chance sourit à Madame Nikuko est de ces joyaux inattendus dont le chatoiement vous éblouit et l’intelligence poétique vous transporte de la première seconde à la dernière note du générique.

Franchir les frontières

À l’instar de ses plus illustres compatriotes Miyazaki (cité explicitement puisque Nikuko est comparée à Totoro) ou Hosoda, Ayumu Watanabe se place ici à hauteur d’adolescente pour décortiquer les problématiques inhérentes au “passage“ d’un monde à l’autre : celui, relativement insouciant et ouvert sur l’imaginaire de l’enfance, à l’univers adulte lesté de contraintes, de choix et de concessions. Parce qu’elle vit avec une mère au comportement souvent puéril, Kikurin est objectivement plus mûre dans sa tête que ses condisciples même si son corps, lui, n’a pas encore franchi le cap de la puberté. C’est d’ailleurs un des grands mérites de ce film, d’évoquer sans fausse pudeur la question des règles, comme Alerte rouge de Domee Shi il y a peu — les œuvres d’animation serait-elles moins timorées que le cinéma en prises de vues  réelles quand il s’agit de parler de sujets organiques et de féminité ? Madame Nikuko aborde aussi le thème de l’exclusion à l’intérieur du microcosme scolaire, et de la violence psychologique qui en résulte, comme de la singularité de certains enfants : le solitaire Ninomiya, avec ses grimaces, fait ici office de prince charmant des contes que Kikurin libère (un peu) de son mauvais sort… et au contact duquel elle s’affranchit de quelques réflexes grégaires.

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Grand cru

Oscillant du grotesque à l’infra intime, ce portrait collectif rappelle parfois le Isao Takahata de La Famille Yamada (ce qui n’est pas un mince compliment), en intercalant de petits intermèdes drolatiques où Nikuko apparaît en style “chibi-viande de bœuf tendre de première qualité“. La beauté du graphisme et la variété des émotions qu’il procure suffiraient à faire de Madame Nikuko un grand film ; mais il va au-delà avec cette étrange rupture affectant le récit au-delà de sa moitié — une déchirure inattendue donnant à toute l’histoire une nouvelle perspective comme dans JSA de Park Chan-Wook. Difficile, au terme de cette chronique, de quitter les personnages avec l’œil sec.

Bénéficiant d’une v.f. aussi réussie que la v.o., La chance sourit à Madame Nikuko peut se revoir déjà avec le même plaisir ; gageons qu’il se bonifiera encore avec le temps pour accéder au statut de grand cru. Ce n’est pas une raison de tarder pour le découvrir sur grand écran !

★★★★★ La chance sourit à Madame Nikuko de Ayumu Watanabe (Jap., 1h37) avec les voix (v.o.) de Cocomi,  Shinobu Ôtake,  Izumi Ishii… Sortie le 8 juin

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