Isabelle Carré : « J'adore jouer l'intériorité des personnages »

La Dégustation / Après avoir endossé sur scène le rôle d’Hortense dans La Dégustation d’Ivan Calbérac, Isabelle Carré le reprend avec enthousiasme pour l’adaptation réalisée par l’auteur. L’occasion de converser avec une comédienne toujours impeccable, devenue depuis quelques années une romancière régulière.

Hésite-t-on avant de poursuivre l’aventure de la scène au cinéma ? 

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Isabelle Carré : En fait, c’est nous qui avons demandé à Ivan de faire le film ! On ne lui a pas laissé le choix : on était tellement, tellement, heureux ensemble avec Bernard Campan, Mounir Amamra, Olivier Claverie et Éric Viellard — “le club des cinq“ — et le public nous renvoyait un tel plaisir… Les spectateurs ont été là tout le temps, même quand on était obligé de jouer 5 ou 6 fois dans le week-end à cause du couvre-feu. Pour nous, c’était une manière de continuer et de se “venger” de ne pas pouvoir faire la tournée puisqu’on a été empêché deux fois de la faire. Notre condition pour le film, c’était qu’on se retrouve tous, qu’il n’y ait aucun laissé-pour-compte — ce qui arrive habituellement quand on adapte une pièce. Mais c’était évidemment le projet d’Ivan que tout le monde y participe.

Vous êtes-vous sentie plus libre au cinéma qu’au théâtre ?

Oh non, franchement. Ivan a la même façon de nous diriger au théâtre qu’au cinéma. On se sent aussi libres et il a autant d’exigences dans un endroit que dans un autre. Comme il maîtrise les deux, il est chez lui dans les deux. Et c’est aussi quelqu’un qui vous fait confiance, donc on ne sent à aucun moment enfermé.

Au centre de cette histoire, le vin est un élément de convivialité mais aussi de sensualité. Quel était votre rapport avec ce fameux liquide avant la pièce et le film ? (à consommer avec modération, bien sûr)

(rires) Je ne bois pas beaucoup, mais un verre de vin, c’est une aide qui me permet vraiment d’atterrir après avoir été dans la fiction au théâtre. Ou de démarrer : un demi avant, un demi après… Après, j’aime bien boire dans les dîners, mais pas beaucoup.

La pièce et le film vous ont-il ouvert au plaisir de la dégustation ?

J’avais déjà fait la route des vins de Bordeaux quand j’étais plus jeune. La première dégustation que j’ai faite, c’était quand j’avais joué L’École des femmes à Lyon, aux Célestins. On avait été chez Bocuse avec toute la troupe. Ensuite, au moment de Se souvenir des belles choses, Bernard,   qui déjà jouait un caviste — on ne doit pouvoir jouer ensemble que quand il fait un caviste (rires) —, était revenu un jour avec une dizaine de bouteilles de sa cave de dingue dont un Château Chasse-Spleen et un Saint-Julien. C’était tellement bon !

Dans le dialogue, le vin est propice aux double-sens, notamment par son vocabulaire évoquant la sensualité.…

Et j’ai demandé à Ivan d’en rajouter, car c’était juste indiqué dans la pièce. Je trouvais beau que cette femme qui a l’air d’aller si bien, qui est si ouverte et si généreuse, soit exactement dans le même état que le personnage de Jacques joué par Bernard. Lui, c’est l’autre face de la médaille : il est taiseux, ermite, rustre,   mais au fond, tous les deux sont aussi seuls l’autre ; sauf qu’ils le montrent d’une façon différente. Avec le vin, c’est in vino veritas : le fait qu’elle boive va libérer ses désirs. On sent bien qu’elle ne pense qu’à ça, qu’elle n’a envie que de ça !

J’adore jouer l’intériorité des personnages… C’est plus dur à faire au théâtre ; il faut être un Laurent Terzieff dans Ce que voit Fox : il ne faisait quasiment que se taire et écouter ses partenaires et on ne regardait que lui en train d’écouter. Jean-Luc Boutté aussi avait quelque chose comme ça. Au cinéma, c’est plus facile. L’intériorité, les silences, quand on voit les les personnages seuls chez eux. C’est agréable à jouer ; j’adore voir ça comme spectatrice, comme si t’étais dans leur tête. Les Japonais savent super bien le faire.

Ivan Calbérac suppose qu’il y a pour vous « un petit côté récréatif à jouer Hortense »…

C’est un personnage jouissif ! Elle m’habite encore, cette Hortense. J’aime sa maladresse, j’aime sa générosité, son attention aux autres, mais aussi son côté un peu coincé.

Elle est un peu une cousine d’Angélique que vous aviez interprétée pour Jean-Pierre Améris dans Les Émotifs anonymes

Oui, c’est vrai — et plus encore dans le film : on a monté un petit peu le curseur de la timidité, de l’émotivité. Dans la pièce elle était plus rentre-dedans, plus sûre d’elle. Là, on l’a un peu fragilisée par rapport sa mère. En fait, tout le parcours d’Hortense dans le film est plus sensible parce qu’on la voit dans le hors champ. Au théâtre, elle parlait de ses difficultés avec sa mère sans que celle-ci n’apparaisse ; au cinéma, on la voit en difficulté. De la même manière, on ne la voyait pas avec les SDF dont elle s’occupe ; là, on découvre cette femme toute seule avec des gens un peu décalés qu’elle doit mettre à l’aise et qui parfois font qu’elle est un peu débordée. Enfin, alors que dans la pièce elle arrivait dans la cave hyper volontariste, on la suit ici dans sa solitude : rentrant seule avec son sac ou prenant sa voiture pour aller faire ses PMA… C’est une image émouvante. Moi, je n’ai rien à jouer… Tout cela modifie évidemment la couleur du personnage. 

Et ce qui a été génial — et qui est assez rare — c’est que l’on a fait la pièce, puis le film, puis rejoué la pièce. Ce n'était pas prévu, mais comme on n'avait pas pu terminer les représentations ni faire les tournées ; pour aider le Théâtre de la Renaissance qui avait eu une année noire — et aussi pour nous retrouver tous parce que parce qu’on n’arrivait pas à se quitter — on a rejoué la pièce après le film. Autant la pièce a enrichi le film, autant le film à enrichi la pièce. Même si l’écriture n’avait pas beaucoup changé, on avait tout le hors champ qu’on n’avait pas avant. Et on a joué différemment, c’est clair. C’était comme creuser la même histoire et la continuer pour l’enrichir. Elle s'est ouverte encore plus.

Votre rentrée est chargée puisqu’en plus de La Dégustation, vous avez un autre film à l’affiche, La Dérive des continents (au sud) et un livre en librairie…

Oui, La Dérive des continents (au sud) de Lionel Baier a été à la quinzaine des réalisateurs à Cannes. On l’a tourné en Sicile l’année dernière. Il parle des migrants, mais en Italie mais du côté des instances européennes et de la communication des politiques. Au milieu de cette histoire-là, mon personnage est une mère qui a abandonné son enfant pour lui vivre une histoire d’amour avec une femme quand cet enfant avait une quinzaine d’années et elle le retrouve dans ce camp. Ce sont les retrouvailles avec ce garçon qui est joué par un acteur québécois incroyable que j’adore presque autant que Bernard, qui s’appelle Théodore Pellerin. 

J’ai aussi commencé les répétitions d’une pièce de Martin Crimp, La Campagne, qu’on va jouer au théâtre de Sartrouville et qu’on reprend au Rond-Point. En tant que Carré, j’aime bien le Rond-Point (rires)

Quand au livre, Le jeu des si, il continue sa vie. C’est une idée qui m’est venue il y a vingt ans en Allemagne pendant le tournage du film de Cédric Khan, L’Avion. Je faisais beaucoup d’aller-retour mais comme je suis une piètre organisatrice, j’oubliais toujours de commander mon taxi. J’ai pensé à ces chauffeurs qui attendent désespérément un client qui vient pas. Et je me suis dit : « et si je me faisais passer pour cette personne ? Jusqu’où est-ce que je pourrai aller ? » Le fil de départ du Jeu des si, c’est ça.

Ce qui est beau avec les livres, contrairement aux sorties de cinéma — qui sont très frustrantes parce que une fois le film sorti, on n’en parle plus, on ne va plus l’accompagner, on ne fait plus de promo — un livre, c’est le contraire :  on en parle le jour où il sort, jamais avant. Et puis ça peut durer un an, un an et demi. Il faut venir à des rencontres, des salons…

Adapter vos romans au cinéma, ça vous tenterait ?

Ça fait longtemps qu’un producteur, avec lequel Bernard [Campan, NDR] a travaillé, arrive à me donner confiance pour changer de casquette. Ce n’est pas facile ! Mais pour répondre à la question, adapter lequel ? Je pense que c’est bien de commencer par le début, donc avec Les Rêveurs. Mais j’ai besoins de temps, je suis lente (rires).

Avez-vous déjà un prochain roman en gestation ?

J’ai une idée. Ça commence… Mais bon, pour l’instant, j’écris dans ma tête !

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