A voir en salles le 12 avril 2023

À voir

★★★☆☆  Brighton 4th 

Ancien lutteur soviétique, Kakhi quitte Tbilissi pour, officiellement, aller rendre visite à son fils étudiant à New York. En réalité, il part l’aider à régler ses dettes de jeu le plombant et nuisant à la communauté. En quelques jours, la force tranquille Kakhi, son art du compromis et son aura vont faire merveille…

L’ouverture de Brighton 4th semble hésiter en passant d’un personnage à l’autre sur le mode marabout-bout-de-ficelle, avant de se focaliser sur Khaki, le héros de ce récit. Loin d’être fortuite, cette petite déambulation inscrite dans le Tbilissi contemporain montre que le jeu gangrène l’Est comme l’Ouest, tel une lèpre achevant de détruire les ultimes espoirs des plus désespérés. Levan Koguashvili l’illustre ici dans ce qui pourrait être un conte moral ou une tragédie grecque, à travers une très intéressante variation sur le motif “Un homme est passé“, dans tous les sens du terme. Le fait que son pacificateur tranquille soit de surcroît campé par Levan Tedaishvili, un authentique champion époque URSS renforce l’effet de réel  ; sa vraie “gueule“ de cinéma et son talent donnent de l’assise au drame et de plus d’éclat aux scènes joyeuses. Rappelant évidemment Little Odessa (pour la description du quartier et des communautés, des organisations mafieuses qui y gravitent), Brighton 4th en propose une vision réactualisée en affirmant un cinéaste certes peu prolifique mais à suivre.

De Levan Koguashvili (Géo.-Ru.-Bul.-Mon.-É.-U., 1h36) avec Levan Tedaishvili, Giorgi Tabidze, Kakhi Kavsadze…


★★★☆☆ Suzume

Fascinée par un beau ténébreux qu’elle a croisé en allant au lycée, Suzume le suit dans des ruines. Mue par un irrépressible instinct, elle ouvre une porte et libère un esprit taquin capable de provoquer des catastrophes naturelles à travers tout le Japon. Une course-poursuite au côté de l’étrange jeune homme (métamorphosé en chaise) s’engage… 

La coexistence de deux mondes, des esprits navigants de l’un à l’autre, l’enfance comme un paradis perdu, l’importance de la transmission familiale et l’épée de Damoclès d’un cataclysme imminent… Autant d’éléments coutumiers des anime, dont les incessantes recombinaisons offrent des lectures toujours édifiantes — des interprétations quasi psychanalytiques — de la société nippone à travers ses peurs ancestrales, son attachement viscéral à la nature ou sa crainte d’insulaire de la voir contrariée. Ici, la figure poétique de la prosopopée comme le désir d’empêcher la terre-mère d’exprimer sa colère tentent de rendre possible l’impossible. L’art graphique de Makoto Shinkai, à l’instar de celui d’Hokusai, crée d’époustouflantes boucles visuelles pour nous convaincre de la réalité tempétueuse des éléments : Suzume est ainsi un film qui se ressent ou dans lequel on s’immerge. Il recèle d’ailleurs une dimension autoréflexive lui donnant un mouvement circulaire voire hélicoïdal rappelant le fameux Alice ou la dernière fugue de Chabrol — adaptation libre de Lewis Carroll dont Suzume peut être considéré comme un autre avatar…

De Makoto Shinkai avec (Jap., 2h02) Eri Fukatsu, Koshiro Matsumoto, Shôta Sometani…


★★★☆☆ Le Prix du passage 

Mère célibataire tirant le diable par la queue dans le Calaisis, Natacha perd son boulot de serveuse. Par nécessité plus que pour exploiter ses semblables, elle monte un “business artisanal“ de passeuse de migrants en compagnie de Walid, un Irakien qui tente lui aussi de rallier l’Angleterre…

D’aucuns se plaindront sans doute d’avoir affaire à “un film de plus sur la Jungle de Calais” ; qu’il s’adressent alors aux responsables politiques des deux côtés de la Manche manquant d’imagination pour régler avec humanité la question. Car du côté du 7e Art, les cinéastes œuvrent à apporter des réponses, à l’instar de Thierry Binisti : rappelant ici l’existence de cette zone tampon dans une région économiquement peu épargnée, il signe un drame social réaliste se muant en thriller captivant… tout en déjouant beaucoup de poncifs du genre — par exemple, Natacha et Walid n’entretiennent aucune relation sentimentale. Offrant à Alice Isaaz après Apaches un nouveau rôle puissant du fait des fragilités de son personnage, Le Prix du passage n’est pas sans évoquer par ailleurs le film de Jérémie Elkaïm Ils sont vivants (2021) — inspiré par l’histoire de Béatrice Huret, hélas peu vu car mal sorti en pleine crise sanitaire — montrant comment des citoyens oublient leurs a priori vis-à-vis des migrants, voire prennent des risques personnels, pour remédier à une absurdité politique aux conséquences humanitaires cataclysmiques.

De Thierry Binisti (Fr.-Bel, , 1h40) avec Alice Isaaz, Adam Bessa, Ilan Debrabant…


★★★☆☆ Les Âmes sœurs 

Militaire en opération au Mali, David est gravement blessé dans une explosion. Rapatrié, il souffre en sus d’amnésie. Jeanne, sa sœur, s’occupe alors de lui durant sa convalescence à l’abri d’une demeure encombrée par le passé. Très vite, une relation trouble d’attraction va s’installer entre entre eux…

Éternel cinéaste de la jeunesse heurtée ou empêchée, André Téchiné a su accompagner toutes les générations de comédiens du cinéma français depuis un demi-siècle et les inclure dans son univers empreint de mélancolie. C’est au tour ici de Benjamin Voisin et Noémie Merlant (pas les moins talentueux du moment) d’être les “témoins“ de leur époque dans ce récit vénéneux, où les corps sont plus que jamais des barrières ; où l’amour est soumis à des interdits. Incarnant une sorte de “maître des lieux“ fantasque mais hanté par son propre crépuscule, André Marcon semble être par certains aspects un projeté du cinéaste, exprimant sa distance (en âge) avec ses protagonistes — ce qui ne le prive pas de les aimer ni de les protéger en son domaine. Aussi pudique qu’il peut se révéler dérangeant, Les Âmes sœurs ouvre la porte de la maison sans fracturer celle de la chambre à coucher.

De André Téchiné (Fr., 1h40) avec Benjamin Voisin, Noémie Merlant, André Marcon…


À la rigueur

★★☆☆☆ Une histoire d’amour 

Lors du déménagement de son frère William, Katia rencontre Justine et c’est le coup de foudre. Très vite, un projet d’enfant voit le jour et c’est Katia qui est enceinte… et se retrouve seule quand Justine la quitte. Douze ans plus tard, Katia est malade et se résout à confier sa fille à William, écrivain alcoolique…

Auteur et metteur en scène adulé au théâtre, sans doute à raison, Alexis Michalik achoppe étrangement dans ses adaptations au cinéma. Non que ses films ressemblent à des captations, ni soient mal interprétées, mais il leur manque cette étincelle à même de transcender ses histoires de la scène à l’écran : une réalisation originale. Edmond (2019) était esthétiquement impersonnel, Une histoire d’amour tient de la dramatique télévisuelle avec sujet de société (“homoparentalité et deuil“, “j’adopte en état d’ébriété“ ; “adolescents HPI : comment les aborder ?” etc.) ou de l’Almodóvar aseptisé — c’est-à-dire avec peu ou prou les mêmes personnages, mais sans aucune signature visuelle singulière. Dommage, car l’envie de raconter par l’image est présente, hélas trop fugace, notamment lorsque Katia et Justine s’éloignent avant de se séparer.

De et avec Alexis Michalik (Fr., 1h30) avec Juliette Delacroix, Léontine d’Oncieu, Marica Soyer…


★★☆☆☆ Les Complices 

Tueur à gages, Max se découvre soudainement hématophobe : la moindre goutte de sang le fait tourner de l’œil — pile quand sa femme, lassée par son métier, le quitte. Alors qu’il envisage de se reconvertir, un jeune couple de nouveaux voisins collants tente de l’aider… et se retrouve mêlé à son ancien emploi.

Imaginez votre frustration face au spectacle d’un tireur d’élite manquant sa cible à chaque coup, transposez-la devant cette comédie policière ni totalement drôle — il aurait fallu pour cela qu’elle creuse plus profondément le sillon de l’humour noir macabre —, ni totalement élaborée — l’identité d’une personne cherchant avec insistance à éliminer Max se devine au bout de quelques minutes. Reste, pour passer le temps, de rares séquences décalées où le tueur tente de se réinsérer dans une entreprise immobilière (et règle leurs comptes à des petits chefs) ainsi qu’un défilé de comédiens aussi estimables qu’inattendus, égarés dans ce projet si indécis.

De Cécilia Rouaud (Fr., 1h38) avec François Damiens, William Lebghil, Laura Felpin, Bruno Podalydès…


★★☆☆☆ Loup & Chien 

L’été, sur l’île de São Miguel dans les Açores marquée par un fort exode de la jeunesse et où l’emprise des traditions catholiques demeure vivace. Adolescente en quête d’elle-même, Ana voit en Cloé et son groupe d’amis queer les personnes à suivre pour se libérer de tout ce qui l’entrave…

Fort commode pour aborder toutes les interrogations sur les orientations sexuelles des adolescents, le  registre du coming-of-age ne peut toutefois se résumer à ces problématiques : c’est en effet dans les sous-thèmes qu’il explore que peut nicher sa singularité. En l’espèce, le regard quasi documentaire sur le monde des pêcheurs ou celui des pèlerins répétant inlassablement leur procession, raconte plus de choses que les séquences maintes fois montrées d’une jeunesse ostracisée, ou de numéros queer chorégraphiés sur Klaus Nomi (amis des clichés, bonjour). Paradoxe du film de Claudia Varejão : il valorise  les décors de São Miguel aussi bien qu’un dépliant touristique, sans doute au détriment de ceux qui voudraient que leur île et sa culture continuent à vivre…

De Claudia Varejão (Port.-Fr., 1h51) avec Ana Cabral, Ruben Pimenta, Cristiana Branquinho…

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