Règle 34 : Sous la robe

Le film de la semaine / Une jeune juriste brésilienne aspire à corriger les imperfections de la justice vis-à-vis des femmes le jour… et à se faire corriger la nuit dans l’expérimentation des plaisirs masochistes. Júlia Murat explore avec radicalité une nouvelle carte du tendre : celle la chair à attendrir. Léopard d’Or à Locarno 2022.

Brésil, de nos jours. Étudiante en droit s’intéressant à la question des violences conjugales, Simone mène une double vie : la nuit, elle est camgirl et offre à ses correspondants des prestations de plus en plus osées depuis qu’elle s'est découvert une appétence pour les rapports masochistes. Du fantasme de l’asphyxie à sa pratique, des brûlures de cigarettes aux coupures, Simone va explorer ses frontières, en tenant plus ou moins compte des avis de ses amis et amants. Jusqu’à quelles limites peut aller cette quête intime ?

S’ouvrant sur scène d’une crudité explicite à laquelle succède sans autre forme de procès (si l’on ose) une séquence documentarisante brossant de manière indirecte un portrait politico-sociétal du pays où va se dérouler l’intrigue, Règle 34 entre d’emblée en résonance avec le trop méconnu Bad Luck Banging or Loony Porn de Radu Jude (Ours d’Or 2021).

Il y est aussi question du hiatus entre le visage public et les pratiques privées sans qu’il s’agisse d’une contradiction. Même si Simone admet qu’il y a dans son caractère une part de “formatage“, sa démarche érotique obéit à une impulsion autonome, libre et consentie. Et cette disposition personnelle lui confère dans la vie professionnelle qu’elle ébauche en parallèle (le métier de “défenseure publique“, c’est-à-dire d’assistante juridique fournissant une aide gratuite à toute personne n’ayant pas les moyens d’embaucher un conseil) une réflexion plus nuancée que beaucoup de ses camarades de promotion, à la lecture plus dogmatiques de la loi.

Car Règle 34 est scandé par de nombreuses sessions de séminaires juridiques, où l’esprit des lois est discuté entre magistrats-enseignants et étudiants, principalement autour des questions des droits de femmes… et de leur étrécissement par la Cour suprême durant les années Bolsonaro.

L’école de la chair

Sans doute grâce à ses expériences marginales — et ses tentatives parfois malheureuses —, Simone montre une compréhension particulière des faits… et que la loi porte en elle-même la possibilité d’être transgressée au profit du justiciable. Une aubaine dans un pays aussi peu favorable à l’équité sociale ! À l’image du principe de la “défense de rupture” longtemps pratiquée en France par Jacques Vergès, elle va adopter le principe de vulnérabilité — une sorte de circonstance atténuante pour les auteurs de crimes désavantagés socialement (et symétriquement aggravante pour ceux ayant bénéficié de conditions favorables) — afin de pondérer ce qui serait une lecture stricte du droit pénal. Est-on meilleur juge lorsque l’on corrige les inéquités ou bien lorsque l’on s’en tient à l’égalité ? Là réside au fond la question cruciale du film.

On notera pour conclure qu’il y a encore un étrange parallélisme avec Bad Luck… dans l’intensité dramatique offerte par la séquence finale — cela, bien que chacun des films opte pour une forme catégoriquement différente. À la bagarre frénétique façon cartoon achevant en farce grotesque le Radu Jude, Júlia Murat oppose ici un long gros plan fixe sur le visage de sa comédienne principale, plan durant lequel elle fait défiler toute une collection d’émotions contradictoires laissant planer autant de doutes sur les intentions de son personnage. Dans les deux cas, il est impossible pour le spectateur de quitter le film avec la moindre certitude de ce qui peut survenir après le générique. Mais il lui est aussi impossible d’oublier le choc final.

★★★☆☆Règle 34 de Júlia Murat (Br.-Fr., int. -16 ans, 1h40) avec Sol Miranda, Lucas Andrade, Lorena Comparato…

 

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