Novembre / Huit ans après La French, le réalisateur et le comédien se retrouvent pour un film à nouveau tiré d'un fait historique mais beaucoup plus contemporain : les attentats de 2015. Rencontre autour de la conception d'un film sur une tragédie française.
Novembre est-il une manière de renouer avec une certaine catégorie de cinéma mêlant action et contenu politique, à l'instar des films de Verneuil ou de Costa-Gavras ?
Cédric Jimenez : Alors je ne sais pas si c'est volontaire, en tout cas j'aime ce cinéma. Certainement qu'on va toujours un peu vers ce qu'on aime et il y avait dans ce cinéma une approche populaire et du contenu — et les deux ne jurent pas.
La sobriété s'imposait-elle parce qu'il s'agissait d'un événement historique ?
CJ : Oui, bien sûr. Réduire les filtres cinématographique, mettre très peu d'emphase, être toujours au service du sujet et que le sujet ne soit jamais au service de la mise en scène.
Vous êtes-vous imposé à un sas temporel avant de commencer à travailler sur le sujet ou bien avez-vous commencé rapidement à écrire ?
CJ : Ce n'est pas moi qui ai commencé à écrire, c'est Olivier Demangel le scénariste qui a écrit pendant trois ans ; il a démarré 4 ans après les attentats. Je ne peux pas répondre à sa place mais je pense que ce qui est important, c'est le respect. Pas le temps qu'on accorde. Si ça avait été deux semaines après, évidemment ça aurait été trop tôt mais à partir d'un certain temps, si on a la pudeur et le respect nécessaire, on peut parler de ce sujet-là.
Avez-vous vraiment collé à la réalité de l'action de la DGSE et le cas échéant, vous a-t-on demandé de ne pas divulguer certaines choses ?
CJ :Non, on n'a rien demandé. Après, c'est une question de bon sens : s'il y a des dossiers qui sont trop engageants et qui pourrait gêner l'instruction judiciaire, évidemment, on ne les dévoile pas, ou en tout cas on va essayer de les envelopper de manière à ce qu'il ne soit pas reconnaissables. Parce que le but n'est pas de gêner l'instruction judiciaire, surtout pas sur un procès pareil. Après, honnêtement, il y a peut-être des choses qu'on ne m'a pas dites. C'est vraisemblable même, mais on va pas demander de ne pas dire ceci ou cela.
Et vous, Jean, qu'est-ce qui vous a frappé dans le fonctionnement de cette brigade ?
Jean Dujardin : À la lecture, j'ai trouvé ça passionnant : toute cette documentation... Après, qu'est-ce qui m'a frappé ? Je ne sais pas parce qu'on ne savait jamais véritablement si on était totalement dedans. Effectivement, les quelques personnes qui sont venues sur le plateau nous disaient que c'était vraisemblable. Parce que mon bureau avait la tête de Fred, avec la valise pour partir immédiatement dans la nuit... Parce qu'on est au toujours au service. Oui, la tension était palpable. Oui, je pouvais enlever quelques phrases — on me disait : « dégraisse un petit peu ton dialogue, parce qu'on va beaucoup plus vite que ça ». Donc ce qui m'a frappé, c'est leur immense capacité de travail, leur réaction et leur engagement.
Et puis ça reste de la procédure, en fait. Ils pourraient s'en défaire mais ce sont des milliers d'heures d'auditions, de procès verbaux... Il faut que ça rentre, qu'on écrive... Quand on en parlait — sans le dire véritablement — on sentait que c'était un peu fastidieux. D'autant qu'il y a en plus un ministère qui vous demande où vous en êtes. Et il ne faut pas laisser place à nos émotions personnelles — et ça c'est quand même très difficile, surtout pour une jeune génération.
Où étiez-vous au moment des attentats ?
CJ Moi j'étais en tournage à Budapest, donc c'était très particulier parce que j'étais très loin. Toute l'équipe et moi-même on a éprouvé une forme de culpabilité d'être loin, et de ne pas pouvoir être là ; presque coupables d'être épargnés de quelque chose qu'il aurait fallu vivre. Ma fille habitait chez sa mère à Paris, puisque j'étais en tournage à l'étranger, elle était tout près du Bataclan et j'étais très inquiet. Je pense qu'on tous à peu près vécu la même chose, quel que soit l'endroit où on était : l'effroi et le choc étaient le même.
JD : Moi j'étais à Beaune avec Claude Lelouch pour la présentation de Un + Une. On était au restaurant, on allait faire le débat, c'était très joyeux. Puis plus du tout. Il y a un message sur le téléphone qui nous a glacés, on est rentré dans la salle en disant : « Désolé, on ne va pas faire le débat, on va rentrer à Paris ». Et on est rentrés, très tôt ou très tard, je ne sais plus, dans Paris désolé, avec des gens en pleurs, hagards, sur les trottoirs. J'habitais en plus dans le Marais à côté du Bataclan et je suis allé le matin avec mes enfants près de la barrière pour leur expliquer l'inexplicable. Mon fils m'a dit : « je me sens tellement impuissant » C'était exactement ça.
Vous n'en aviez jamais parlé entre vous ?
CJ : Si, un peu... Mais si vous voulez, quand on fait ce film là, la discussion est plus large que nous. On a une responsabilité de raconter le film, mais c'est évidemment ça qui est au centre de nos échanges quand on travaille.
JD : Et très intime, ça résonne en nous.
CJ : Ce n'est pas la raison pour laquelle on fait ce film. Quand on a la chance de pouvoir faire du cinéma, de pouvoir raconter des choses, autant raconter des choses importantes.
Le rythme est particulièrement soutenu. Comment cela se passe-t-il sur le plateau ?
JD : Cédric donne son rythme et il a bien raison : beaucoup d'énergie, à chaque plan, chaque scène. Il vient vous voir dès le maquillage « j'ai pensé à un truc, on peut bouger quelque chose ». Il vous motive deux heures avant la prise. Et puis on a des jours, des nuits... On était un peu paumé. On a nos vraies têtes, pour le coup.
Le plus grand défi technique est-il dans les champs/contre-champs ou bien les scènes d'action ?
CJ : C'est hyper différent. Techniquement, certainement l'action ; après en terme d'enjeu, ça reste sur les interrogatoires, parce que les acteurs, le jeu et ce qui ressort de ces scènes-là, c'est beaucoup plus important finalement que les scènes d'action. L'action, ça fait partie de la tension, du rythme ; les scènes d'interrogatoires ou d'engueulades, d'échanges, de partage, c'est le cœur-même du film, du cinéma. Donc comme il s'agit du jeu des acteurs, c'est toujours plus important que des mecs qui courent.
Jean, avez-vous eu de la difficulté à incarner l'ordre, l'autorité ?
JD : J'y ai repensé, justement. Ce que je fais souvent un peu après, en fait, une fois que le film est fait — ce qui ne sert à rien (sourire). J'ai dû... pas m'angoisser, mais me poser beaucoup de questions pour essayer de trouver une autorité, une colère froide, un peu sèche sans qu'on la voie ; dès qu'on la voyait trop, je redescendais. C'était un tout petit réglage. Parfois les choses vous échappent parce que vous êtes aussi dépendants du regard de la personne en face de vous ; du désir du metteur en scène...
J'en ai vu, des chefs dans les films, mais je ne voulais pas faire un chef de film. Ni un chef. Et puis, c'est quoi un chef ? Un vrai bon chef ? C'est un mec qu'on suit. Pourquoi on le suit ? Parce qu'il rassure. Alors, il y a des mots qui rassurent. Et j'ai cherché ce dernier mot que je pouvais dire. Et je repensais à ce dernier mot de Tom Hanks dans Il faut sauver le soldat Ryan, juste avant qu'il sorte de la barge. Il dit (en français) : « une équipe à gauche, une équipe à droite, on reste sur la plage en secours etc. On s'attend sur la plage » On s'attend sur la plage, c'est une phrase très rassurante de chef : en gros, c'est « il ne va rien se passer de plus que ça, on va sortir, on va s'installer... » Et c'est un massacre. Là, c'est un peu la même chose, c'est déjà la merde, je suis en train de leur dire qu'il y a plus de 100 morts, de mettre de côté les plus fragiles, qu'on reste ensemble et que ça va bien se passer et... « Merci ». Et ce « merci » pour moi, c'était un merci de chef qui dit « merci, on t'accompagne, je suis avec vous ».
Et sur les scènes d'interrogatoire, vous jouez sur la force de conviction ?
JD : Je pense souvent à mon père (rires) J'ai toujours l'image de mon père : il travaillait dans le bâtiment, il allait défendre sa petite PME dans les algeco le matin à 8h du mat', et parfois je l'accompagnais quand j'étais enfant ou ado. Et je le voyais, avec une conviction, quand il disait : « là, t'as en retard, c'est pas moi, c'est toi. Alors comment je fais ? » Et il pressait au cul et j'avais presque honte. En fait, il protégeait sa boîte et ses gars.
Le témoin décisif joué par Lina Khoudry est une victime collatérale de l'attentat...
CJ : Malheureusement, dans ce genre de drame, il n'y a quasiment que des victimes. Et finalement, il n'y a pas de victoire possible. Le drame est total et il n'en reste que des victimes, quoi qu'il arrive...