« Quand vous arrivez à vous élever socialement, parfois, vous culpabilisez»

Le Principal / La vérité dépasse parfois la fiction, dit-on. Dans le cas du Principal, Chad Chenouga s’empare d’une histoire aussi invraisemblable qu’authentique, qu’il amende d’éléments personnels. Explications recueillies lors des Rencontres du Sud.

Est-ce que ce principal est inspiré de quelqu'un que vous avez rencontré au cours de votre scolarité ?

Chad Chenouga : Non, mais vous savez, quand vous faites les tournées avec vos films, vous rencontrez des cinéphiles, et vous vous parlez de cinéma. Dans l'Est de la France, j'avais rencontré un groupe de profs d'Histoire qui avaient travaillé avec un principal-adjoint très étrange. Je ne sais pas comment c'est venu sur le tapis mais ils m'ont raconté les choses essentielles du film : ils avaient un principal-adjoint un peu psychorigide avec lequel ils n'avaient aucun rapport et ils ont découvert, un peu de la façon dont je le raconte, qu’il avait triché pour le brevet pour son fils. Alors que son fils était très bon élève et que le brevet n'a aucune espèce d'importance aujourd’hui — donc c'est totalement absurde comme acte — et il s'est fait choper de la même façon. La chose assez terrible, c'est qu'il avait demandé à son fils de se dénoncer. Et à la fin il n'avait pas du tout été inquiété, parce qu'il était plutôt bien noté par l’administration et il avait eu, malgré tout, une promotion.

Voilà tous les points que je connaissais ; pour moi, il y avait une histoire à faire sur un personnage atypique où je pouvais mettre des choses “à moi” — à savoir le goût de la littérature. Créer un background un peu particulier avec un frère particulier comme le mien — il ressemble pas mal au personnage du frère dans l’histoire.

Et puis ça me permettait de raconter des choses sur la peur du lendemain, le stress pour sa carrière et pour sa progéniture etc. Et puis de raconter un cadre avec un personnage qui vient d'un certain milieu, qui s'est élevé socialement et qui, alors qu’il pourrait être serein, n’y arrive pas. Pour quelle raison ? On peut se faire son film là-dessus. Moi, je pense qu'il y a une dimension d’auto-destruction là-dedans. Quand vous arrivez à vous extraire de votre milieu d’origine et à vous élever socialement, parfois, vous culpabilisez. C'est une forme de trahison que d’abandonner, D'ailleurs, dans la cité d’où il vient, plus personne ne le connaît. Il vient le moins possible, il ne vient que pour voir son frère, parce qu’il est obligé.

Avez-vous pris contact avec ce principal pour savoir si ça l’intéressait de travailler sur ce film ?

Ah non non, je ne le connais pas. Je pense qu’il ne sait même pas que le film existe.

Il va peut-être se reconnaître…

Peut-être. Mais en fait, c'est pas ça qui compte. Ce qui compte pour moi, c'est qu’il n’ait pas été inquiété. C'est étrange. Parce qu’on ne veut pas « faire de vagues ». J’ai été il y a très très longtemps à la DDASSS et à c’était pareil : quand il y avait des scandales, des trucs avec des gamins, on les étouffait. L’Armée, la Grande Muette, c’est pareil.… Les gens ne veulent pas avoir de problèmes. On connaît tous ça. Mais il aurait dû être sanctionné.

Aviez-vous la distribution en tête dès le départ ?

Roschdy Zem, je lui ai proposé un truc un peu particulier : toute cette histoire, mais écrite à la première personne. On était dans la tête du personnage avec tout ce qui lui arrivait et ça lui a plu. « C'est quoi, c'est une adaptation ? -Non, non, c'est un truc qu'on m'a raconté, j'ai écrit ce document là. » Et tout de suite, il lui a accroché  « Je veux le faire ! »  Après, j'ai proposé à Yolande et le reste, c'est du casting. Pour le frère, j'ai vu plein d’acteurs. Celui qui a été retenu, il a un côté un peu décalé dans la vie comme le personnage. Le gamin, c'était du casting sauvage : il fallait quelqu'un qui soit très jeune. J'ai trouvé un jeune acteur très bien — un Bordelais.

C'est votre film le moins autobiographique ; il donne pourtant l’impression d’être autant personnel que les autres…

Ah, il  y a des choses très personnelles dedans. Le rapport au frère, comme je vous l’ai dit. Il y a plein de choses qui sont inspirées de celles que j’ai pu vivre avec lui. Par exemple, quand on allait sur la tombe de notre mère, il avait souvent envie de jouer au ni oui ni non — peut-être pour enlever du pathos ou pour que ce soit un peu gai.

Je suis allé le voir en prison également, ce n’était pas forcément évident. J'ai été son tuteur légal pendant longtemps, jusqu’au moment où je suis devenu père. J’aime cette idée “d’avancer couvert” : je fais de la fiction, mais j’insuffle dedans des choses qui sont personnelles. Je me souviens avoir vu un film de Ken Loach qui s'appelait Kes, qui était l'adaptation d'un conte pour enfants et de m’être dit : « C'est tellement intime, il a dû mettre des choses très personnelles ».

La littérature et les livres sont en tout cas toujours très présents dans vos œuvres…

Pour les autres, je ne sais pas, mais pour moi, c'est vraiment essentiel. Ça m'a aidé, la littérature, l'art en général. Sans faire pleurer dans les chaumières, j’ai été orphelin assez jeune, à 16 ans.  Et je sais qu'avant que ma mère ne meurt, je lisais déjà beaucoup. Ma mère avait un goût pour la littérature, parfois des choses un peu étranges. Elle aimait bien les livres de médecine hyper pointus et puis des choses sur la Guerre d’Algérie. Je pense que ça vient de là.

Là, j'utilise des livres qui m'ont plu : Un privé à Babylone de Richard Brautigan — un livre très étrange que j’ai lu jeune — ; Martin Eden, un classique dont l’histoire est merveilleuse. Louis Guilloux, je ne connaissais pas : c’est un grand auteur. Vous savez que pour utiliser des extraits, il faut demander les droits. J’ai donc demandé à Gallimard  et un jour un gars m’appelle — pas un ami à moi, mais quelqu'un que je connaissais : « Ah c'est super que tu demandes les droits de mon grand-père, je te les file. Il y a un festival de littérature à la Rochelle, il y a un truc sur mon grand-père, ça serait bien que tu viennes présenter le film.  »

Tous cela, parce que je voulais qu’il y ait vraiment une relation entre la principale et le principal-adjoint autour de la littérature. C’est peut-être le point qui donne un peu de fantaisie à ce personnage qui n'en a pas beaucoup, quand même. Et qu'il lui permet peut-être de s'évader. Ça lui donne une personnalité un peu étrange, parce qu'on ne l'imagine pas comme ça. 

Leur relation est originale puisqu'elle dépasse le strict rapport professionnel. Elle parle aussi de l’un et de l’autre : elle a plus de fantaisie ; lui à un moment donné, le Ōe — qui c'est vachement bien d’ailleurs — est un livre très court franchement, qui se lit une heure et demi et c'est l’historie d’un gamin hyper frustré ; le personnage joué par Roschdy dit « ouais ça ne m'a pas plu »  parce qu’en fait, ça parle de lui, du fait qu'il est un peu coincé, quoi. Sans être drôle, le livre est très intéressant.

Vous êtes déjà, je crois, sur un autre projet…

Je viens de tourner un autre film, qui est plus une comédie sociale, Peut-être y a-t-il des choses un peu perso, sans doute moins. C'est l'histoire de deux gars à la rue qui s’incrustent chez une femme un peu border, mais qui a un coeur à aimer toute la Terre. Et c'est comment trois éclopés arrivent à fonder une espèce de famille. Parce que cette femme est engagée, l’un des deux qui est un loseur noir se fait passer pour un migrant et prend un accent pour se faire accepter ; l’autre est un peu raciste, un peu horrible. Ensemble, ils monter un petit business à l'insu de cette femme.

C’est avec Jean-Pascal Zadi, Emmanuelle Devos, Raphaël Quenard et  Judith Magre — 97 ans ! Je suis en train de faire le montage. Entre mon premier et mon deuxième film j’ai mis 17 ans ; là, j’en ai fait trois coup sur coup. Je me dis qu’il ne faut jamais désespérer (rires)

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