Piment Doux

Le 7 mai dernier, l’Awazé Café est né. Le 10 juillet prochain, l’Awazé Café s’éteindra. Entre les deux, le collectif Vert Boucan qui le porte aura fait émerger à Sainté un souffle nouveau, « une vibe », un champ des possibles. Portrait d’un projet fou mais mené avec justesse sur toute la ligne... Qui pourrait bien en faire bouger quelques-unes.  

Ils n’étaient pas vraiment chauds, quand on a évoqué la photo qui serait publiée pour illustrer cet article. Pas trop envie de se mettre en avant, préférer mettre l’accent sur le lieu plutôt que sur leurs personnalités… Pas trop envie de montrer leur tête, non plus ; choisir l’ombre et laisser la lumière à d’autres. Plus tôt, dans la discussion, on avait pourtant parlé de leur volonté d’incarner leur projet, « pour donner la vibe, et éviter qu’il ne sonne creux ». Une contradiction ? Non, du tout. Juste un souci du détail, et un exemple de ce qu’ici, à l’Awazé, tout est fait et pensé en fonction de ce qui est VRAIMENT important. Alors leurs têtes, dans cette histoire, franchement…  Après tout si l’on veut les voir, autant que ce soit en vrai, en poussant la porte de ce lieu éphémère, atypique, « ouvert à tous » et pas seulement pour la formule : un endroit où, qui que l’on soit et d’où que l’on vienne, on puisse se sentir à la fois un peu chez soi, à la fois un peu ailleurs, mais toujours à l’aise dans ses baskets.

Ouvert au début du mois de mai, l’Awazé Café, installé en lieu et place de l’ancien Flore à Saint-Étienne, n’a que quelques semaines de vie derrière lui, mais aussi, devant. Le collectif qui lui a donné naissance, a quant à lui été initié il y a deux ans par Hélène et Morgan, deux Stéphanois bien connus du monde culturel associatif stéphanois : « On avait notamment collaboré sur des projets au sein de l’Amicale Laïque de Tardy. On aimait bien taffer ensemble. On s’est dit "viens, on monte un truc tous les deux", et on s’est mis à fond dedans ». Centres d’intérêts communs, vision similaire du monde, conscience partagée du comment-faire-bien : l’assise était solide, il n’y avait plus qu’à. Un peu plus tard, rejoints par Jérôme et par Lucas, ils trouveront un nom : Vert Boucan, ou comment accoucher d’un mieux après l’entrave covidopandémique à la culture, à l’expression des liens sociaux et amicaux, et plus généralement à l’existence telle qu’elle est censée être.

Hors des sentiers battus et des clichés rebattus

De Vert Boucan à l’Awazé, il n’y eut ensuite qu’un tout petit trait d’union, - et des heures, des heures, des heures de boulot, le tout bénévolement. L’idée ? Ouvrir un lieu en lien avec l’Afrique, et avec la nourriture. « Parce qu’il n’y a rien de mieux, lorsqu’on veut créer une possibilité de partage et de d’échange entre les gens, que d’en passer par la bouffe ». En creux, Morgan et Hélène nourrissaient aussi l’envie de créer un endroit permettant de développer certains points de vue hors des clichés rebattus, et accueillant pour tous les Stéphanois, y compris ceux qui viennent d’ailleurs.  L’expertise et les réseaux acquis au gré des différents parcours pro, perso et associatifs de chacun et chacune ont fait le reste.

A l’arrivée, l’Awazé est une hybridation. Mêlant la cuisine à l’art, la culture à l’éducation populaire, il s’inscrit dans le paysage stéphanois comme une « cantine éphémère et festive construite autour des cultures africaines ». Ici, on s’installe sur la terrasse esprit guinguette pour boire un verre ou manger un bout, préparé avec passion par une autre Hélène et par Ahmed Khalil Traore, jeune cuisinier originaire de Côte d’Ivoire, qui ouvrira très prochainement son propre restau dans le quartier des Martyrs à Saint-Etienne. Dans l’assiette, une « carte fusion et végétarienne, inspirée des gastronomies africaines » et élaborée à base de produits locaux. Mais à l’Awazé, on vit également des moments de connexion avec les arts, grâce à l’accueil de résidences d’artistes, à des ateliers, à des collaborations avec des assos ou collectifs du coin tels que La Laverie ou Les Gens d’en Face, pour des vernissages ou des projections.

Bringue lumineuse

Et puis… De temps à autres, on vient aussi pour faire la bringue, comme ce fût le cas pour la soirée de lancement, comme ce sera le cas le 24 juin ou le 1er juillet. Mais attention, pas n’importe quelle bringue. Une bringue décharge, une bringue lâcher-prise, une bringue lumineuse, une bringue qui te donne envie d’aimer tout le monde et de dire à la fin « merci pour ce moment ».

L’Awazé, finalement, c’est un peu le genre de proposition qui émerge et se concrétise quand on décide de les porter avec son cœur, avec ses tripes et surtout pour les autres davantage que pour soi-même. Coordinateurs du projet, Hélène et Morgan ont d’ailleurs réussi là où beaucoup avaient échoué : fédérer des énergies stéphanoises disparates qui peinaient jusque-là à s’agglomérer. Très vite en effet, sentant l’authenticité de ce que Vert Boucan souhaitait créer, des tas de gens ont tour à tour décidé de passer une tête, de venir filer un coup de main, ou carrément d’« en être ».

« Dès le départ, explique Hélène, on est parti dans quelque chose de très ambitieux. Il fallait que ça rayonne, il fallait que ce soit vraiment un truc qui nous permette de réunir des gens. Que l’offre soit une offre pour tous, mais dans le même moment. Notre démarche finalement, c’est juste ‘’soyez les bienvenus ‘’».  A l'Awazé, peu importe ce qu'on vient faire : au pire, on élargit son champs de vision ; au mieux, on élargi son champs de partage ; dans tous les cas, c'est mieux après qu'avant.

Deux mois et puis s'en-va

Reste qu’en ce début juin et après seulement 4 semaines d’ouverture, c’est déjà presque la fin. Deux mois et puis s’en-va, un concept éphémère qui devait permettre à l’équipe qui le porte de « se tester » en étant constamment dans le faire, pour questionner par la suite les points forts, les points moins forts, l’intérêt du projet pour les Stéphanois, les envies de chacun, et le "après-ça".

Des points forts, il y en a à la pelle. Des points faibles ? Hélène, Morgan et leur équipe, modestes et extra-lucides, sauraient peut-être les lister. Nous… On ne sait pas. Tout ce que l’on voit, et tout ce que l’on retient de nos échanges avec eux, c’est que tout est bétonné.  

Car, s'il a saisi l’opportunité Biennale Design pour concevoir son Awazé, le collectif n’en a pas fait un lieu dédié aux cultures africaines juste pour l’étiquette, mais notamment parce qu’Hélène a suffisamment arpenté ce continent pour savoir comment en parler, qu’en montrer, et comment le faire découvrir de manière juste et honnête aux Stéphanois. Et, si le projet porte en lui une dimension véritablement sociale et même politique, les membres de Vert Boucan ne le rendent pas plus fort en la revendiquant...

En faisant les choses avec justesse, il n’est plus besoin de les dire : ici, le partage, le mélange, le rassemblement, la conscience de l’autre dans toutes les identités qui sont les siennes cessent d’être des aspirations pour devenir des réalités qui émergent assez naturellement. Difficile de trouver plus inspirant. Et difficile d’envisager qu’on ne retrouve pas prochainement quelque part dans Sainté, la patte Awazé-Vert Boucan.

Awazé Café, jusqu’au 10 juillet au 31 bd Jules Janin à Saint-Etienne (entrée par le parc François-Mitterrand) ; ouvert du mercredi au samedi + 1 dimanche sur 2 de midi à minuit pour le brunch. Carte et programmation détaillée à retrouver sur les réseaux. 

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