Gratte-ciel nord : une politique de logement inspirante

Gratte-ciel nord : une politique de logement inspirante

Villeurbanne / Construire une ville pour ses habitants. Ça pourrait être logique, mais ce n'est pas si courant alors saluons le projet des Gratte-ciel nord qui verront le jour à l'horizon 2026-27 et dont le premier permis de construire vient d'être déposé.

« S'inscrire dans les pas de Lazare Goujon [NdlR : maire socialiste de Villeurbanne de 1924 à 1935 puis de 1947 à 1954] fout la trouille du mauvais geste. On sent le poids de l'Histoire » résume Agnès Thouvenot, adjointe à l'urbanisme de la mairie de Villeurbanne. Quand en 1934 sont inaugurés les Gratte-ciel, c'est un cas unique en France. Non pas concernant les habitations — celles du quartier des États-Unis à Lyon, de Bagneux ou Drancy, sont comparables dans les années 30 — mais parce que c'est un ensemble plus vaste qui voit le jour, comprenant des commerces, la mairie, un dispensaire, des écoles, une piscine nichée (et c'est toujours le cas) sous le palais du travail, l'actuel TNP. Jean-Paul Bret, édile de 2001 à 2020, en a bien conscience quand il lance il y a une vingtaine d'années le projet des Gratte-ciel nord, au-delà du cours Émile-Zola.

Un net coup d'accélérateur a été enclenché du fait d'une bonne entente entre les exécutifs de la Métropole et de la ville de Villeurbanne depuis deux ans. Voici donc le permis de construire déposé pour cette vaste surface divisée en îlots. Déjà, le lycée Pierre Brossolette est sur pied, ouvert, sur une partie de la nouvelle esplanade Agnès Varda ; l'ancien sera détruit. Le groupe scolaire Rosa Parks est également ouvert. Bientôt, se trouveront aussi ici un tiers-lieu, une crèche, un BIJ (bureau d'information jeunesse), un cinéma de quatre salles et 613 places (qui remplacera le Zola, dont l'actuel directeur a déjà dirigé un complexe de quatre salles à Valence...) et quarante commerces. Ils ne seront pas confiés à un fonds d'investissement pour en faire un énième centre commercial, mais gérés par la Société villeurbannaise d'urbanisme, SVU, en prenant garde à ne pas faire concurrence à ceux du sud et à ce que soient présents des commerces indépendants et pas seulement des chaines. Ça n'a l'air de rien, mais c'est une décision politique claire qui influera au quotidien sur la vie de chacun.

Ce projet résolument urbain sera végétalisé au maximum (plus de 300 nouveaux arbres et arbustes plantés) mais ce n'est évidemment pas là qu'il faudra chercher un poumon vert à Villeurbanne. L'objectif est « d'épaissir » le centre-ville, rendu aux piétons et au tram (le T6 arrivera début 2026). Les livraisons seront centralisées hors du centre et le dernier kilomètre se fera en mode doux. C'est dire aussi si la lutte de Cédric Van Styvendael, l'actuel maire de la 19e commune de France, contre les dark store, s'inscrit dans une cohérence politique.

Terrasses-jardins

Mais le nerf de la guerre est bien le logement qui occupera la majeure partie de ces nouveaux espaces. 855 logements seront créés (dont une résidence étudiante). Ça aurait pu être plus. L'architecte en chef, Nicolas Michelin, relève que ce projet a été fait « sur mesure pour les Gratte-ciel » et n'est « pas allé à la capacité maximale qu'autorisait le PLU, plan local d'urbanisme » pour un plus grand confort des résidents et une densité « raisonnable », « aimable » même.

Dispatchés en quatre îlots qui comprennent chacun six à sept tours (pour neuf architectes au total), ces habitats ne seront pas soudés les uns aux autres comme c'est le cas pour les anciens gratte-ciel et laisseront aussi plus d'accès à la lumière naturelle, d'autant qu'ils ne sont pas aussi hauts que les précédents. Avec 59 m, la tour d'angle de l'îlot B toisera les autres, plus petites, mais sera toujours inférieure à celles qui amorcent les Gratte-ciel sud. Conformément au travail de Môrice Leroux, architecte des années 30 de ceux du sud, le gradinage des immeubles a été respecté et, au sommet, se trouvent des attiques, un espace commun pour que les habitants se retrouvent et profitent du soleil et de l'air. De la politique, encore.

Tout ça pour qui ?

Cédric van Styvendael est très clair : « faire de la politique, ce n'est pas jouer à Sim city en posant des blocs. Il faut une ambition ». La sienne est de ne pas mener ce projet « au détriment des habitants déjà là » et de positionner ces habitations dans un cadre plus large comprenant les rues adjacentes jusqu'à la place Chanoine Boursier, actuellement un vaste parking occupé par un marché auquel il ne touchera pas le nombre de forains. Il dit réfléchir à placer, dans les contreforts des gratte-ciel, une halle alimentaire coopérative, un nouveau lieu de commerce en lien avec ceux existants.

Le maire précise que seuls 15 % des logements seront en accession libre, livrés à la jungle immobilière. Le reste sera du logement social à 60% ou à prix plafonné à -5 % du prix du marché, permettant ainsi à la classe moyenne de vivre encore en centre-ville. Ultime défi, car fut un temps un certain Gérard Colomb a fait exactement le contraire en livrant la Presqu'île lyonnaise à des fonds d'investissement émiratis (repassé sous pavillon français en 2020). Depuis, pied à pied, la Métropole, Villeurbanne, Lyon luttent contre les loyers démesurés, à leur mesure et en fonction de ce que leur autorise la loi avec une réglementation plus sévère des Airbnb, l'encadrement les loyers, le bail réel solidaire, en reprenant en mains des projets livrés à des grands groupes (comme l'ancien collège Maurice-Scève)...

Cédric van Styvendael conclut en prenant le contre-pied d'une formule toute faite : « je ne veux pas une ville "apaisée". Je ne veux pas qu'il y n'ait personne, je veux que ça vive, qu'il y ait des gens ! »

 

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