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Zef : le rôle de leurs vies

En novembre 2021 était diffusé pour la première fois le documentaire « Zef, une vie de combats ». L’autre bataille derrière ce film, c’est celle de Rayhane Chikhoun, jeune réalisateur stéphanois. Si l’élaboration de son premier 52 minutes, un hommage à l’idole de sa jeunesse Youcef Zenaf, n’a pas été un long fleuve tranquille, il a néanmoins pu voir le jour grâce à des énergies 100% ligériennes. Retour sur une belle aventure humaine et cinématographique.

Par Jérémy Pain

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Quand ils se rencontrent aujourd’hui, ils ont tout l’air de vieux amis. Depuis 2016, ils se voient très régulièrement. « À des moments, c’était trois fois par semaine ». Entre Rayhane Chikhoun le réalisateur, et Youcef Zenaf, dit « Zef », la complicité est naturelle. Six ans après leur première entrevue dans le bar Le Gambetta à Saint-Chamond, et 52 minutes de documentaire plus tard, ils aiment encore partager un café et se replonger dans cette folle aventure.

« Zenaf, il est très connu, il a une renommée locale et, lorsque j’étais petit, mon père me racontait souvent les histoires de Zef, se rappelle Rayhane, aujourd’hui âgé de 25 ans. On ne parlait pas forcément du boxeur mais surtout de celui qui a su se relever d'un événement tragique » … Ou plutôt de « l’accident » comme l’appelle le principal concerné. Le 5 juin 1987, au sommet de son art car déjà auréolé de plusieurs titres de champion de monde, Zef, le maitre de la boxe américaine -ou full contact- tombe à terre face à Christian Battesti. Il reste inanimé et plonge dans un coma de 40 jours. Fin de carrière brutale pour l’enfant du Gier, à jamais marqué.

L’histoire passée et présente de Zenaf

Le documentaire Zef, une vie de combats, c’est l’histoire passée et présente de Zenaf. De sa gloire, gagnée sur les rings dans les années 80, jusqu’à aujourd’hui. L’histoire d’une lutte perpétuelle pour s’extraire de son milieu populaire puis, après l’accident, d’une révolte pour retrouver une vie des plus normales malgré le handicap.

« Je pensais qu’il était inaccessible ». Rayhane Chikhoun

« J’avais 19 ans et je voulais réaliser un documentaire, raconte Rayhane. Je cherchais un sujet et j’ai pensé à Zef. Je l’ai contacté sur Facebook. C’est son fils qui m’a répondu. Je demande si c’est possible de rencontrer son père, je pensais qu’il était inaccessible. »
« Inaccessible ? » se marre Zef à ses côtés.

L’ancien boxeur est alors ravi de l’idée… Sans vraiment y croire pour autant. Mais le film est lancé. « J’étais un petit jeune, je n’avais jamais fait de documentaire, juste étudié un peu le cinéma de fiction, poursuit le réalisateur originaire de Genilac. Je pensais pouvoir tout faire tout seul avec ma caméra. »

Mais la réalité rattrape Rayhane, qui doit s’entourer d’une équipe pour réaliser un film à la hauteur de ses ambitions. Après un rapide tour des boîtes de production de la région, il jette son dévolu sur les Stéphanois de La Casquette Productions. « J'avais la dalle, j'étais amoureux du sujet, j'avais hâte de le montrer. »

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Un travail de longue haleine

Quand ils rencontrent pour la première fois Rayhane en 2017, les associés Mathieu Lesueur et Bertrand Chanal décèlent immédiatement son potentiel : « C'est notre ADN, chez La Casquette productions, de rencontrer un mec comme Rayhane. Il est tout vert mais il sait où il veut aller, il a une bonne énergie, il a bossé son dossier pendant deux ans. La démarche est extraordinaire, il a le culot de vouloir rencontrer son idole. »
Mais le travail ne fait que commencer. Il faut alors perfectionner l’écriture, trouver de l’argent et un diffuseur. La suite, ce sont des mois et des mois de labeur pour déposer des dossiers dans différentes commissions de financement, rechercher des archives, rencontrer des proches de Youcef Zenaf, réécrire les différentes séquences du film.

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Et finalement… Ça marche : le projet est soutenu, l’équipe du film s’étoffe, un chef opérateur est engagé. Le diffuseur est trouvé, ce sera France 3. Mais le Covid ne facilite pas l’avancée du projet.

: « Quand tu parles du projet à tes proches, ils te prennent pas au sérieux ». Rayhane Chikhoun

« Au bout de quatre ans, on n’avait toujours pas tourné. Zef commençait à s’impatienter , se rappelle Rayhane. On prenait ma vieille ZX, on partait 2-3 jours avec lui, à Paris pour voir son frère et son coach de l’époque. J’ai été très vite accepté par sa famille. » Le combat de Zef dans la vie, Rayhane s’en nourrit pour persévérer. Pas toujours évident. « Quand tu parles du projet à tes proches, déjà, ils te prennent pas au sérieux. Mais en plus quand ça prend du temps, ils se disent que ça ne sortira jamais. Mais j'étais déterminé. »

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Et sa persévérance paiera. Au bout du compte, 15 jours de tournage seulement suffiront. Le documentaire est diffusé en novembre 2021 sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes avec un budget de 160 000 euros. En parallèle, les projections se multiplient dans les salles de cinéma de la région. Pour l’avant-première, 250 spectateurs prennent place dans la salle du Véo de Saint-Chamond.

 « La salle était magnifique », savoure encore aujourd’hui Rayhane. « C’est une belle aventure. Le film a été vu par des scolaires, par toutes les tranches de la société. Il a une portée universelle. Ça raconte quelque chose d'élémentaire, la vie, le combat, la résilience. On a eu des retours très positifs. De producteurs, d’une personne du CNC (Centre national du Cinéma) qui était émue aux larmes. J'ai pas contrôlé ce que je faisais. J'avais pas de recul, j'ai mis tout mon coeur dans ce film. »

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Zef, lui, s’offre au passage un regain de notoriété. « Pour moi, le film est réussi. À chaque fois que je le revois, je le redécouvre, vu que je perds la mémoire », plaisante l’ancienne gloire. « On n’a pas lâché. On s’en est sorti. »
Dans la vie non plus, Zef n’a jamais lâché. « Je ne me voyais pas vivre et toujours me plaindre. On regarde devant, pas derrière. » Un mantra que les deux compères s’appliquent. « Cela montre qu’un gamin de Saint-Chamond peut faire du cinéma, se réjouissent quant à eux les producteurs Mathieu Lesueur et Bertrand Chanal. Rayhane prend le même chemin que Zenaf. Ils ont cette force, cette énergie commune. »

« Ce n'est pas de sa faute, ni de la mienne. C’est le mektoub ». Youcef Zenaf

La suite ? Tous aimeraient que cette aventure perdure : adapter le projet pour une diffusion cinéma cette fois, sans les contraintes du documentaire télé.
Rayhane Chikhoun veut poursuivre dans le cinéma, malgré les difficultés qui vont avec. « Quand tu n’es pas à Paris et que tu es issu du milieu prolétaire, t'as des gros freins. » Aujourd’hui, le jeune homme travaille au studio Gonnet, magasin de matériel audiovisuel au Chambon-Feugerolles. Avec déjà d’autres projets documentaires en tête.

« Zef face à Battesti »

En attendant, les deux ne se quittent plus, car les projections du documentaire rythment encore leur vie. « Quand est-ce qu’on va à Marseille ? » questionne Zef, insatiable. « La ville de Battesti !» renchérit-il aussitôt, pas rancunier au sujet de celui qui a bouleversé sa vie. « Il est très sympa, il n'y a aucun problème. C’est un combat, je ne peux rien dire. Ce n'est pas de sa faute, ni de la mienne. C’est le mektoub. » Le destin, en arabe. Celui de Rayhane et Zef, lui, est lié à jamais.