Jérôme Guilhot, en toutes lettres

Portrait / Créatif, passionné, animé par un sens du détail, Jérôme Guilhot exerce une profession disparue et un art progressivement tombé aux oubliettes, au grand dam du bon goût et de la personnalisation de nos villes. Portrait d’un quarantenaire devenu peintre en lettres, pour remettre de l’âme dans nos visuels… Et dans nos vies.  

A 13h45, on interphone à sa porte. A 13h47, on découvre avec admiration son atelier, et la création qu’il a réalisée juste pour nous. A 13h50, on engage la discussion autour d’un café. A 14h, on s’y colle. Niko sort son appareil photo, Jérôme attrape un pinceau, enfile sa veste de chantier, et se positionne devant le cadre doré. « Un peu plus à droite ». « Un peu plus à gauche ». « Redresse un peu ta tête, pour qu’on puisse voir toutes les lettres ». A 14h30, la séance photo est terminée, et le cliché de notre Une, bien au chaud dans la boite. Le reste du programme est ficelé depuis quelques jours, il est chargé, il ne faut pas traîner…

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C’est sans compter sur la passion qui anime le peintre en lettres, et le plaisir fou qu’il prend à partager les ficelles et rouages de son métier : tandis qu’on remballe, lui, farfouille dans sa boite à outils, pour en sortir une série de pinceaux aux poils très longs qui attisent notre curiosité : « Ça permet de tracer en une seule fois, sans avoir à s’y reprendre, pour un résultat plus net ». Autodidacte, Jérôme s’est formé à ce métier en participant à un workshop animé par Mike Meyer, une pointure de la profession… Et continue à apprendre, en potassant des bouquins devenus ses livres de chevet. « Il y a 3 grandes familles de lettres, déclinées ensuite avec plusieurs typos, poursuit-il en attrapant une de ses bibles pour nous montrer. Grâce à elles, on vient raconter une histoire, coller à une identité, avec toujours le même but : accrocher l’œil du passant. »

Métier et art oubliés

Autrefois aussi nombreux que les boulangers ou les coiffeurs, les peintres en lettres ont progressivement disparu, à mesure de l’avancée de l’outil numérique. Cette technique artisanale, alliant précision et créativité, et employée pour peindre notamment des enseignes et autres supports commerciaux, a en effet été peu à peu remplacée par le tout-stickers, que les commerçants peuvent désormais faire fabriquer à distance depuis n’importe quel ordinateur, bien assis dans leur fauteuil… quitte à perdre en route l’originalité, la créativité, la durabilité, et à finalement réhausser leur boutique d’une enseigne parfois impersonnelle.

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Derrière son esprit créatif, c’est d’ailleurs la vibe old school associée à la peinture en lettres, qui a séduit Jérôme en l’incitant à se lancer, et à monter son entreprise, joliment nommée Au Pied de la Lettre. Passionné de graff à l’adolescence, le jeune homme d’alors s’oriente pourtant dans un BTS sans rapport avec l’art, juste après son bac. « Pas encore prêt », dit-il aujourd’hui avec le recul. Et puis, les années ont passé, et le graff a un temps été laissé de côté au profit des choses de la vie. Des enfants, un job de banquier… Mais quand même, caché au fond de lui, un besoin de s’exprimer toujours bien vivace, qui ne tardera pas à refaire surface.

Depuis 15-20 ans, le numérique et la pub ont pris beaucoup de place dans nos vies ; ce serait bien, de remettre un peu l'humain au centre

En 2013, sort le film Sign Painters, qui explore l’art de la peinture en lettres… Et qui va venir tout chambouler. « Ça a été une révélation pour moi. Le rapport avec la peinture, avec les couleurs, avec les espaces, le lien avec la rue… Je me suis juste dit ‘’c’est ça’’. A partir de ce moment-là, j’ai eu envie de tout apprendre de ce métier ». Et, si les choses ont finalement mis quelques années à se mettre en place, Jérôme a su faire très bon usage de ce temps. En se formant, tout d’abord, jusqu’à l’apprentissage de la technique de la feuille d’or, lors d’un atelier qu’il a suivi à Barcelone. Et puis, aussi, en affinant sa vision du métier et en mettant le doigt sur les raisons soudaines de son irrépressible envie de l’exercer.

Œuvrer au dynamisme des centres-villes 

« Aujourd’hui, dans notre société abreuvée d’images, on oublie je trouve, que la vie visuelle peut-être extrêmement riche et intéressante. C’est assez frappant à l’échelle d’une ville :  dans le passé, l’identité de chaque lieu était véritablement travaillée. Les vitrines, les enseignes étaient pensées en adéquation avec ce que l’on pouvait trouver à l’intérieur, et avec le propriétaire des lieux, comme une sorte d’annonce avant même qu’on ait passé le pas de la porte. La peinture en lettres permettait de mettre cela en œuvre et, dans une rue, dans un quartier, dans la ville toute entière, l’œil des passants était alors sollicité par des images artistiques, créatives, intéressantes, pour un tout finalement assez harmonieux, mais pas du tout uniforme. »

Cette conception des choses encore très présente dans les villes anglo-saxonnes, et notamment aux États-Unis, Jérôme rêve aujourd’hui de la voir peu à peu se réinstaller en France, persuadé qu’elle peut également œuvrer au dynamisme des centres : « Mike Meyer l’explique assez bien : l’investissement que tu mets dans ton enseigne quand tu es commerçant, tu le rentabilises très vite par le nombre de clients qui entreront dans ta boutique grâce à elle ».

Remettre l’humain au centre

Heureux à chaque nouveau chantier décroché, le quarantenaire l’est ainsi d’autant plus qu’il s’agit toujours d’une nouvelle opportunité de faire découvrir aux gens cette profession oubliée. Alors, Jérôme, un nostalgique ? « Je n’irais pas jusque-là, mais j’ai quand même le sentiment que depuis 15-20 ans, le numérique et la pub ont pris trop de place dans notre société. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien de bon dans le numérique. Mais ce serait bien, de remettre un peu l’humain au centre. De remettre de l’âme dans nos visuels, dans nos villes, et in fine dans nos vies. » 

Ainsi Jérôme s’épanouit-il pleinement, dans l’exercice de ce métier-passion qui repose sur l’échange, le contact, et la collaboration. « Tu rencontres des commerçants. Tu rencontres des gens qui travaillent le bois, ou le verre. Tu rencontres parfois des urbanistes. Et puis, tu rencontres des passants, qui s’arrêtent pour te regarder faire, quand tu es en train de peindre dans la rue. Tout se fait en circuit court… Les lettres peintes à la main, contrairement aux stickers, ce sont des choses qui restent. Des marqueurs de temps »… Une richesse, dans un monde du toujours plus vite.

Au Pied de la Lettre, entreprise installée à Saint-Étienne. Pour plus d’informations et une exploration du travail de Jérôme, rendez-vous sur son compte Insta : @ lettrespeintes


Une expo

A 15h, après avoir traversé la ville en papotant sur ce qui l’a poussé à devenir peintre en lettres, on franchit la porte du Lobster, où les créations de Jérôme sont exposées jusqu’au début du mois de janvier. Dans des cadres, sur des plaques de métal, sur du verre avec de la feuille d’or, sur des lames de scies égoïnes, sur du papier… Ici, on découvre les slogans souvent rigolos que le peintre en lettres a imaginés et peints sur différents supports, pour se faire plaisir, et se pousser lui-même à se dépasser. « Ça, c’est la partie où je peux vraiment m’exprimer librement, sans répondre à une commande. J’aime bien les choses un peu décalées, ça me vient de la culture graffiti, et du coup, j’aime bien travailler des choses façon vieilles pub, mais pour des trucs invendables, comme le Bouillon de Lettres, par exemple. Cette expo, ça me permet de montrer toute l’étendue de ce que peut être la peinture en lettres. »

Bar Le Lobster Club, 2 rue Denis Papin à Saint-Étienne. Exposition visible jusqu’au 7 janvier. 

 

 

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